25 - 29 juin 2001
Colloque
WHERE IS THE MATTER ?
Pendant la semaine du 25 au 29 juin 2001 s'est tenu à Marseille un colloque international réunissant deux cent participants, dont cent quarante intervenants, et dont les thème était " Où est la matière ?". Il y avait également un sous-titre :
Tracing Bright and Dark Matter with the New Generation of Large Scale Surveys
Traduction :
Cartographie de la matière
optiquement observable et de la matière sombre
à l'aide des nouveaux moyens d'observation à grande échelle.
Ces mots revêtent une grande importance. Ils situent d'emblée ce colloque à l'intérieur d'un paradigme. On présuppose ainsi que l'univers est un, et qu'il possède deux contenus, l'un qui est accessible à nos moyens d'observations (dans la gamme du visible, de l'ultra-violet, de l'infrarouge, bref où on effectue des observations fondées sur des ondes électromagnétiques) et l'autre qui, pour le moment, échappe à ce type d'investigation et se trouve décrit sous le vocable générique de "matière sombre", en Anglais "Dark Matter". Comment effectuer des observations, comment cartographier cette matière sombre ? D'une part en se fondant sur les effets de lentille gravitationnelle qui, en règle générale, se sont avérés être trop importants pour être expliqués par la présence de la seule matière visible, qu'ils s'agisse de galaxies ou d'amas de galaxies, d'autre part en partant des paramètres cinétiques des objets observés.
Avant même que l'on ne mette en évidence ces effets de lentille gravitationnelle "anormalement importants" des gens comme Fritz Zwicky, en se fondant sur l'analyse des courbes de rotations des galaxies ou sur la mesure des vitesses d'agitation des galaxies dans les amas en avait déduit que la matière détectée optiquement ne pouvait pas assurer la cohésion de ces ensembles. Par courbes de rotation il faut entendre les mesures effectuées sur le gaz interstellaire, orbitant dans le champ de gravitgé générale, effectuée par effet Doppler Fizeau. Ce gaz, de toute évidence, tournait trop vite, en particulier à sa périphérie (présence d'un "palier" caractéristique). Les amas de galaxies sont assimilés à des "grumeaux de gaz" dont les galaxies seraient les "molécules". Les "vitesses propres" de galaxies, ainsi que les nomment les astronomes deviennent l'équivalent des vitesses d'agitation thermique des molécules d'un gaz, vitesses distribuées aléatoirement, dans toutes les directions. En gardant cette analogie du gaz, la combinaison des vitesses "d'agitation thermiques" et de la densité donne ce qu'on appelle la pression (qui est la mesure de la densité d'énergie cinétique d'agitation, par unité de volume). Un nuage de gaz interstellaire ne se dissipe pas, parce que la force de gravitation équilibre les forces de pression qui tendent à le disperser. Si on assimile un amas de mille galaxies à une sorte de grumeau de gaz, on peut aussi dire que les forces de pression tendant à le disperser, calculées sur la base des mesure des vitesses d'agitation des galaxies et de la masse détectée sont trop importantes pour être contrebalancées par la force de gravitation. En raisonnant autrement, connaissant la masse de l'amas on peut calculer une vitesse d'évasion. Comme le faisait remarquer Zwicky, les vitesses individuelles des galaxies excèdent la vitesse d'évasion de l'amas auquel elles appartiennent. Si une force supplémentaire n'était pas à l'oeuvre, ces galaxies auraient dû quitter l'amas de puis longtemps. Il en est de même pour les étoiles des galaxies. Le problème est donc tout à fait réel. La question est dans l'interprétation que l'on donne de ce phénomène.
La réponse unanime des astronome porte actuellement un nom : "matière sombre", bien que personne ne se soit montré capable d'indiquer quelle pourrait être la nature de cette "dark matter". Mais personne n'a un seul instant mis en doute le fait que les effets constatés puissent dériver d'autre chose que de la présence d'un composant pour le moment non observé, doté d'une masse positive, paisiblement situé dans notre (unique) univers. Dans ce contexte les travaux de "cartographie de l'invisible" ont déjà commencé. Initialement, on s'est contenté de dire "dans tel amas de galaxies doit exister une certaine masse M pour que cet amas n'explose pas ou, ce qui revient au même, pour expliquer les forts effets de lentille gravitationnelle qu'il engendre (images multiples, galaxies situées sur l'arrière-plan déformées, cette déformation allant jusqu'à leur étirement sous forme d'arcs)". Par la suite les astrophysiciens, comme Albert Bosma, du laboratoire d'Astrophysique de Marseille auquel j'appartiens ont empiriquement ajouté des "halos" de matière sombre, de nature non précisée, de manière à "fitter les courbes de rotation", anglicisme désignant l'action de retrouver par cette méthode empirique les lois de vitesse correspondant aux valeurs issues des observations. Un certain nombre de personnes s'occuppent donc maintenant à plein temps à calculer la distribution de matière dans ces halos de matière sombre, invisibles. C'est ce qu'on appelle "des théories à l'ordre zéro". Cette activité, qui ne relève d'aucune compétence particulière, est purement technique. Les gens qui s'y livrent ne cherchent nullement à fournir des indications sur la nature de cette "matière sombre" qu'ils cartographient empiriquement, et a fortiori sur les processus qui ont engendré sa présence dans les galaxies. Ne connaissant ni la nature, ni l'origine de ce composant, il est a fortiori exclu de construire une "dynamique galactique". Au congrès en question j'ai entendu une américaine faire le point sur les modèles où on essaye de décrire la formation de galaxies (à partir de matière sombre froide, en Anglais "cold dark matter" ou "CDM"). Tous ces modèles ne s'appuient, bien évidemment, que sur la loi de Newton (plus un énorme ordinateur qui mouline tout cela). Ils restent peu convainquants au sens où, quelles que soient les données initiales introduites les "proto-galaxies" formées possèdent des moments angulaires beaucoup trop faibles. Ainsi, une des questions soulevées par ces "nouveaux théoriciens" (loi de Newton plus gros ordinateur) était "d'où vient le moment cinétique des galaxies ?" On est bien au niveau des "théories à l'ordre zéro", qu'il s'agisse de cartographies ou de tentatives de simulations.
Depuis 1999 des astrophysiciens comme Yannick
Mellier et Fort, suivi par une demi-douzaine d'équipes dans différents
points du monde, ont produit le résultat de six années de travail,
correspondant à un vaste programme. Si de la matière sombre était
présente dans l'univers, en particulier dans les amas de galaxies, celle-ci
produirait des effets de lentille gravitationnelle. A l'extrême ceci produit
de images quasiment kaléidoscopiques, comme le téléscope
Hubble a pu nous en montrer, où les objets situés à l'arrière-plan
d'un amas explosent en un ensemble d'images multiples, en produisant éventuellement
un ou plusieurs arcs gravitationnels.
On comprend alors que lorsque les supposées concentrations
de matière sombre sont moins importantes elles induisent de simples distorsions
dans les images des galaxies, en donnant à leur image une ellipticité
supplémentaire, par simple effet d'optique, qui se superspose alors à
leur ellipticité réelle. Mellier, Fort et ceux qui leur emboitèrent
le pas par la suite ont mis au point une méthode de traitement des images
où l'ordinateur détecte les anisotropies locales des images (en
partant de l'hypothèse qu'en l'absence d'effet de lentille gravitationnelle
les grands axes des images elliptiques des galaxies devraient être distribués
aléatoirement). Puis le méthode permet de reconstruire la distribution
(3d) de la supposée matière sombre qui pourrait produire de telles
images. En 1999 Mellier et Fort ont fait sensation en publiant une image couleur,
en perspective, représentant la distribution de matière sombre
dans une portion de l'univers, correspondant à une portion du ciel équivalant
à quelques degrés carrés.
L'image fut publié dans le journal de Monde et l'auteur de l'article, le journaliste Jean-François Augereau titra "la matière sombre existe, puisqu'elle dévie les rayons lumineux". Lien vers cet article. Tout ceci semblait à cette époque très impressionnant, marquer le début "d'une cartographie de l'invisible". Mais un an plus tard Fort (directeur de l'Institut d'Astrophysique de Paris, auquel appartient également Yannick Mellier) donna une interview à la revue Ciel et Espace (numéro de juin 2000), dans laquelle il évoqua quelques problèmes, jusqu'ici passés sous silence. La méthode avait conduit nos deux chercheurs à localiser deux concentrations de matière sombre particulièrement importantes (5 1014 masses solaires, l'équivalent de mille galaxies, masse comparable à celle des plus importants amas connus : l'amas de la Vierge ou l'amas Coma). Mais, fait déconcertant, ces régions du ciel sembaient remarquablement vides :
De tels résultats étaient évidemment très gênants et dans un premier temps les deux auteurs les passèrent simplement sous silence, espérant qu'il pourrait soit s'agir d'un artefact, soit d'un type nouveau d'amas émettant dans des fréquences particulières. De nouvelles observations furent donc effectuées, dans la gamme des UV ou de l'infrarouge, qui ne donnèrent rien de notable. Finalement Fort et Mellier baptisèrent ces objets "amas obscurs" (dark clusters), en précisant qu'on pourrait être en présence d'amas "constitués exclusivement de matière exotique", une matière bien singulière qui, bien que subissant le phénomène d'instabilité gravitationnelle, aurait le pouvoir de n'attirer que de la matière du même type. Fort, dans son interview de 2000, disait qu'il avait du mal à croire qu'un tel puits de potentiel n'ait pas attiré à lui quelques galaxies, du gaz ou des objets quelconque émettant des onres électromagnétiques. Ci-après, la reproduction de l'extrait de l'interview de Fort.
Participant à ce colloque de juin 2001 et y présentant une communication ("Twin matter against dark matter") j'étais donc très curieux d'entendre Meillier à l'occasion de cette manifestation. Celui-ci commença par déclarer qu'il était parfaitement confiant dans la validité de sa méthode de traitement des données. A cette occasion il remontra à l'écran la cartographie 3d qui lui avait valu une pleine page dans le Monde en 99, confirma l'identification de ses deux "amas obscurs" et ajouta qu'il avait, depuis, détecté un troisième objet du même type, tout aussi massif. Comme je le questionnai à propos de ces objets il me fit en public la réponse suivante :
- Personnellement, ces amas obscurs, je n'y crois pas....
Il fut impossible d'en savoir plus et j'avoue que cette réponse me déconcerta au plus haut point. De deux choses l'une : ou sa méthode souffre d'aléas qui ont jusqu'ici échappé à l'analyse, est susceptible d'engendrer des artefacts (qui correspondraient à ces objets éminemment déconcertants) ou elle est fiable et l'existence de ces trois objets soulève une question extrêmement troublante à laquelle on ne saurait répondre par une telle pirouette. Ajoutons que depuis la mise sur orbite de téléscope effectuant des observations dans la gamme des rayons X il s'est avéré que les amas étaient des sources très importantes avec des énergies tournant autour de 10 keV. En imputant ce rayonnement à de l'hydrogène chaud, ceci situe la température de celui-ci au alentours de cent millions de degrés, ce qui correspond à une vitesse d'agitation thermique de 1400 km/s.
Dixit Mellier : ses amas obscurs n'émettent pas non plus de rayons X.
L'explication d'un tel comportement peut s'expliquer en relisant simplement le sous-titre de ce colloque qui ne laisse place à aucune interprétation autre que celle de la dark matter. Ce comportement n'est pas une exception dans le monde de l'astronomie et de l'astrophysique contemporaines. Donnons un exemple. La fameuse loi de Hubble, selon laquelle le redshift et proportionnel à la distance de la source est devenue depuis longtemps une sorte de dogme. Toutes les sources doivent se plier à cette loi et celles qui par hasard refuseraient de le faire serait "à exclure". On sait qu'Halton Arp, véritable empêcheur de chercher en rond, prétendit identifier nombre de "redshifts anormaux". Comme, visiblement, il ne voulait pas obtempérer et admettre que ces clichés "aberrants" n'étaient que des erreurs d'observation il fut finalement interdit d'observation par ses collègues (ceux-là même qui distribuent des "temps d'observation") et déporté à New York. Si un colloque devait se tenir sur le sujet, il ne pourrait s'agir que de "surveys" visant à une meilleure définition de la "constante de Hubble". Tout travail qui ferait état d'une anisotropie du redshift, ou d'une variation significative de la fameuse loi pour des populations d'objets différentes ou de fluctuations quasi-périodiques dans une direction donnée serait considéré comme une daviance inquiétante, ou simplement comme un travail "hors sujet".
Lorsque j'ai décidé de présenter une communication à ce colloque, ma collègue Evangelina Athanassoula, chargée de Recherche au CNRS, en poste comme moi à l'observatoire de Marseille, accueillit cette nouvelle avec perplexité, considérant que mes travaux étaient "hors sujet". C'est effectivement une façon de voir les choses, mais je la trouve passablement non-scientifique (comme la remarque de Yannick Mellier à propos de ses propres travaux !). On ne sera donc pas étonné que les travaux que j'avais été admis à présenter à ce colloque n'aient guère suscité d'intérêt, ou de critique : ils étaient simplement "hors sujet". Le mardi 26 juin 2001, disposant de 40 photocopies de la "version longue" de ma communication (43 pages) et de 30 exemplaires d'une version abrégée (16 pages) je décidai de revenir à la charge, me rendis dans l'amphi où se tenait le colloque et disposai sur les tables, avant que ne débutent les premières sessions ces soixante-dix documents, avec la mention, au crayon rouge, sur la couverture : "take me, read me". Tous ceux-ci disparurent dans les sacoches des congressistes. Je n'en retrouvai aucun traînant par terre ou dans une corbeille à papier. En dépit de cette nouvelle tentative d'entamer une discussion, aucun des 200 congressistes ne prit contact avec moi. Dans les jours suivants, mes interventions pendant les séances tombèrent totalement à plat. Cirtons-en une. Un intervenant venait de faire un "survey" sur le problème général de l'effet de lentille gravitationnel, avant que ses collègues (dont Mellier) ne présentent leurs résultats les plus récents. Dialogue :
- On parle de plus en plus ces temps derniers de la possible existence, dans notre univers, d'une composante à énergie négative, répulsive du point de vue de la gravitation. Avez-vous envisagé les effets de lentille gravitationnelle qui résulteraient de la présence de concentrations de telles particules ? On aurait alors affaire à un "negative lensing". J'ai personnellement décrit ce genre de phénomène dans un article paru en 1995 dans Astrophysics and Space Science.
- Dans ce cas il s'agirait d'une lacune dans une distrubution homogène de matière à énergie positive.
- Non, ça n'est pas de cela que je veux parler. Il s'agirait d'envisager les effets créés par des objets possédant une énergie négative.
- Donc des lacunes dans de la matière à énergie positive....
Fin de la discussion avec, en arrière-plan, une salle totalement indifférente au problème. J'ai fini par dire aux congressistes :
- Nous sommes en juin 2001. Les analyses des effets de lentille gravitationnelle et la cartographie qui en résulte débouchent sur des objets incompréhensibles : les "amas obscurs". La dynamique des galaxies "impose le fait que la majorité de leur masse soit sous la forme d'un halo de matière sombre", que personne ne détecte et dont personne n'est à même d'indiquer ni la composition, ni l'origine. Toutes les tentatives d'identification de cette matière sombre se soldèrent depuis dix années par des échecs. Phénomène analogue pour les amas de galaxies où le rapport matière non-observée sur matière visible atteint cent. Les astronomes nous prédisent l'existence de trous noirs d'un million de masses solaires au centre de chaque galaxie, et personne ne les observe. Nous avons vu, pendant ce colloque, des collègues nous présenter des images sans cesse affinées, décrivant la Very Large Structure (VLS), la structure à grande échelle de l'univers. De toute évidence l'image "en bulles de savon jointives" se confirme d'année en année. Or, nous l'avons vu, les simulations numériques les plus poussées, axées sur de la CDM (Cold Dark Matter ou matière sombre froide) produise un univers filamenteux, qui semble n'avoir rien de commun avec les observations. Ci-après une image récente, présentée lors du colloque.
Pourtant vous avez vu les images que nous avons produites depuis déjà huit années :
et qui cadrent, elles, avec les observations :
Comment se fait-il qu'il s'avère absolument impossible d'établir un dialogue entre ces deux courants d'idées ?
Silence total.
A la même époque (juin 2001)
se tenait à Blois un colloque où des physiciens théoriciens
s'interrogeaient sur la nature d'un nouveau composant cosmique, baptisée
par l'un d'eux "énergie noire". Aux dires de certains cette
substance mystérieuse, ayant la propriété de repousser
la matière, à travers une force qualifiée "d'antigravitationnelle"
représenterait quelques 65 % du contenu cosmique. Pourquoi "antigravitationnelle"
? Parce qu'une accumulation d'observations effectuées sur des supernovae
à très fort redshift semble confirmer une accélération
tardive de l'expansion cosmique.
Cet objet a reçu plusieurs noms de baptème.
On remarquera que, de nos jours, faute de pouvoir mettre en évidence
l'existence de leur objet d'étude, que cela soit au plan expérimental
ou observationnel, les scientifiques produisent ... des étiquettes en
grand nombre. L'un des noms proposés est :
Quintessence
Ce mot est significatif. En effet la "quinte-essence" est la "cinquième essence", le "cinquième élément". Le mot est emprunté à l'alchimie, qui se fondait sur une description de la matière selon quatre éléments : l'eau, le feu, l'air, la terre. Voilà donc le cinquième. Notre physique théorique semble avoir régressé au Moyen-Âge. Mais cela n'a rien d'exceptionnel. En ce époque où l'obscurantisme fait tache d'huile, où on ne sait vraiment plus quoi est quoi, les scientifiques ressèrent les rangs derrière différentes bannières. Celle des astrophysiciens s'intitule "matière sombre", quant aux physiciens théoriciens, ils ne jurent plus que par les supercordes. Il ne faut donc pas s'étonner que les congrès scientifiques contemporains ressemblent à des assemblées de théologiens, rassemblés autour de systèmes organisés de croyances.
Le texte de notre communication au colloque international "Where is the Matter ?".