Pourquoi je ne dispenserai aucun cours de MHD,
ni à Supaéro, ni sur mon site

J.P.Petit

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12 décembre 2003 : J'avais prévu de mettre sur mon site un texte abondemment illustré reprenant tout ce que j'avais abordé lors de cette conférence qui s'étendit sur presque trois heures. Entre temps j'ai vu émerger tous ces projets "plasmas froids", dont certains étaient pilotés par le Cnrs lui-même. La France se découvre soudain un intérêt incoercible pour des thèmes de recherche pour lesquels je me suis battu, en vain, pendant plus de vingt ans, allant, tel Bernard Palissy, jusqu'à travailler dans une cave avec du matériel de récupération.

Tout cela m'a laissé soudain un goût de cendre dans la bouche. Un passé qui pour moi démarrait en 1965 est remonté dans des volutes d'une vase putride.

Certains trouvent mes textes grinçants, mon ton volontiers amer. Il est peut être bon que je donne le fond de ma pensée : le monde de la recherche, jeunes gens, est assez moche en règle générale. Non seulement il y a beaucoup de gens malhonnêtes, mais il y a aussi beaucoup d'autres qui sont stupides et très souvent ils sont les deux à la fois.

Il ne se passe pas de mois sans qu'un jeune étudiant m'adresse un message où il me dit "ça y est, j'ai trouvé ma voie. Je vais devenir chercheur". Alors, je l'en dissuade, en sachant que, peut-être, ça n'est pas mieux dans d'autres secteurs, peut-être. Je vais vous conter une anedote qui remonte à la fin des années cinquante. Je venais d'intégrer à Supaéro, à une époque où cette école était encore boulevard Victor, au sud de Paris. J'avais été invité à passer le week-end chez une amie qui avait épousé un type plein aux as, le comte de Pomereu. A sa table, Jean-François Revel et Nathalie Sarraute, plus d'autres dont j'ai oublié le nom. Je fus présenté à un certain Kreisl, qui m'expliqua qu'il était en poste à l'université de Princeton où il faisait de la logique mathématique.

- Mais vous n'êtes pas à Princeton en ce moment.....
- Non, je voyage un beu bartout et je zaute les betites étudiantes.
- Alors, vous n'êtes pratiquement jamais à Princeton ?
- Ja. De temps en temps je sors un betit théorème pour éviter qu'on m'emmerte. Mais il y a une jour où il vaut abzolument être à l'université. C'est le jour de la recollection, quand le dean fait son discours devant tous les enseignants et les chercheurs.
- Excusez-moi, mais étant jeune élève ingénieur, je ne sais pas ce qu'on appelle la Recherche.
- Ahr so ! Mon cher, c'est à zelui qui vole le premier !

La phrase m'est restée plantée dans l'oreille et je dois avouer que j'en ai fait maintes fois l'expérience. En fait, dans ce milieu, la seule façon de n'avoir aucun problème est de n'avoir aucune idée, ce qui est heureusement le cas pour l'immense majorité des chercheurs. Plus on a d'idées, plus on a d'emmerdements. Je dois dire qu'en attaquant avec la MHD j'ai été servi à peine un an après avoir intégré un labo du Cnrs. En 1966, comme les gens se prête actuellement à le rappeler dans certaines revues, j'ai été le premier type au monde à réussir à faire fonctionner un générateur MHD "hors d'équilibre", doté de deux températures franchement différentes. Quatre à six mille degrés pour le gaz, dix mille pour le "gaz d'électrons". J'avais trouvé une façon de "prendre l'instabilité de Vélikhov de vitesse" et ça a marché au premier essai. Tout a été torché en une matinée, je m'en souviens. J'ai présenté cela au colloque de MHD de Varsovie en 1967. Et là ont commencé les emmerdements. Des tas de gens ont cru que c'était le coup du siècle, en se disant "s'il a réussi à descendre la température du gaz de 10.000 à 4000 degrés, le reste du chemin doit pouvoir être fait. S'il est possible d'abaisser la température du gaz à 1500° Kelvin alors il existe des matériaux capables de résister à de telles températures. Les applications industrielles de ce procédé de conversion directe de l'énergie (thermique, puis cinétique) en énergie électrique avec un rendement pouvant atteindre 60 % représentaient des sommes phénoménales.

L'état de siège a duré des années, jusqu'à ce que je me dise, après sept années passées à l'Institut de Mécanique des Fluides de Marseille :

- Mon vieux, si tu restes dans cette boutique, tu vas devenir fou. Il faut trouver un moyen de filer d'ici.

Je suis alors devenu théoricien, en six mois. J'ai avalé toute la théorie cinétique des gaz comme un désespéré (le Chapman et Cowling : "The mathematical theory of non uniform gases, Cambridge university press). S'il avait fallu apprendre le Chinois pour pouvoir filer, je l'aurais fait. En moins d'une année j'avais bouclé une thèse de doctorat tout à fait présentable et obtenu de Lichénrowicz, académicien et mathématicien un avis très favorable sur ce travail. Avec cela j'ai pu dégager de cet abominable panier de crabes (le laboratoire est aujourd'hui dissous)

J'ai enlevé la second membre à mon équation de Boltzmann, comme on élague. C'est devenu l'équation de Vlasov. Je l'ai couplée à l'équation de Poisson, j'ai transformé mes électrons en étoiles et je suis devenu astrophysicien, à l'observatoire de Marseille. Là-bas, c'était calme comme dans une maison de retraite. Toujours pour éviter les ennuis je n'y ai réclamé ni crédits, ni locaux, ni frais de mission, rien. Il n'y a rien de tel que d'être modeste dans ses demandes pour jouir tranquillement de la vie pendant qu'on regarde les autres s'étriper pour le moindre sou. J'ai souvent comparé le monde de la recherche-université à un poulailler, souvent assez minable. Une fois par an le fermier vient jeter une poignée de grain. Les volatiles, décollant de leurs perchoirs s'étripent alors en tentant d'en capter le maximum. Ces gallinacés nommés universitaires se battent aussi férocement pour conquérir des perchoirs d'où ils peuvent alors crotter sur ceux qui sont en dessous. Je crois que le plus extraordinaire dans ce milieu est que les gens y déploient les mêmes énergies que dans la série "Dallas" pour des sommes ridicules. Des intrigues de palais d'une subtilité à provoquer l'admiration des Vénitiens, des complots fort subtils et longs à préparer sont ourdis pour conquérir des postes et des pouvoirs parfaitement dérisoires.

Les scientifiques sont souvent ennuyeux, mais la science est amusante, heureusement, quand on décide de la vivre à la manière de Lanturlu. En 75-76 j'ai fait une "rechute" en MHD, qui a conduit à toute une autre série d'aventures que j'ai conté dans un livre "Enquête sur les OVNIS", chez Albin Michel. Encore des histoires pas très très brillantes. Mais elles sont monnaies courantes. Je ne sais pas si vous avez lu le livre "la Double Hélice", écrit par Watson, qui partagea son prix Nobel avec Crick, son aîné. Ces deux-là étaient alors au laboratoire Cavendish, dirigé par "le fils Bragg". Pas Bragg père, cristallographe célèbre, inventeur de la loi du même nom. Watson raconte qu'un jour Crick avait exposé une idée en séminaire et avait eu la mauvaise surprise de la voir publiée par ce Bragg-fils, quelques semaines après. Il était alors entré dans le bureau de celui-ci pour s'en plaindre. Bragg, sans lever le nez du journal qu'il était en train de lire lui fit cette réponse :

- Monsieur Crick, je vous rappelle que vous êtes simple contractuel dans ce laboratoire et que votre situation pourrait être reconsidérée à tout moment. Vous pouvez disposer.

Eh oui, c'est très souvent comme cela que ça se passe. Moi qui vous parle, j'en ai vu et vécu des vertes et des pas mûres. A bon entendeur, salut. Comme mon vieil ami Jacques Benveniste, je n'ai jamais non plus baissé pavillon, mais suis couturé de cicatrices, comme un vieux rhinocéros. En y réfléchissant je ne suis pas sûr que si j'avais su tout ce qui m'attendait, je me serais engagé dans cette voie.

Dans le domaine de la MHD, celle qui m'a apporté le plus d'emmerdements c'est l'armée, grande consommatrice de marrons-retirés-du-feu-par-d'autres. Dans mon cas, ce qui est drôle avec le recul c'est que les marrons n'ont jamais été assez cuits pour être consommables. J'ouvrais la voie en réussissant mes manips au premier essai. Puis ceux qui voulaient s'engouffrer dans la brèche se trompaient de couloir et finissaient dans d'horribles sables mouvants. En fait on pourrait comparer la MHD à l'exploitation d'un filon serpentant au sein d'une roche très dure. Quand on attaque dans la bonne direction la Nature se montre bonne fille, la physique offre ses meilleurs fruits. Mais il faut à tout moment savoir suivre le filon, quitte à obliquer dans telle direction ou dans telle autre. Sinon le pic se brise sur des difficultés plus infranchissables que la roche la plus dure. Amateurs s'abstenir. Dans mon sillage l'histoire s'est rééditée une bonne demi-douzaine de fois. Quand j'aurai le temps j'exposerai, images et documents à l'appui, le fiasco du Cnes de 79, l'échec du tandem Esterle-Zappoli, qui entraîna la dissolution du Gepan, en catastrophe et la mise au placard des intéressés, pour éviter le scandale (je m'étais procuré le rapport, que j'ai toujours, décrivant en long et large leurs maladresses, liée à leur incompétence).

Quand j'ai fait cette conférence à Supaéro j'ai révélé à cette jeune classe que les idées que j'avais présentées dans mon livre n'étaient que des idées brutes, schématiques, qui cachaient des difficultés formidables, dont je connais depuis pas mal d'années , je le confesse, la nature et ...les solutions. J'ai pronostiqué un nouveau planté des ingénieurs militaires, dans ce domaine, aussi sévères que les précédents. Ceux qui connaissent mon histoire savent qu'à chaque fois que j'ai prédit des catastrophes elles sont arrivées. Parfois je pense à cette scène d'un film des Marx Brothers où un policier avise Harpo, qui a la main posé sur une maison. Il lui intime l'ordre de circuler. Mais Harpo explique par gestes que s'il part, le bâtiments va s'effondrer. Le policier refuse de le croire et l'entraîne.

Alors la maison s'écroule effectivement.

Quand j'ai discuté avec mes homologues Américains nous avons bien ri en évoquant les fondrières dans lesquelles les chercheurs Européens allaient donner tête baissée. Mais vous ne trouverez nulle mention de ces problèmes dans mon livre, ni dans des notes. Tout cela est quelque part, dans mon cerveau, rangé entre deux neurones et ça n'en sortira jamais. De l'intox ? Ceux qui me connaissent savent que je ne bluffe jamais. De toute façon les faits seront là pour confirmer mes dires, une fois de plus.

Bien sûr, cette conférence a passionné les étudiants. Je leur ai carrément dit "Initialement cette école s'appelait l'ENSA, l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique. Au la charnière des années soixante elle a changé de nom en devenant l'ENSAE, c'est à dire l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique et de l'Espace. Je vous prédis un nouveau changement de nom, un jour. Ca pourrait devenir l'ENSAEM, c'est à dire l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique, de l'Espace et de la Magnétoaérodynamique". Car la MHD n'est pas un prolongement de la mécanique des fluides de grand papa, celle des équations des frères Navier et Stockes. A l'inverse c'est la mécanique des fluide qui est un sous-ensemble de la MHD. Un jour toutes les machines volantes mettront en oeuvre des principes de MHD, fileront dans des cocons de plasma dit "froids", bitempératures à plus de dix mille kilomètres à l'heure dans l'air raréfié. Les idées que j'ai évoquées dans mon livre débouchent sur une aviation civile hypersonique, permettant d'atteindre les antipodes en deux heures. Le saut est le même qu'entre l'avion de Lindberg et Concorde. Il faudra aussi repenser le spatial de A à Z. Ces machines MHD peuvent se transformer en lanceurs réutilisables ou même carrément en navettes capables de décoller par leurs propres moyens, à l'aide de ... turboréacteurs, de grimper en s'appuyant sur l'air, de se satelliser, puis d'effectuer un retour très "soft" en mettant en jeu un "bouclier MHD" et non un classique système à ablation ou à "tuiles réfractaires". Pour comparer les performances de "lanceurs MHD" aux systèmes actuels il vous suffit d'imaginer qu'on n'ait pas encore inventé les ailes et que pour effectuer un voyage aérien vous n'ayez droit qu'à des réacteurs de sustentation, ou à des fusée. La charge utile fondrait alors comme neige au Soleil. Il serait amusant de soumettre ce problème à des étudiants de Supaéro, lors de "bureaux d'étude".

Il serait possible, dès maintenant, d'étudier ces super-Concorde de demain, ces véhicule satellisables et ça serait passionnant. Mais avant cela il faut que le Diable ait sa part pendant de longues années. C'est le nom de code de l'Armée, dans les milieux recherche (pensez à mon livre "Les Enfants du Diable", Albin Michel 1995. Le titre vient de là). Une recherche militaire qui se donne tous les droits, sous couvert du secret défense, pour qui les mots "pillage", "gâchis", "erreurs monumentales" sont dénués de sens. Si je délivrais un enseignement de physique des plasmas froids et en MHD (ce qui n'existe présentement pas en France) cela remettrait cette soldatesque en selle. Les vannes seraient ouvertes, les inondants de louis d'or. A la réflexion, je garderai mon savoir pour moi. Je trouve qu'on gâche déjà assez d'argent dans les entreprises militaires (bombes, missiles, sous-marins nucléaires) pour qu'on ne permettent pas un des gens d'en rajouter.

Quand j'aurai le temps je mettrai sur mon site un cours d'astrophysique théorique, niveau DEA, correspondant à un autre savoir perdu, évaporé dans les années soixante. Dans les DEA d'astrophysique d'aujourd'hui on apprend aux étudiants à manipuler des programmes pour effectuer des simulations numériques. Matière sombre froide, chaude à tous les repas. Hélas le fait de disposer d'une grosse puissance de calcul n'a jamais rendu plus performant. A l'observatoire de Marseille Lia Athanassoula et son époux Bosma en savent quelque chose. La première a fait tourner pendant vingt ans des "galaxies numériques" qui perdaient leurs bras spiraux au bout d'un tour. Elle a fini par baisser les siens. Le second saupoudre au quotidien les galaxies de matière sombre pour "fitter leurs courbes de rotation". Peut-on appeler cela de la "théorie" ? Du bricolage, tout au plus. Les solutions sont ailleurs. Mais il faut mettre quelques neurones en action. J'expliquerai tout cela et les étudiants se diront, confrontés à l'élégance de ces approches théoriques "mais pourquoi ne nous enseigne-t-on pas cela ?"

Mais pour la MHD, ça sera non. C'est pour cela que je ne finirai pas ce compte-rendu de conférence. J'ai d'ailleurs abandonné en 86, il y a déjà plus de sept années, au terme d'une saga peu reluisante (lire Enquête sur les OVNI, Albin Michel). Le colloque de Brighton n'a fait que réveiller un bref instant cet intérêt.

On a pu lire que "La France se passionnait pour les plasmas froids". Mais quand des étudiants en DEA de physique des plasmas (chauds, ceux des tokamaks, ou à nombre Reynolds magnétique fort, ceux de la couronne solaire) se cherchent un labo où faire une thèse sur ces fameux plasmas bitempératures, apparemment, ça rame. La soldatesque s'impatiente et ses chasseurs de tête se tournent vers tous ceux qui ont publié avec moi. Hélas, l'étudiant, simple manipulateur de robinets, qui bénéficia d'un prix scientifique pour ces travaux de MHD, auxquels il se contenta de participer (ce qui fut pour lui un fantastique tremplin de carrière) aurait toujours été bien en peine de décrire l'instabilité de Vélikhov, faute de l'avoir jamais comprise. Et ceux qui publièrent avec moi en théorie cinétique des plasmas bitempérature trouvèrent dans cette cosignature le remerciement pour une contribution des plus modestes, en général un petit calcul numérique effectué sur ordinateur.

Les Américains et les Russes peuvent dormir sur leurs deux oreilles : l'Aurora Français (ou même Européen) n'est pas pour demain, pas plus que les cours de MHD à Supaéro. Pas de chance : la MHD bitempérature se prête mal aux simulations numériques "brutes". Dans ce domaine, sans matière grise le processeur reste inopérant.

Dans l'Enfer, de Dante, on peut lire :

Non siamo fatti per vivere come bruti, ma per seguire la virtù e la cognosença

Nous ne sommes pas faits pour vivre comme des brutes, mais pour suivre les chemins de la vertu et de la connaissance

 


1 - Histoire de la MHD en France, généralités.
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