Requiem pour un Funambule

2 février 2006

14 février 2006 : Un témoignage

 

Ca y est, il est tombé. Le public-voyeur pourra se tourner vers d'autres héros, d'autres exploits. Voici le dernier communiqué mis en place sur son site - blog par son épouse Katia :


Jean-Christophe Lafaille : ALPINISTE


"Quand on aime la montagne, on accepte qu'elle soit la maîtresse des règles"

Communiqué de Katia Lafaille
Mercredi 1er février 2006 9:00

Ce 1er février je pars pour le Népal. Le 4 février, je vais faire une reconnaissance en hélicoptère du Makalu (la même que celle qui a eu lieu hier le 31 janvier). Je guetterai encore les traces de mon mari dans l’immensité de l’Himalaya et lui dirai « Au revoir » au nom de son « pt’it gars » Tom… et de Jérémi.
Je récupérerai ensuite son équipement au camp de base avant de retourner sur Katmandou.

Merci de l’hommage que vous rendez à Jean-Christophe, un papa, un mari, un alpiniste exceptionnel et irremplaçable.

Katia Lafaille

 

Dans les salles de rédaction on peut imaginer les dialogues :

- Qu'est-ce qu'on fait ? On couvre de voyage de la femme de Lafaille au Makalu ?
- Il y a déjà eu un dossier hier ...
- Elle passe bien, quand même. Belle fille, superbe, même. Et il y a eu ce plan où on voit le corps de ce Japonais que Lafaille avait découvert sur un glacier, mort gelé. Ca, c'était choc, non ? Un des six cent morts des sommets Hymalayens.
- Oui, mais là, on a pas le corps de Lafaille. Moi, c'est celui-là qui m'intéresserait. Avec des plans sur son emport par hélicoptère, per exemple.
- Mais on pourrait quand même montrer des photos prises dans sa tente, au dernier camp de base. Je vois très bien la photo de son fils de cinq ans, au milieu du désordre.
- Moui. Mais alors des photos suffiront. C'est une affaire pour Paris-Match. Ils trouveront bien un titre. Qu'est-ce qu'il y a d'autre ? ....

Katia Lafaille mettra du temps à réaliser. Pour le moment elle doit être sous le choc. Son gosse aussi. Comment, à cinq ans, réaliser que papa est transformé en bloc de glace, dans une crevasse hymalayenne ?

Avec le temps Madame Lafaille réalisera que la fête est finie. Les spectateurs du grand cirque ont quitté le chapiteau. Il ne reste que la sciure de la piste, avec une trace de sang, là où le funambule est tombé sous les feux des projecteurs. Le directeur du cirque " multimédia " se râcle la gorge.

- Madame, excusez-moi, je dois fermer....

Elle quitte le chapiteau et, derrière elle, le directeur éteint les projecteurs. On attend le prochain funambule prévu au programme. Ceux-ci se pressent à l'entrée du cirque. Beaucoup se tuent d'ailleurs sans bénéficier de funérailles médiatiques, comme ce Japonais anonyme dont Lafaille avait retrouvé le corps gelé, sur un névé.

Tous les sommets ont été gravis, toutes les faces. Il reste à accroître les risques pour capter l'attention des gens : faire des hivernales " quand le froid rend l'opération encore plus dangereuse ".

Quel est le ressort dans tout cela ? L'amour de la montagne ? Cette seule passion ? Hmmmm....

J'ai bien connu Jacques Mayol. J'ai plongé, participé à une expédition avec lui, à Cay Sal Bank (regardez sur un Atlas, ça se situe entre Cuba et la Floride). Ce qui faisait courir Mayol c'étaient les feux de la rampe. Sans eux il cessait d'exister. Très tôt il trouva une astuce pour accroître ses performances en apnée : il séjournait en altitude, au Lac Titicaca, à 3000 mètres, pendant un mois avant chaque exploit. Cela, il se gardait bien de le crier sur tous les toits. Puis, devant les caméras il y avait tout le cinéma. Le Yoga, le côté initiatique et tout le bastringue.

Autour de la soixantaine il a été la vedette d'un dernier "dossier". Ca devait être pour FR3-Méditerranée, je crois. Mais cette fois là, bien que la profondeur visée ait été modérée ( 70 mètres ) tout a foiré. Mayol avait un peu d'otite et à mi-parcours il a du quitter sa selle de vélo ( nouveauté : il descendait en position assise ) pour regagner la surface. L'attitude des gens de télé devint claire :

- Mayol ? Sans intérêt. Il a vieilli. Maintenant les exploits sont d'un autre ordre.

Seul comme un rat, celui qui prêta son image emblèmatique au " Grand Bleu " ( pour une somme dérisoire, au passage ) se pendit un soir de Noël dans sa maison de l'île d'Elbe.

15 avril 2006 : Des précisions apportées par un lecteur.

La sécurité ne donne pas un bon audimat

Avant de travailler dans le milieu de la formation aéronautique j'étais plongeur professionnel (BEES1 et CII). L'émission de télé que vous évoquez a eu lieu en direct, le dimanche 3 juin 1990 au large de Cassis, sur le site de plongée au sud de la pointe Cacau. Réalisateur de l'émission : Canal+ Titre de l'émission : "Jacques Le Dauphin". Objectif : Descente de Jacques à 60 m en direct Moyen techniques : 75 personnes venues de tous les horizons, dont 20 plongeurs professionnels pour assurer la sécurité de Jacques. Je faisais partie des 20 plongeurs pro. Ma mission, la sécurité de Jacques à 50 mètres.

Nous avons pour cela utilisé la barge d'entraînement en haut profonde de l'INPP de 400 t et du navire de surface le "Recteur Dubuisson", catamaran océanographique de l'université de Liège de 22 m. Les conditions de travail était loin d'être faciles, car c'était la première fois qu'un studio de télévision complet était installé en pleine mer, en condition du direct.

Le jour J, après plusieurs jours d'entraînements sur site, Jacques eu un problème avec un de ses tympans à 50 m. Il a dû remonter accompagné des plongeurs de secours et ainsi renoncer à sa prestation devant les caméras.

Des millions de francs furent dépensés pour la sécurité d'un seul homme en quelques jours ... Et effectivement rien n'a été dit sur les dangers réels de cette pratique.

S.T.         

 

Le risque zéro n'existe peut être pas, mais il y a des nuances. J'ai été moniteur d'escalade, du temps où on pitonait encore, quand les voies n'étaient pas encore équipées. Personnellement je passais du 5 sup, à l'occasion du 6, ce qui ferait sourir les amateurs aujourd'hui. Aucun de nous n'était à la merci d'un dévissage mais nous grimpions en faisant tout pour éviter d'en arriver à cette extrêmité, alors qu'aujourd'hui c'est courant. Le but du jeu n'était pas de s'en remettre au hasard mais de savoir rester bien en dessous de ses possibilités maximales. Il n'y avait pas de vedettariat, par d'exploit. Le plaisir c'était la beauté des paysages, le contact avec le rocher, l'élégance du mouvement. Jean Lecomte, notre mentor, nous montrait qu'une suite de mouvements bien coordonnés permettaient de franchir avec aisance un passage qui semblait très difficile. C'était ça, le must, qu'il pratiquait comme un art. Je dois énormément à cet homme et en particulier de m'avoir fait vivre la grimpe de façon saine et humaine, dans la simplicité et l'humour.

Jean Lecomte

Jean, qui vit toujours à Bruxelles et que j'irai voir un jour prochain, comme chaque année, était un des meilleurs grimpeurs de son époque et il avait fait pas mal de haute montagne. Il vendait du (bon) matériel. Mais il n'y avait aucun vedettariat. Nous ne prenions même pas de photos. Ca ne nous serait même pas venu à l'idée. Les caméras vidéo n'existaient pas. Le but premier était de constituer une cordée. Celui-ci qui grimpe en tête remet en quelque sorte sa vie entre les mains de celui qui l'assure. Avec un cordée, on peut emmener des gens faire des voies qu'ils ne pourraient faire en tête. La grimpe, c'était avant tout l'amitié, quelque chose de partagé. Le bivouac, casser la croûte en pleine paroi, plaisanter.

Aujourd'hui il y a l'escalade en solo, complètement déshumanisée, exercice d'un narcissime désespérée. Ses exploits, Jean-Christophe Lafaille les faisait seul. Pour des gens de ma génération c'est la négation de la façon de vivre le rocher ou la montagne. Un jour j'ai lu les paroles d'une cahmionne de l'escalade en solo qui déclarait "que pour faire ce sport il fallait être bien dans son corps et bien dans sa tête".

" Dans sa tête" ? Je pense que ça serait plutôt l'inverse. Pour aimer ainsi flirter avec la mort en s'exhibant il faut abriter un désespoir secret, une incapacité de vivre et une quête désespérée de reconnaissance et d'identité à travers le regard des autres.

Le côté roulette russe dépasse aussi notre entendement. Il est inhérent à l'escalade en solo. Un becquet de rocher peut toujours lâcher, une prise se révéler glissante. J'ai connu au début des années soixante un des pionniers de cette escalade en solitaire, un Belge du nom de Barbier qui s'était illustré en réussissant des premières spectaculaires, seul, dans le massif des Dolomites, en Italie. C'était un garçon sombre, peu communicatif. Nous nous sommes croisés un jour dans une voie assez facile appelée "la corde magique", dans le massif des Ardennes Belges nommé Freyr, du nom d'une déesse nordique : Freya.

La " Corde magique "

C'était un passage qui avait été équipé pour permettre de passer d'une voie à une autre, afin d'enchaîner des longueurs plus "aériennes". Comme on peut le voir sur la figure, un piton avait été scellé dans une fissure, auquel pendait une corde de nylon reliée à un lest de forme cylindrique. Ce système ne présentait aucune difficulté dans la mesure où il y avait toujours un des membres de la cordée assurant l'autre, lequel était lui-même sécurisé par une assurance personnelle mousquetonnée sur un piton, avant, puis après le passage. Cette sécurité devenait bien sûr inexistante si on franchissait ce passage en solo.

A Droite, moi ami Jean-Claude Mitteau et moi qui continuons l'escalade après avoir franchi cet espace, tel Tarzan accroché à sa liane. Juste après nous, deux Suisses. Derrière ces deux-là, seul, Barbier.

La corde avait dû permettre le passage de milliers et de milliers de grimpeurs. L'attache lâcha au passage d'un des deux Suisse, sous les yeux de Barbier. Son second de cordée le retint, pendu comme un jambon en pleine falaise, avec du gaz en dessous, largement de quoi se fracasser. Cela ne découragea nullement Barbier qui se contenta de se tuer quelque part quelques années plus tard, en toute discrétion. A l'époque les sports de grimpe n'intéressaient pas les médias, ou très peu.

L'escalade en solo c'est toujours la roulette russe. La Haute Montagne aussi, pour de multiples raisons. Bons grimpeurs, nous avons fait une saison à Cham, Jean-Claude et moi. L'année précédente il avait fait la face Nord de Drus avec Lecomte. Après une nuit au refuge du Plan nous étions partis faire le Grepon, un classique du massif. Pour rejoindre le pied de la voie on devait longer la barrière de séracs du glacier des Nantillons. Le Guide Vallot disait "il tombe un sérac par jour". C'est donc en trotinant que nous franchissions, encordés et tenant des anneaux de corde à la main une sorte de sentier de glace courant sous la barrière. Soudain j'entends un craquement. Je me retourne et je vois, derrière mes fesses un bloc de glace se détacher, de la taille d'un autobus. J'ai dit à Jean-Claude :

- On peut ralentir l'allure. Il est tombé....

En arrivant en haut de la voie on a trouvé un hélico qui emmenait, dans des sacs à viande, deux grimpeurs qui étaient morts gelés, la nuit précédente, n'ayant pas su négocier un dévissage en falaise. Je crois qu'il y a cent morts par an, à Chamonix. Tous n'ont pas les honneurs des médias. Et même les guides les plus chevronnés se tuent. Je me souviens d'un copain de promo, Pierrot Baud, chef pilote à Airbus, qui avait voulu faire une descente en ski, sur glacier, avec des amis, en s'assurant les services d'un guide, d'un pro de la montagne.

- Il était en tête. Il est parti dans une crevasse. On n'a pas pu le sortir, même avec une corde. Le problème est que la chaleur du corps fait fondre la glace. L'eau se mêle au vêtement et regèle et le gars se retrouve soudé à la fissure de glace où il se retrouve coincé. On l'a vu mourir sous nos yeux sans pouvoir rien faire.

Les médias parlent peu des accidents, des dangers. Tant que le funambule est sur sa corde, on le filme. Après, on s'en fout, on passe au suivant. Eh puis, rendez-vous compte, filmer un corps, un mort ou un blessé ça serait... morbide, malsain, non ?

Il y a des tas de pays où survivre et faire vivre les siens, faire bouffer ses gosses est un problème quotidien. Dans nos pays riches on s'offre le luxe de jouer avec sa vie. On transforme même ce jeu en affaire absurde. Voici ce qu'on trouvait sur le site de Lafaille :

 

 

Pour tout partenariat et évènement avec J.C. Lafaille,
contactez Lafaille Communication

Katia Lafaille - Le routeur météo
L'équipe
La société Lafaille communication a vu le jour en avril 2001. Elle est gérée et dirigée par Katia Lafaille, contact : katialafaille@aol.com dont voici le rôle :
Valorisation des performances sportives et des exploits réalisés par Jean-Christophe Lafaille auprès de la presse télévisée, écrite, radio et internet du monde entier.
Recherche de nouveaux partenariats à travers une collaboration flexible, modulable et à la « carte » en fonction des attentes, des besoins et objectifs d’une entreprise.
Organisation et gestion de l’emploi du temps de JC.Lafaille. Il est ainsi disponible et concentré sur son entraînement, dans la préparation de ses projets très exigeants et dans la mise au point de son matériel technique qu’il développe en collaboration avec ses partenaires.


Organisation des conférences avec les demandeurs (déroulement de l’intervention, conseil sur le support à utiliser en fonction des attentes, mise à disposition de photos pour une pré-communication de l’événement, etc…)
Gestion de l’utilisation de l’image afin que celle-ci soit utilisée en cohérence avec les valeurs que Jean-Christophe véhicule.
Interlocutrice des partenaires et de la presse qui peuvent, sans le vouloir, exercer une pression sur la préparation physique et psychologique de Jean-Christophe.
Valorisation des partenaires avec lesquels nous collaborons (visibilité sur l’équipement de Jean-Christophe, citations de ces derniers dans la presse, présence sur ce site internet, etc …)

Création de produits de communication ayant pour objectif la mise en valeur de Jean-Christophe et ses partenaires dans les exploits de ce dernier : films – livre – posters – carte postale.

Organisation logistique des expéditions de Jean-Christophe Lafaille
Réalisation de reportages photographiques et vidéos en complément des images que ramènent Jean-Christophe de ses expéditions.
Suivi des expéditions de Jean-Christophe Lafaille en temps réel sur ce site.
La notion d’encouragement et de coaching tout au long de l’année.Ce travail nécessite une parfaite connaissance du sportif, de ses points forts, de ses faiblesses afin d’optimiser au mieux son rendement tout en ménageant ses capacités physiques et psychologiques.
Katia Lafaille - Le routeur météo

 


T
out d'un coup ce texte devient ... dérisoire, non ? Combien de temps restera-t-il sur son site ?


Jetez aussi un oeil à cela
:

"L'espoir de retrouver vivant Jean-Christophe Lafaille est désormais nul (...). L'alpinisme français perd aujourd'hui l'un de ses plus brillants représentants, mondialement reconnu tant par ses performances que par ses qualités humaines", a affirmé Jean-Claude Marmier, président du comité de l'Himalaya de la Fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME).

Après cinq jours sans nouvelle du plus prestigieux des alpinistes français, le conseiller montagne au ministère de la Jeunesse et des Sports, Serge Koenig, qui supervise les opérations de secours, a expliqué que "médicalement parlant, un délai de survie pour un homme à 8.000 m est de cinq jours maximum et cela dans les meilleures conditions possibles".

Les notables s'expriment.

A-t-on le droit de faire du risque mortel un métier, quand on a un gosse de cinq ans ? Moi, je dis carrément non. De même que ça n'est pas une bonne action que de faire figure de modèle pour toute une jeunesse, comme ce fut le cas de Mayol, dont les exploits amenèrent des centaines de gosses à se tuer, dont le mien. A une époque, après la mort de mon fils j'avais dit à celui qu'on surnommait désormait " Grand Bleu "

- Jacques, il faut avertir tous ces jeunes des dangers qu'ils courent, sans même le savoir. Aide-moi.

Il avait fait la sourde oreille, ne voulant pas perdre tout intérêt vis à vis des médias. Il a fini pendu à son lustre : sa dernière apnée.

Mais l'Etat Français a reconnu l'existence d'une Fédération de l'Apnée. Il n'y a pas encore de Fédération Française de la Roulette Russe mais je suppose qu'un jour cela viendra.

Ca ne marche pas toujours. Il y a des fédédations qui réagissent à temps et optent pour un comportement responsable. La chute libre n'est pas un sport suicidaire en dépit de son aspect extrêmement "décoiffant". On a même doté tous les parachutes de systèmes altimétriques à ouverture automatique.

Dans les années soixante les parachutistes se livraient à des compétitions en pratiquant des "ouvertures basses". Des interdictions de saut décrétées par la fédération calmèrent vite ces nouveaux champions sinon nous aurions peut être une Fédération Française des Ouvertures Basses, avec des prises de photo signant les nouveaux records. Nous aurions eu droit à des manchettes comme " La barre des cinquante mètres-sol bientôt franchie ".

J'ai de la peine pour madame Lafaille et pour son fils. Je ne sais pas comment ce gosse arrivera un jour à négocier la mort de son père. En suivant ses traces ?

Qui est responsable de tout cela ? Vous, moi, les médias. Il est effarant qu'on puisse sponsoriser des entreprises qui ne sont rien d'autre que l'exhibition, la médiatisation de flirts malsains avec la mort.

 

Si la foule n'emplissait pas les stades il n'y aurait plus de gladiateurs.

 


Un témoignage d'un ami alpiniste :

 

 

Cher JPP

J'ai lu avec grande attention ce petit encart sur l'alpinisme et j'en ai été touché pour plusieurs raisons.

Pardonnez-moi si je vais être un peu long, mais vous connaissez ma profession et ces sujets me tiennent à coeur.

La traversée sous le glacier des Nantillons me rappelle à de nombreux souvenirs, dont un semblable à celui que vous relatez dans la face du Grépon.
Avec mon ami Pierre Chapoutot (le Chaps), décédé il y a dix jours dans une avalanche en Savoie à qui je rend hommage à travers ce court texte, nous avions entrepris d'escalader la face ouest des Grands Charmoz par une voie de difficulté D quand dans un dièdre, un bloc coincé sur lequel Chaps s'assurait s'est délogé et est venu droit sur moi au relais dessous, avec mon copain volant dans les airs au bout de sa corde.
Par un miracle que je ne m'explique toujours pas, le bloc (environ 1 m3) a explosé sur celui sur lequel je faisait relais et je me suis "réveillé" quelques instants plus tard serrant la corde à la taille et Pierre hurlant de douleur pendu 10 m au-dessus de moi, heureusemenr retenu par un piton planté juste avant. Au total beaucoup plus de peur que de mal et nous avons pu rejoindre avec de grandes difficultés ( j'avais les jambes et les bras en coton, une vertèbre déplacée, et Pierre la jambe tuméfiée ne pouvait plus grimper en tête) le haut du Glacier des Nantillons et rejoindre notre bivouac de la veille sur la moraine où deux jeunes Marseillais s'apprêtaient à occuper notre bivouac. Devant le triste état de nos vêtements déchirés, maculés de sang ils s'étaient inquiétés. L'ironie avec laquelle Chaps leur décrivit notre mésaventure, les dissuada de pousser plus loin leurs interrogations.

Aujourd'hui, trente ans plus tard, je reste persuadé qu'un miracle avait eu lieu ce jour-là, que je ne sois pas simplement écrabouillé sous la masse du bloc avec l'énergie accumulée dans sa chute d'une vingtaine de mètres.
Il m'a fallu trois mois après l'accident pour que soudain je réussisse à me souvenir de la scène précédent immédiatement l'arrachement du bloc, comme si la conscience n'avait pas eu accés à la mémoire inscrite pendant ces trois mois, je ne savais tout simplement pas pourquoi précisément nous avions eu cet accident. Et puis tout d'un coup tout est revenu, net et précis. La dernière pensée consciente avant l'impact du bloc avait été: "ce bloc de granite pèse au moins une tonne et il ne restera plus rien d'entier!" ensuite j'ai eu le réflexe et la volonté de "détourner" le bloc en mettant mes mains en avant puis le trou noir...
Voilà...

Pour ce qui est de Bonatti, permettez que j'apporte quelques précisions et rectifications sur cette histoire d'ascension avortée sur le versant italien du Mont-Blanc.
Il était parti en juillet 1961 avec deux amis Italiens Oggioni et Gallieni tenter la première ascension du Pilier Central du Frêney et ils s'étaient retrouvés en présence de deux cordées de Français qui avaient exactement le même projet: Vieille, Kohlman, Guillaume et Pierre Mazeaud. Ils se partagérent les longueurs d'escalade extrêment difficiles sur ce versant raide du Mont-Blanc quand ils furent arrêtés par le mauvais temps qui dura longtemps cette fois-là.
Au cours de la retraite dramatique les Français décédèrent d'épuisement l'un après l'autre à l'exception de Mazeaud qui survécut avec des gelures aux orteils (Pierre Mazeaud est l'actuel Président du Conseil Constitutionnel et accessoirement copain de Jacques Chirac) . Oggioni aussi est mort d'épuisement. Walter Bonatti qui était doté d'une constitution hors du commun avait eu la force et le courage de surmonter toutes les difficultés pour ramener en lieu sûr ceux qui avaient survécu à ces conditions exceptionnellement dures de cet été 1961.

Le bivouac qu'il dut improviser au K2 se situait à 8100 m sans aucun équipement et il était accompagné du chef des porteurs hunzas Madhi, qui subira de sévères amputations suite aux gelures de cette nuit. Bonatti n'eu aucune séquelle de ce bivouac redoutable.
Cette affaire de l'abandon de deux grimpeurs en pleine nuit à plus de 8000 m par les deux vainqueurs du K2 Lacedelli et Compagnoni, entacha d'ailleurs cette victoire italienne de l'himalayisme.

Tout cela est relaté dans un autre livre de Bonatti "Montagnes d'une vie" Editions Guérin Chamonix.

Cordialement.
Gilbert Guirkinger

 

 

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