23 mai 2005. Témoignage d'un revenu du OUI
A 15 jours de l'échéance électorale du
29 mai, je crois de mon devoir de citoyen d'apporter au débat
public quelques éléments tirés de
mon expérience personnelle. Je n'ai pas eu le courage
d'en prendre le temps auparavant, je le fais maintenant sans
plaisir.
De prime abord naturellement favorable au projet de Constitution
européenne - un « oui du cour » -, j'ai passé
tout le temps de la
campagne à l'intérieur de l'un des principaux
états-majors du Oui jusqu'à ce que, progressivement
confronté au texte lui-même par la nécessité
de répondre aux arguments du Non, j'en vienne à
réaliser que ce projet de Constitution était dangereux
pour la démocratie républicaine. Instruit par
les incohérences argumentatives du Oui, se sont bien
plutôt imposés à moi nombre d'arguments
favorables au Non, jamais entendus, qui m'ont retourné
et engagé à soutenir résolument un "Non
de raison". S'ils m'ont convaincus alors que j'étais
favorable au Oui, peut-être pourront-ils servir à
d'autres.
Je m'appelle Thibaud de La Hosseraye, j'ai 28 ans et une formation
à la fois commerciale (HEC, spécialisation «
Europe ») et philosophique (D.E.A). Sur les mérites
supposés de ces diplômes (et, peut-être,
d'un prix de l'Académie des Sciences morales et Politiques)
(1), j'ai été recruté en décembre
2004 par le club Dialogue & Initiative pour participer bénévolement
à
leurs travaux. Laboratoire d'idées du courant de pensée
de Jean-Pierre Raffarin, donc véritable « brain
trust » du Premier Ministre, Dialogue & Initiative
est structuré en Commissions chargées d'approfondir
différentes thématiques en vue d'alimenter la
réflexion des parlementaires se reconnaissant dans cette
sensibilité politique (2).
J'ai pour ma part intégré la Commission Europe.
Mais ce que je n'avais pas prévu, c'est que, d'une réflexion
de fond devant
initialement porter sur le contenu de l'identité européenne,
nous allions bientôt nous trouver engagés de plain-pied
dans la campagne référendaire. Dès janvier
2005, il n'a plus été question de réfléchir
posément à la définition de « la
meilleure Europe possible », nous étions activement
mobilisés pour produire des argumentaires en faveur du
Oui.
Ayant toujours été très favorable à
la construction européenne et n'éprouvant aucune
réticence à l'idée de la doter d'une Constitution,
je me suis volontiers adapté, et j'ai commencé
à étudier de près ce projet de Constitution
pour produire des argumentaires de soutien. Cela était
somme toute cohérent : c'est parce que ma spécialité
supposée était l'argumentation que l'on me missionnait
à présent en priorité sur la rédaction
d'argumentaires.
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Alors que je m'acquittais du moins mal que je pouvais du travail
que l'on m'avait confié, j'ai été, au milieu
de la campagne, lors d'une
de nos réunions hebdomadaires du lundi (3), troublé
d'entendre le participant le plus autorisé énoncer
sur le ton de l'évidence que « comme on ne peut
pas contrer les arguments du Non, il faut le discréditer,
le ringardiser »(4) .. sans que
cela ne soulève la moindre vague de protestation chez
les participants. Outre son caractère déontologiquement
contestable, cette stratégie me paraissait se fonder
sur la résignation à une déconvenue théorique
: or, pour ma part, c'était parce que j'étais
convaincu de la plus grande pertinence des arguments du Oui
que j'acceptais de militer en sa faveur.
Mais, du jour où je constatais que ceux-là même
qui proclamaient haut et fort leur attachement au projet de
Constitution n'hésitaient
pas, dans le même temps, à reconnaître la
supériorité théorique des arguments du
Non. sans en tirer pour eux-mêmes de conséquences,
j'étais en droit de m'interroger sur leurs motivations
réelles à soutenir leur camp. Si ce n'était
pas par
conviction, pour quelle raison, alors ?
Nul ne peut le dire à leur place. Mais, pour ce qui
est des responsables politiques eux-mêmes, dont les participants
aux réunions de
Dialogue & Initiative ne sont que les fidèles collaborateurs
(plus ou moins directs), il suffit ici de constater combien
leur engagement si fébrile en faveur d'un Oui qui ne
les convainc pas paraît à tout le moins accréditer
l'hypothèse que leur spontanéité à
choisir leur camp se trouve limitée par l'intérêt
direct qu'ils ont à ce que cette Constitution soit ratifiée
: en cas de victoire du Non, ils seraient les premiers à
en faire les frais dans la mesure où ils seraient définitivement
discrédités pour renégocier quelque nouvelle
Constitution que ce soit.
Et en effet, si cette Constitution dont gouvernements de droite
comme de gauche se sont rendus responsables(5) ne passe pas,
le
problème n'est pas qu'elle ne pourra pas être renégociée
(6), mais seulement que c'est par eux
qu'elle ne pourra pas l'être (cf. l'argument 11). Dès
lors il devient impératif, pour tout professionnel de
la politique disons un minimum soucieux de son avenir, d'user
de tous les moyens disponibles pour faire passer cette Constitution,
qu'il soit ou non convaincu de ses bienfaits.
Ce à quoi nous assistons.
Pour ma part, la prise en compte de ce caractère irrationnel(7)
du soutien au projet de Constitution m'a enjoint à un
surcroît d'exigence
intellectuelle : puisque les arguments d'autorité qui
m'avaient jusqu'alors impressionné en faveur de la Constitution
ne me paraissaient plus recevables, parasités qu'ils
étaient par des calculs personnels, je ne pouvais désormais
prendre appui, pour soutenir mon Oui, que sur des arguments
dûment fondés en raison.
Autrement dit, cette remarque si révélatrice
faite tout haut en réunion, jointe à mon côtoiement
régulier des membres de cabinets
ministériels (lors de nos réunions hebdomadaires),
m'a donné une succincte mais suffisante connaissance
du contexte qui m'a reconduit à une lecture plus attentive,
davantage littérale du texte lui-même. Pour mon
travail sur les argumentaires, on ne me demandait d'ailleurs
pas autre chose, et puis, n'avais-je pas été recruté
aussi pour l'indépendance d'esprit censée permettre
un authentique travail intellectuel ?
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Or justement, en revenant au texte, rien qu'au texte, je n'ai
pu qu'être intrigué par son caractère disparate,
mêlant curieusement
dispositions institutionnelles et prescriptions de politique
économique qui n'ont a priori rien à faire dans
une Constitution. Pourquoi diable avoir brouillé le message
proprement constitutionnel avec des prescriptions économiques
relevant d'un
autre ordre juridique, celui d'une loi-cadre ? Et quelle conclusion
en tirer, sinon que cette Constitution poursuit manifestement
d'autres objectifs que strictement constitutionnels ?
C'est par un tel raisonnement, aussi scrupuleusement impartial
et documenté que possible, que j'ai peu à peu
réalisé une chose qui a
choqué le démocrate en moi, la fonction inavouée
du projet de Constitution : servir de machine d'accréditation
exclusive et définitive d'une idéologie politique
déterminée, celle du libéralisme. Tout
se passe comme si les rédacteurs de cette Constitution,
de droite comme de gauche, avaient cherché à profiter
d'une nécessaire réforme des institutions européennes
-que nul ne conteste dans une Europe élargie à
25 membres- pour constitutionnaliser en douce la politique économique
à laquelle ils étaient unanimement favorables.
Inutile de préciser que je ne suis pas pour autant
passé du libéralisme social (à vocation
humaniste) qui caractérise le courant Raffarin
au socialisme, même libéral, d'un Cohn-Bendit ou
d'un DSK. Pour moi, le libéralisme est tout à
fait défendable, au moins à moyen erme, comme
orientation d'une politique économique salutaire dans
une conjoncture économique donnée, mais pour autant
seulement qu'on ne prétende pas l'absolutiser en principe
directeur exclusif de toute autre possibilité d'orientation
économique (8). Il me semble que toute la puissance de
rassemblement du gaullisme résidait précisément
dans cette capacité d'ouverture
théorique, éminemment démocratique et pragmatique,
permettant de conjuguer, selon les circonstances et les domaines,
jusqu'aux extrêmes du capitalisme et de la planification.
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Ce qu'il y a d'inacceptable, dans le projet de Constitution,
c'est que le libéralisme n'y est pas présent seulement
comme une politique
parmi d'autres possibles, mais comme l'unique principe normatif
d'un processus qui s'affirme irréversible et qui se subordonne
explicitement l'ensemble des objectifs déclarés,
y compris d'ordre social (9). Et, ce qui est plus inacceptable
encore, c'est que toutes les précautions soient prises
pour le dissimuler à une lecture honnête (10).
C'est donc la prise de conscience que cette Constitution avait
pour fonction d'être un écran de fumée constitutionnalisant
une idéologie
déterminée, qui m'est apparu comme un grave danger
pour la démocratie, et qui a converti mon « oui
du cour » en un « non de raison ». Bien que
les références et contraintes libérales
courent dans toutes ses parties (I, II, III et IV), ce que l'on
cherche en priorité à
constitutionnaliser, dans cette Constitution c'est la partie
III, qui est une reprise des traités antérieurs
et qui élève de ce fait leur contenu au rang de
Constitution.
Je m'explique :
L'objectif officiel de cette Constitution est d'apporter à
l'Union européenne les modifications institutionnelles
lui permettant de fonctionner à 25 membres. Mais très
vite, on s'aperçoit que cet objectif est dépassé,
et sert en fait de prétexte pour faire passer autre chose
de bien plus important (11). En effet, la Constitution consacre
60 articles aux questions proprement institutionnelles et tout
le reste - si on exclut la longue et inefficiente « Charte
des droits fondamentaux » (54 articles) - à la
définition des politiques de l'Union, soit 325 articles
sur un total de 448 ! C'est dire si cette Constitution décrit
moins des institutions que des politiques, moins un
contenant que des contenus. L'objectif officieux, bien réel,
est de consacrer enfin en un seul texte référent
plus de 10 ans de dérive européenne vers un modèle
de politique économique tendancieux, exclusivement libéral,
et en cela éminemment idéologique par sa prétention
à exclure toute possibilité d'alternative réelle.
On nous demande donc en réalité bien plus que
notre avis sur de simples évolutions institutionnelles
: on nous demande si oui ou non nous voulons constitutionnaliser
ce texte là qui, à des dispositions proprement
institutionnelles, ajoute des prescriptions économiques
d'exclusivisme ilbéral.
Il ne me paraît par conséquent pas trop fort
de parler de manipulation démocratique, dans la mesure
où l'on use sciemment d'un
subterfuge(12) (la promotion d'évolutions institutionnelles,
habillées d'une rassurante rhétorique sociale
et humaniste) pour faire enfin ratifier, sans avoir l'air d'y
toucher, ce que l'on sait pertinemment être une doctrine
économique des plus suspectes aux yeux de l'opinion publique
française (en raison même de l'attachement toujours
manifesté de celle-ci à l'idéal social
et républicain hérité de la Révolution
de 1789 et précisé dans le programme de la Résistance
mis en ouvre par le Général de Gaulle dès
1945). C'est même précisément en raison
de son caractère notoirement incompatible avec la spécificité
du projet social français que les dirigeants
européens de droite comme de gauche, prévoyant
les réticences du peuples français à sanctuariser
la doctrine économique du libéralisme si on le
lui demandait clairement, ont trouvé ingénieux
de confier à Valéry Giscard d'Estaing, fin connaisseur
des réalités françaises et fin tacticien,
le soin de diriger la rédaction d'une Constitution glissant
habilement ce qui pouvait être contesté au milieu
d'aménagements institutionnels incontestés (13).
On ne cherche rien de moins qu'à forcer la main aux peuples,
et d'abord à celui d'entre
eux dont la priorité sociale est sans doute la plus exigeante.
En définitive, tout indique que cette Constitution
a été rédigée
dans le but très précis d'impliquer la volonté
populaire -et plus particulièrement française-
dans la constitutionnalisation d'une certaine
doctrine économique, à l'exclusion de toute autre,
alors même que le propre d'une Constitution démocratique,
ou même simplement authentiquement libérale, est
de permettre au peuple souverain de pouvoir choisir entre différentes
théories économiques. Si, après l'adoption
de cette Constitution, il n'a plus le choix qu'entre le libéralisme
et le libéralisme -que l'on y soit ou non favorable,
là n'est
pas la question-, où est encore la liberté ?
Dès lors, la responsabilité du peuple français
dans le scrutin du 29 mai est la suivante : cautionner ou non,
par son suffrage, des évolutions libérales qui
excluent toute possibilité de retour en arrière(14),
et donc toute possibilité de faire à l'avenir
d'autres choix en matière économique. Souhaitons-nous,
oui ou non, nous attacher définitivement le cou à
une doctrine
économique, quelles que puissent être ses dérives
ultérieures ou ses contre-performances ?
C'est l'ampleur de ce danger que je vais à présent
m'efforcer de montrer, à travers l'exposé de 15
arguments, à ma connaissance inédits, en faveur
du Non. Par mon rôle même chez Dialogue & Initiative,
j'ai une certaine familiarité avec les arguments du Non,
mais les points suivants n'ont, me semble-t-il, jamais encore
été relevés, en dépit de leur importance,
à mes yeux
décisive. A quoi tient le fait qu'ils soient encore inédits
? Je ne me l'explique pas. Peut-être fallait-il d'abord
toute la distance d'une
position longtemps favorable au Oui pour permettre leur ébauche,
puis les nombreux débats qui m'en ont précisé
les contours.
PLAN DE L'ARGUMENTAIRE
Les 19 arguments de cet inventaire peuvent se regrouper selon
6 thèmes successifs, chacun comprenant 4 arguments, dont
le dernier est en même temps le premier du groupe suivant
: c'est une présentation qui voudrait mettre en lumière
la cohésion organique des thèmes abordés
en conjuguant autant que possible l'ordre analytique (des arguments)
et l'ordre synthétique (des thèmes), dans une
progression continue :
1- Sur une prétendue incompatibilité des Non au
sein du Non, et l'impossibilité qui s'ensuivrait d'en
dégager une signification univoque en vue d'un projet
alternatif : arguments 1-2-3-4.
2- Sur le retournement de l'objection (précédemment
réfutée) par la mise en lumière de l'incohérence
du Oui, en particulier de celle propre au Oui de gauche : arguments
4-5-6-7.
3- Sur la tentative de coup de force d'une légitimation
rétroactive des Traités antérieurs, avec
pour seule alternative de les ratifier ou...de les garder !
: arguments 7-8-9-10
4- Sur l'illégitimité de l'auto-négation
de la puissance nationale, même en vue de la supra-nationalité
d'une puissance européenne que cette Constitution, de
toute façon, interdit : arguments 10-11-12-13
5- Sur le caractère d'abord anti-européen de
cette Constitution, d'où peut se déduire la seule
finalité susceptible de lui donner un sens :
arguments 13,14,15,16.
6- Sur l'élucidation, à partir de cette mise
en évidence, du véritable sens de l'incohérence
théorique du Oui de gauche, dans une perspective stratégique
: arguments 16, 17, 18, 19.
Les arguments articulant les thèmes seront "colorisés"
en rouge.
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RESUME DES ARGUMENTS
La France est reconnue, distinguable dans le monde non seulement
pour les idéaux de liberté, d'égalité
et de fraternité issus de 1789, mais aussi pour la spécificité
du projet social, issu de la Résistance, qui en découle.
Sur ce fondement :
. L'argument 1 montre qu'un rejet par la France du projet
de Constitution aurait une signification particulière
: cela signifiera l'exigence de plus de social dans le projet
européen. D'où sa valeur éminemment positive,
constructive.
. L'argument 2 constate que, entre partisans du Oui et ceux
du Non, il y a accord sur le sujet du désaccord : tous
reconnaissent que c'est le contenu libéral de la partie
III du projet de Constitution qui pose problème.
. L'argument 3 montre que le sens du Non souverainiste est
lui aussi anti-libéral.
. L'argument 4 constate cette homogénéité
du Non et relève, a contrario, la différence de
fond entre le Oui de droite et le Oui de gauche : l'un accepte
telle quelle la forme de libéralisme consacrée
par la Constitution, l'autre prétend pouvoir la corriger.
. L'argument 5 montre que, en raison de la signification sociale
d'un Non français, la gauche prend un risque stratégique
majeur à soutenir le Oui: celui de laisser l'initiative
du Non à un pays lui donnant un moindre sens social.
. L'argument 6 montre que l'argument précédent
n'est jamais invoqué précisément parce
qu'une Constitution plus libérale encore paraît,
même à la gauche, difficilement réalisable.
. L'argument 7 montre qu'en vertu de sa subordination explicite
aux législations nationales, la Charte des droits fondamentaux
n'a aucune valeur normative : elle n'est pas juridiquement contraignante
pour les Etats membres.
. L'argument 8 relève que puisque c'est le contenu
libéral de la partie III de la Constitution qui fait
le plus débat et qui apparaît comme le point décisif
au sujet duquel vont s'exprimer les électeurs, ce serait
un déni de démocratie particulièrement
flagrant que de l'appliquer quelle que soit l'issue du vote,
en tenant pour rien l'expression de la volonté populaire.
. L'argument 9 montre que l'on a mis les électeurs
devant un fait accompli : la libéralisation à
outrance de l'économie européenne. En leur expliquant
que plus rien ne peut être fait contre cela même
pour quoi on leur demande pourtant de voter, on leur demande
en réalité d'ériger un fait en droit.
. Les arguments 10 et 11 montrent que les dirigeants qui aujourd'hui
prétendent toute renégociation de la Constitution
inenvisageable se
discréditent d'avance pour une éventuelle renégociation
demain. En cela, le vote du 29 mai est bien aussi un enjeu de
politique nationale, sur le choix de nos dirigeants de demain.
. L'argument 12 relève combien la dénonciation
d'un "débat franco-français" à
propos du débat sur la Constitution manifeste une
conception de l'Europe négatrice des identités
nationales.
. L'argument 13 montre que le contenu exclusivement libéral
du projet de Constitution conduit à une dilution de l'Europe,
en ne distinguant aucunement le libre-échange régissant
les rapports entre ses Etats membres de celui promu, ailleurs
aussi, par la mondialisation(15).
. L'argument 14 montre que l'attachement définitif
à l'OTAN signe l'arrêt de mort du projet d'Europe
européenne.
. L'argument 15 montre que les bienfaits de l'Europe vantés
par les partisans du Oui plaident au contraire pour le rejet
de cette
Constitution.
. L'argument 16 montre en quel sens on est conduit à
dire que cette Constitution n'a d'autre finalité que
de subvertir même les fondements de l'état de droit.
. Les argument 17, 18 et 19 exposent comment les partisans
d'un « Oui de gauche » pratiquent sciemment la politique
du pire pour mieux s'imposer dans la politique nationale. Leurs
arguments pour rejeter la directive Bolkestein en sont une parfaite
illustration.
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EXPOSE DES ARGUMENTS
1/ Un Non français sera d'abord, aux yeux de l'Europe
comme du monde, celui de la France et en cela, il parlera de
lui-même en raison du projet social français qui
la caractérise et de la tradition historique où
il s'inscrit, au moins depuis le programme - gaullo-communiste
- issu de la Résistance et qui est exactement ce que
la Constitution européenne remet en cause dans la notion
de service public (16).
2/ Les partisans du Oui les premiers, de droite comme de gauche,
se sont chargés de clarifier le sens du Non puisqu'ils
n'ont cessé, jusqu'ici, de tenter de convaincre les Français
que cette Constitution n'est pas libérale. C'est bien
la reconnaissance que ce qui pose problème, c'est son
libéralisme, et ce pour tout le monde (17).
3/ Le Non souverainiste est lui aussi anti-libéral
(en tout cas au sens du libéralisme imposé par
cette Constitution) puisque, se réclamant de la spécificité
nationale française, il refuse l'impossibilité
d'une politique économique dirigiste ou même seulement
protectionniste, pourtant inévitable face aux excès
de la mondialisation.
4/ Sur le refus français de la Constitution de l'UE,
il n'y a donc pas de différence entre Non de gauche et
Non de droite (au moins européenne) alors qu'il y a une
divergence radicale sur le fond entre oui de droite et de gauche
(même si ce n'est plus la même droite -ni sans doute
la même gauche) puisque la droite approuve le libéralisme
tel que le normalise la Constitution alors que la gauche ne
l'accepte et ne consent à le constitutionnaliser que
dans la perspective de le corriger, compléter, détourner
ou contourner, c'est-à-dire
qu'avec beaucoup moins de cohérence que la droite, elle
soutient ardemment une Constitution...dont elle nous assure
déjà qu'elle fera tout pour en neutraliser l'orientation
!
5/ La gauche devrait plutôt réaliser qu'en votant
Oui, les Français prendraient le risque énorme
de laisser la voix du Non à une autre
Nation, nécessairement moins social ou plus libéral
que la France. Et ce Non signifierait alors clairement une exigence
de plus de libéralisme et de moins d'Union sociale (ou
de possibilité d'indépendance nationale dans le
choix d'une politique sociale au sens français). Un Oui
de la France ne serait donc pas seulement un Oui à cette
Constitution, mais à Oui à la possibilité
de son rejet en vue d'une restriction encore plus drastique
du minimum résiduel de contrainte sociale qu'on peut
y trouver, quoique encore toujours subordonné au meilleur
fonctionnement d'une économie exclusivement libérale.
6/ Pourquoi ce dernier argument n'est-il jamais invoqué,
sinon parce qu'implicitement, chacun convient de l'improbabilité
d'une Constitution encore plus libérale que celle-ci
? (18)
7/ Les sociolibéraux du PS et des Verts ne cessent
d'arguer de la Charte des droits fondamentaux pour y voir une
protection contre toute « dérive ultralibérale
» (puisqu'ils n'ont rien contre le libéralisme)
alors qu'ils prétendent réduire la partie III,
loi-cadre prédéterminant la politique économique
et sociale de l'UE, à une simple synthèse récapitulative
« pour mémoire » des traités antérieurs,
sans véritable valeur constitutionnelle (même s'ils
n'osent pas aller expressément jusqu'à cette contre-vérité,
ils s'efforcent de la suggérer par des artifices rhétoriques).
La vérité est inverse : la Charte n'a pas de valeur
juridiquement contraignante puisque tout en s'inscrivant dans
la Constitution, elle y inscrit en même temps la restriction
explicite qu'aucun de ses articles ne saurait prévaloir,
dans aucun
des Etats membres, sur les pratiques institutionnelles de cet
Etat (cf. II-111-2, II-112-4 et 5 et le préambule) (19).
Au contraire, la partie III, elle, se présente elle-même
comme absolument contraignante et elle est littéralement
normative. Si elle est intégrée dans la Constitution,
ce n'est donc pas comme un corps étranger (ce qui est
le cas, en revanche, pour la Charte) mais bien en effet pour
lier l'adoption de la Constitution à un engagement au
respect des principes de l'idéologie libérale
qu'elle explicite sans équivoque et des conséquences
pratiques impliquées par ces principes et qu'elle détaille
par le menu.
8/ Or justement parce que la partie III est plus constitutionnelle
ou constitutionnalisée que la partie II, dire Non à
cette Constitution,
c'est en toute logique dire non à la partie III bien
plus encore qu'à la Charte. Il est donc scandaleux de
prétendre que le Non serait un Non qui s'appliquerait
uniquement aux autres parties sans obligation de renégociation
de celle-ci et que nous serions simplement reconduits au statu
quo, c'est-à-dire à ce qui aurait été
refusé sans conteste, au moins en France, de l'avis même
des partisans du Oui, puisque J-P Raffarin a osé le sophisme
que ceux qui s'opposeront à la Constitution n'obtiendraint
que de garder de l'Union
précisément ce qu'ils en refusent. Ce serait un
déni de démocratie sans précédent,
qui devrait suffire à discréditer tous ceux qui
en
soutiennent la possibilité (20).
9/ Le chantage est le suivant : sous peine de retour au statu
quo, on demande au peuple d'ériger le fait historique
(l'évolution libérale de
la construction européenne) en un droit fondateur, en
se liant définitivement à ce qu'il aura consacré,
en lui interdisant à l'avenir de dénoncer ce qu'il
aura lui-même signé. Mais le Non n'est pas un retour
au statu quo : même dans l'hypothèse où
il ne serait suivi d'aucun effet positif, le peuple se serait
prononcé contre ce qui ne pourrait plus dès lors
lui être qu'imposé, en dépit de sa volonté
déclarée : en réalité, dans l'option
du Non, au lieu de se lier à un contrat léonin,
le peuple garde les mains libres et il s'acquiert
même un droit nouveau, celui de s'opposer à son
propre gouvernement et de le renverser par l'insurrection si
celui-ci persistait à lui imposer l'application d'une
règle ou d'un règlement contraire à son
suffrage. La renégociation de la Constitution en cas
de victoire du Non (et par conséquent aussi, et même
prioritairement des traités antérieurs tels qu'ils
sont repris dans sa partie
III), si c'est un Non de la France, est donc une obligation,
et juridique, et démocratique, et politique au sens le
plus radical, qui est absolumentincontournable.
10/ Ceux qui prétendent une renégociation de
l'organisation actuelle de l'UE inenvisageable choisissent d'ores
et déjà de ne pas se conformer à la volonté
nationale et la trahissent déjà en affaiblissant
d'avance leur propre Nation au cas où le Non l'emporterait
puisqu'ils ne se voient que plaider coupables et contraints
au profil bas pour toute éventuelle renégociation
ultérieure. C'est exactement ce que l'on appelle une
forfaiture, et ce, quelle que soit l'issue du scrutin.
11/ En ce sens, l'enjeu du referendum est bien aussi essentiellement
intérieur à la France et les politiques usant
de ce genre d'argument
ont choisi de jouer leur carrière sur ce scrutin, consciemment
ou non. Ils devront en tenir compte. Le peuple sera en droit
de l'exiger et de les y contraindre.
12/ La dénonciation d'un prétendu débat
« franco-français » présuppose que
la France devrait penser à l'Europe en faisant abstraction
de la France: elle relève d'une conception de l'Europe
fondée sur le déni de la réalité
nationale, en particulier française. On ne construit
pas l'Union avec un ou plusieurs autres sur la détestation
de soi.
13/ Mais le premier argument à prendre en compte par
ceux qui veulent vraiment l'Europe, qu'elle soit Union de Nations
ou supra-nationale, c'est que tout en limitant le pouvoir des
Nations, cette Constitution est d'abord anti-européenne
: elle normalise un libre-échange interne identique entre
les Etats-membres à celui de l'ensemble des Etats-membres
avec le reste du monde et qui tend à ouvrir les frontières
de l'Europe selon un mode strictement analogue à celui
selon lequel elle ouvre les frontières de ses Etats-membres
à l'intérieur » de l'Europe. La sujétion
économique des Nations à la logique libérale
de l'Union n'a pour fonction que d'assujettir l'Union
elle-même à un libre-échange mondial dans
lequel ni son défaut de cohésion, économique
aussi bien que politique, son refus normatif de toute stratégie
planificatrice ou monétaire ne peut que la conduire à
se dissoudre à vitesse accélérée
pour le seul profit de détenteurs de capitaux d'origine
et de destination indifférente
(21). Tout se passe comme si nous n'assistions plus à
une construction de l'Europe, mais à la programmation
méthodique de sa dilution.
14/ Car cette Constitution est aussi la négation même
de l'Europe comme entité politique distinctive et indépendante.
Elle en fait une
Euramérique liée tout entière à
ceux de ses Etats qui sont liés à l'OTAN -et constitutivement
(22), or il était d'autant moins nécessaire de
graver ce lien temporaire dans le marbre d'une Constitution
qu'elle requiert l'unanimité pour toute politique de
défense et de sécurité de l'Union. Cela
revient donc à s'appuyer sur l'implication actuelle de
certains Etats dans l'OTAN pour préciser la nécessité
normative et définitive d'une subordination de l'Europe
tout entière à l'OTAN, y compris dans l'hypothèse
où tel ou tel de ses Etats, voire leur totalité,
voudraient se dégager de l'OTAN en vue d'un engagement
prioritairement européen ! Cette Constitution interdit
cette possibilité en plaçant l'Europe tout entière
sous l'égide de l'OTAN. C'est la négation même
de l'affirmation du principe gaulliste : l'Europe sera européenne
ou elle ne sera pas.
15/ Il a déjà été relevé
que tous les éloges de l'Europe qui prétendent
fonder le Oui à la Constitution sur un Oui à l'Europe
vantent une
Europe SANS constitution. Il faut aller plus loin: l''inventaire
des bienfaits de l'Europe ne porte que sur les bienfaits de
l'absence de Constitution, c'est-à-dire d'une Europe
évolutive et ouverte, à géométrie
variable et qui serait aujourd'hui plus nécessaire que
jamais en vue de l'intégration "en douceur"
des nouveaux entrants de l'Est. Mais c'est justement cette mobilité
de l'Europe que la Constitution a
pour finalité, en tout cas pour objet explicite chez
ses partisans, de figer ou fixer : en particulier en limitant
le principe dynamique de la
construction européenne jusqu'ici, qui a été
celui des coopérations renforcées, en en subordonnant
l'initiative à la règle de l'unanimité,
et la réalisation à la participation d'un tiers
au moins des Etats membres (soit neuf).
16/ En définitive, cette Constitution n'a qu'une seule
finalité, en laquelle réside en même temps
son originalité absolue: c'est d'instituer, pour la première
fois au monde, un contre-Droit (23). Elle le fait en élevant
la concurrence au rang de principe normatif. Le Droit s'oppose
à la loi du plus fort et à l'état de guerre
perpétuelle où le plus fort ne cesse d'avoir à
prouver qu'il l'est. Le contre-Droit de la concurrence dit au
contraire « Battez-vous, et que le plus fort gagne! ».
Evidemment, pour gagner, le plus fort n'a aucun besoin d'aucun
droit. En revanche, il a besoin qu'on ne lui oppose pas le Droit.
Il lui faut donc un contre-Droit, un contre-feu au Droit, un
droit qui s'oppose au Droit comme le contre-feu s'oppose au
feu, en lui coupant l'herbe sous le pied. Le contre-Droit ne
dit pas seulement que
la guerre est un droit (rien d'original à cela, ni de
contraire au Droit) ; il ne définit pas simplement des
règles pour la pratique de la guerre (telles que celles
de la Convention de Genève) ; il déclare l'exigibilité
prioritaire de la guerre de tous contre tous...pour le meilleur
profit de chacun (« Battez-vous, tuez vous...mais ne vous
faîtes pas mal! »).
17/ Il est temps de se demander alors pourquoi une pareille
ardeur offensive du Oui le plus paradoxal, celui "de gauche".
Pourquoi un tel forcing rose-vert ? On se contente habituellement
de répondre que les socio-écolo-libéraux
"de gouvernement" ne peuvent pas
se déjuger, ayant été partie prenante dans
l'orientation libérale de
l'évolution de l'Union telle que la consacre la Constitution.
Mais cette réponse n'explique pas la facilité
surprenante avec laquelle ils dénoncent un jour le Traité
de Nice qu'ils ont soutenu la veille. Il y a lieu de craindre
que la vérité soit moins reluisante: le libéralisme
institutionnalisé leur permettra de se présenter
comme un recours et un correctif d'autant plus indispensable
(à l'échelle de la politique d'abord nationale)
contre la tendance lourde au libéralisme et à
ses dérives ultra-libérales [qu'ils auront permis
de faire ratifier, tendances] dont ils ne nient même pas
que la Constitution soit effectivement porteuse.
18/ C'est pourtant bien Sarkozy dont la stratégie est
à la fois la plus directe et la plus honnête (ou
cynique) aussi eu égard à l'enjeu référendaire.
Et c'est ce qu'illustre a contrario l'énorme intox du
Oui de gauche quand il ose présenter la Constitution
comme le meilleur moyen de lutter contre des mesures telles
que la directive Bolkestein: si celle-ci était contraire
à la Constitution, pourquoi aurait-on besoin d'exiger
que la Commission s'engage à sa « remise à
plat » dès avant le vote français du 29
mai ? Pourquoi ne
pas s'appuyer plutôt sur son caractère anti-constitutionnel
pour en faire un argument de plus, et celui-ci incontestable,
en faveur du Oui ? Pourquoi n'a-t-on pu obtenir que cette simple
« remise à plat » (qui n'engage à
rien de déterminé, comme en a déjà
prévenu l'actuel président de la Commission) ?
Et comment se fait-il que les défenseurs de cette directive
(puisqu'il y en a !) se trouvent-ils tous dans le camp du Oui
? C'est au moins une illustration irréfutable de la divergence
en profondeur des partisans du Oui (cf. argument 2).
19/ En réalité, les libéraux savent très
bien que la directive Bolkestein découle de la partie
III (articles 144-150) et les socio-libéraux
s'imaginent qu'ils pourront tirer parti de ses conséquences
dévastatrices pour s'imposer comme un garde-fou nécessaire
à l'ultralibéralisme qui en résultera et
qui, tout en les disculpant de tout recul social, permettra
de présenter comme une prouesse politique la moindre
atténuation de ses effets à l'échelon national.
C'est le parti de la politique du pire. C'est aussi la pire
des politiques.
1- Le lecteur voudra bien excuser cette mention biographique,
peut-être pas inutile cependant à un moment de
la campagne électorale où les discrédits
ad hominem et les arguments de pure autorité semblent
avoir pris le pas sur la stricte considération des contenus,
auxquels j'en viens immédiatement.
2- Dans le cadre de la campagne électorale, Dialogue
& Initiative orchestre le soutien au projet de Constitution
des ministres (Dominique Perben, Dominique Bussereau.) et parlementaires
(François Baroin, Valérie Pécresse.) liés
à ce club, par l'organisation de dîner-débats,
la création d'un site Internet (www.lesamisduoui.com),
la production d'argumentaires, de petits films
humoristiques et de "cartes à gratter".
3- Composées de membres de cabinets ministériels,
de membres du Service d'Information du Gouvernement (SIG), d'un
membre du Cabinet du Premier Ministre, de membres de l'état-major
de Dialogue & Initiative, ainsi que des membres de la Commission
Europe.
4- C'est à ce moment précis de la campagne électorale
que, face à la montée du Non dans les sondages,
a été décidé de se battre non plus
sur le terrain des idées mais en discréditant
le camp du Non (on nous a juste informés de ce changement
de stratégie, décidé ailleurs). Pour cela,
il s'agissait de « faire donner la charge » par
des personnalités de la société civile
(intellectuels, sportifs, stars en tous genres) influentes sur
l'opinion publique, tout en s'autorisant à employer des
méthodes contestables dans leur
principe et douteuses dans leur expression, comme les attaques
personnelles ou ces cartes à gratter dont Le Monde du
08 mai s'est fait l'écho. On me dira sans doute que c'est
là le lot de toute campagne électorale : sans
doute, mais cela n'autorise pas à s'en satisfaire et
à ne pas chercher à s'en distinguer.
5- via la signature, depuis quelques dizaines d'années,
des traités antérieurs qui se trouvent intégrés
à la partie III. Le concert unanime
des soutiens au projet de Constitution, de François Hollande
à DSK, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, étonnamment
soudés, manifeste combien droite et gauche libérale
confondues se reconnaissent également responsables d'un
texte qu'ils appellent de leurs voux depuis plus d'une dizaine
d'années. Ils le revendiquent d'ailleurs explicitement.
6- Cela est même très expressément prévu
par la Déclaration A 30 de l'acte final du texte «
concernant la ratification du Traité établissant
une Constitution pour l'Europe » (p. 186 dans l'exemplaire
du Traité constitutionnel envoyé à tous
les Français).
7- puisque les arguments de raison n'étaient plus écoutés
8- Ce libéralisme liberticide, qui restreint dogmatiquement
la liberté de choix économiques, se condamne lui-même
en se contredisant ainsi. Dès 1952 d'ailleurs, de Gaulle
stigmatisait les absurdes prétentions à s'absolutiser
d'un « libéralisme qui ne libère personne
».
9 - Que toute autre considération soit subordonnée
à ce principe libéral, c'est en effet incontestable
: pour la première fois dans un Traité européen,
le principe d'une « concurrence libre et non faussée
» se voit élevé au rang d'objectif de l'Union.
Ce n'était jusqu'ici qu'un simple moyen (cf. le traité
CE consolidé, article I-3-g). L'article I-3-2 définit
la réalisation d'un «marché intérieur
où la concurrence est libre et non faussée »
comme le deuxième objectif de l'Union par ordre d'importance,
auquel tous les autres se
trouvent par conséquent subordonnés.
10 - Cela éclate dans plusieurs aspects : dans son
caractère illisible pour le commun (ce qui présente
pour avantage de contraindre le citoyen à devoir s'en
remettre, pour se déterminer, aux arguments d'autorité
des "experts" et des "personnalités"
plutôt qu'à sa raison), dans le fait qu'à
contraire, dans le fait qu'elle proclame une « Charte
des droits fondamentaux » pour aussitôt la vider
de son contenu (cf. argument 4), qu'elle allie curieusement
dispositions institutionnelles et politiques économiques,
etc.
11- La partie constitutionnelle proprement dite (c'est-à-dire
celle qui concerne la répartition des pouvoirs au sein
de l'Union) ne concerne que les parties I et IV du texte. La
partie III, qui reprend les politiques économiques définies
dans les traités antérieurs, est subrepticement
glissée pour recevoir du même coup l'approbation
des citoyens : on nous assure benoîtement que puisqu'elle
ne fait que reprendre les traités antérieurs,
elle n'ajoute rien de nouveau.oui, à ceci près
que c'est la première fois que l'on nous
demande notre avis sur cette partie là des traités
européens, et que, surtout, l'on nous demande d'élever
au rang de Constitution ce qui n'était jusqu'alors que
de simples traités internationaux. Ces politiques économiques
contenues dans la partie III n'ont rien à faire dans
une Constitution, sauf si justement l'on poursuit d'autres objectifs
que ceux que l'on proclame.
12- Conscients des réticences de certains peuples,
et du peuple français entre tous, face aux évolutions
libérales de la société, on a recours à
un subterfuge pour faire passer (et inscrire dans la durée,
au nom de la générosité de l'idée
d'une union européenne) une pilule un peu difficile à
avaler.
13- Le décalage croissant entre l'exigence d'un projet
social ambitieux traditionnellement porté par la France
et l'idéologie libérale
bruxelloise que l'on nous demande aujourd'hui de ratifier est
chaque jour plus manifeste : c'est en France que la directive
Bolkestein a provoqué le plus grand tollé (auquel
les politiques ne se sont joints que sur le tard pour ne pas
être dépassés). On peut être sûr
que cette directive, actuellement « mise en sommeil »
à Bruxelles, ressurgira sitôt le référendum
français passé (cf.argument 18) .
14- En pratique, toute possibilité de retour en arrière
est écartée puisqu'il s'agit d'une Constitution
qui ne peut être modifiée que par
une double unanimité : d'une part celle de tous les chefs
d'Etat, d'autre part
celle de tous les peuples. Outre donc l'extrême difficulté
technique qu'il y aura à modifier la Constitution européenne
(mais cela est relativement compréhensible si l'on souhaite
lui assurer la stabilité d'une Constitution), il va sans
dire que, le peuple français étant le plus socialement
exigeant des peuples européens, il ne sera très
vraisemblablement pas suivi par l'unanimité
des peuples européens quand il exprimera des velléités
de progrès social rognant l'orthodoxie libérale.
15- Les grandes puissances du monde, à commencer par
le Japon et les Etats-Unis, mènent des politiques économiques
volontaristes et pragmatiques, sans s'inquiéter de savoir
si cela est conforme à tel ou tel dogme de l'orthodoxie
libérale. Typiquement, les Etats-Unis, hérauts
du libéralisme, ne s'interdisent ni le protectionnisme
(en conservant des droits de douane -là où la
Constitution organise au contraire leur suppression progressive-
et en mettant en place des barrières pour protéger
leur industrie), ni la relance
keynésienne par l'intervention ponctuelle de l'Etat dans
l'économie. L'Europe pour sa part s'y refuse dogmatiquement
et s'expose ainsi sans se protéger, comme elle le découvre
avec l'invasion du textile chinois depuis la fin des quotas
d'importation le 1er janvier 2005.
16- en dépossédant la collectivité nationale
de son autonomie de gestion de tout service public susceptible
d'être soumis à une "concurrence libre et
non faussée" (EDF, transports, etc.), c'est-à-dire
en assimilant la propriété publique de tels services
à une propriété privée ne visant
qu'à un maximum de rentabilité: de sorte qu'à
terme, il n'y ait plus que des désavantages à
ce qu'elle demeure publique (d'où la substitution progressive
et rréversible, à toute entreprise publique, de
"missions de services publics", offertes
en pâture à la concurrence d'entreprises privées).
17- à part Sarkozy et de plus en plus de représentants
de la majorité gouvernementale qui, devant l'impossibilité,
désormais, de rester
crédibles en niant ce caractère libéral,
pensent plus stratégique, sur le court et long terme,
de s'en réclamer ouvertement, d'imputer au "modèle
Français" les carences de sa gestion et, plutôt
que d'y remédier, proposent de "changer la France
grâce à l'Europe" (c'est-à-dire de
continuer à s'appuyer sur Bruxelles pour se dédouaner
de ce dont les Français ne veulent pas)
18- Il ne faut pas non plus se laisser prendre au faux argument
de l'urgence d'un besoin de Constitution, qui ne serait de toute
façon pas
satisfait avant 2009. C'est toujours une pratique suspecte que
de
presser quelqu'un de signer un contrat...
19- Art. II-111-2 : « La présente Charte n'étend
pas le champ d'application du droit de l'Union au-delà
des compétences de l'Union,
ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche
nouvelles pour l'Union et ne
modifie pas les compétences et tâches définies
dans les autres parties de la Constitution. » On ne peut
pas être plus clair que cet article 111-2 qui stérilise
l'ensemble de la Charte en la vidant de son sens. C'est donc
un miroir aux alouettes, un écran de fumée. Par
exemple, les manquements répétés de la
Turquie à nombre de « droits fondamentaux »
énoncés dans la Chartes ne seraient pas
juridiquement passibles de sanctions, si elle faisait partie
de l'Union européenne, et ce pour la simple raison qu'il
s'agirait en effet là de ses « traditions »
(art. II-112-4).
20 - C'est en effet la première fois que les Français
ont la possibilité de s'exprimer sur l'orientation résolument
libérale (sans garde-fous
d'aucun ordre dans aucun domaine: la simple possibilité
d'un minimum de protectionnisme ou de taxations douanières
comme aux Etats-Unis est expressément rejetée),
de la construction européenne. Le seul précédent
referendum, celui de
Maastricht en 1992, portait uniquement sur le passage à
la monnaie unique.
21 - c'est-à-dire que l'on s'interdit de pouvoir maîtriser
si ces capitaux seront on non effectivement investis au profit
de la puissance
économique et politique de l'Europe.
22- cf. l'article I 41-2 et 7
23- Alors que le propre du Droit est d'être
un rempart des faibles contre les forts, le contre-Droit instauré
par la constitutionnalisation du libéralisme légaliserait
la naturelle vulnérabilité des faibles aux
forts. C'est bien sûr l'intérêt des forts
(économiquement du moins) que de mettre enfin un terme
au Droit, qui pose une limite à l'étendue de leur
puissance.
thibaud.delahosseraye@wanadoo.fr
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