La réaction d'un lecteur, après lecture de Tendre et Délicat "

27 juin 2010

 

Ca me prend toujours un certain travail de monter des dossiers sur mon site. Les échos que j'en reçois m'ont incité à pondre ce dessin, qui résume assez bien la situation.

 

effet spectateur

 

Je ne compte plus les mails de gens qui terminent en disant " merci de ne pas me citer ", alors que la plupart du temps ils me confient des choses totalement insignifiantes. Notre monde vite dans la peur. Il faut dire que certains sont en recherche d'emploi. En la matière, inutile de prendre des risques inutiles.

Le pompon revient quand même à un chargé de recherche au Cnrs de 43 ans, mathématicien de son état, donc fonctionnaire, assuré de la stabilité de son emploi. Très concerné par toutes les turpitudes de la planète, il signe courageusement des pétitions à tour de bras. Il y a quinze jours il me dit :

- Un collègue m'a dit que mon nom apparaissait sur ton site, en utilisant le moteur de recherche interne. On m'a dit que cela pourrait me porter tort.

J'ai vérifié. Effectivement, il apparaissait en tant que spectateur d'un séminaire que j'avais donné dans son labo de maths en 2003. Initialement, j'avais téléphoné un jour au directeur de ce labo de géométrie, spécialiste en singularités. Je lui parle d'un truc que j'avais trouvé "comment transformer une surface de Boy droite en surface de Boy gauche, en passant par la surface romaine de Steiner". Pour ceux qui sont curieux de ce truc, voici le lien. Le type trouve ça intéressant et me dit :

- Pourquoi ne venez-vous pas nous exposer ça en séminaire ? Prenons date. Et, le jour dit, venez en fin de matinée. On ira manger avec les gens du labo, comme ça on fera connaissance.

Dans les jours suivants il dit aux gars de son labo qu'il a invité un type qui a fait un truc intéressant en géométrie.

- Comment s'appelle-t-il ?

- Petit

- Jean-Pierre Petit, " le " Jean-Pierre Petit ?

- Oui.

- Tu es fou. On va avoir des ennuis !

Quand je me pointe le jour du séminaire, je trouve le labo désert. Toutes les portes son fermées. Comme je suis venu avec mes vieux copains Tardy et Flesia, on va bouffer à la cafeteria, tous les trois.

On installe les maquettes pour le semaine. J'avais fabriqué, en carton, tous les modèles dessinés, accessibles avec le lien ( tiens, si un gars veut animer cela, il n'a qu'à le faire. Ce ne sont que des faces planes ). Les membres du labo arrivent, visages fermés. De directeur, point. J'attends vingt minutes et je finis par démarrer le séminaire, sans être présenté. Celui-ci disparaîtra aussitôt ma conférence achevée. Dans la salle, au fond, mon-matheux-qui-ne-veut-pas-d'ennuis.

Je fais mon séminaire. Mais un séminaire de géométrie à la JPP, même si c'est de haute volée, ça ressemble à du Lanturlu. C'est très visuel. Deux types, deux matheux en visite seront absolument ravis par ce que je leur présenterai : un Allemand et un Italien ( j'ai d'ailleurs eu beaucoup de succès au département de géométrie de Rome, quelques mois plus tard, en présentant de nouveau ce show ). Les Français tirent la gueule, comme d'hab.

 

conf marseille2

 

J'explique au passage comment permuter les deux points cuspidaux d'une Cross Cap. Le gars qu'on voit à l'arrière plan se méprend, me prend pour un amateur, un clown des mathématiques, qu'il faut s'empresser de moucher. A l'issue de mon exposé il se lève, va au tableau et déclare.

- Je ne comprends pas pourquoi Petit cherche des trucs aussi compliqués pour permuter les deux points cuspidaux d'une crosscap. Il y a beaucoup plus simple.

Et il dessine au tableau un sphère qu'on aurait écrasée entre deux règles :

 

sphere ecrasee

 

Les dessins qui suivent montrent ce que devient cette pauvre sphère. Les couleurs servent à coder les deux côtés de la surface. Effectivement, lors de cet écrasement, deux points singuliers sont créés, qu'on appelle des points cuspidaux. Et le bonhomme d'ajouter.

- Voilà ma crosscap. Pour permuter ces deux points C1 et C2 il suffit de faire tourner l' objet (je ne décrirai pas la façon dont moi, je m'y étais pris, passablement plus compliquée).

Hélas, notre bonhomme s'est foutu dedans. La Crosscap, comme la bouteille de Klein, est unilatère, n'a qu'un seul côté. Un membre de l'assistance le lui fait remarquer.

- Mais, ta Crosscap, elle est ... bilatère.

Le type réalise son erreur, se décompose. Tardy, qui n'en perd jamais une pour jeter de l'huile sur le feu ajoute :

- Il y a peut être des Crosscap bilatères....

L'ambiance devient lourde. Mon gars se retourne vers moi, défait.

- Mais alors, cette surface, c'est quoi ?

Je passe au tableau et en trois dessin je fait confluer les deux points cuspidaux et apporte la réponse, d'une voix neutre, sans afficher un sourire moqueur.

 

C'est une sphère

 

 

- Cette surface est une simple sphère....

Le type, déjà assez rougeaud au naturel, devient cramoisi et va se rasseoir. Je viens de me faire un ennemi mortel, un de plus. Le séminaire tire à sa fin.

- Des questions ?

Non, la salle se vide rapidement. Il ne restent que les matheux Allemand et l'Italien, hilares. Les Français ont fui cet homme pratiquant une sorte de sorcellerie géométrique, qui vient de couvrir de ridicule une des têtes pensantes de leur labo. Pendant la scène le directeur s'est courageusement éclipsé. Par la suite il dira à mon petit matheux, qui a suivi du fond de la salle et qui ne me l'avouera que sept ans plus tard :

- Vous savez... euh.... dans l'intérêt de votre carrière vous n'auriez pas intérêt à fréquenter ce ... Jean-Pierre Petit. Enfin, c'est un simple conseil....

Cette anecdote, qui remonte à sept années, vous fais comprendre pourquoi mes chers collègues ne sont guère empressés à m'affronter en séminaire, comme le petit polytechnicien Riazuelo. Un telle mésaventure, même si tout cela se joue avec des propos neutres équivaut, pour qui se prétend spécialiste d'une discipline, à prendre un théorème entre les deux yeux. Beaucoup savent qu'à ce jeu-là, je n'ai jamais perdu un combat.

 

théorème qui tue

Ce ne sont même pas des combats. Des gens, simplement, me sous-estiment, décident de me voler dans les plumes, et se ramassent en beauté. Je pourrait écrire un livre sur les dizaines de scènes de ce genre, que j'ai vécues, où le même scénario se répète, inlassablement, dans différentes disciplines. Et peut être le ferai-je. Eh oui, je n'ai pas la tête d'un Hubert Reeves et je crée des BD. On ne se méfie pas....

Ca me rappelle un séminaire que j'avais donné, au Centre de Physique Théorique de Marseille, il y a vingt ans. Devant l'assistance, je fait "varier les constantes", dont la sacro-sainte vitesse de la lumière. C'est sans précédent. A la fin de l'exposé, l'assistance se retourne vers Souriau, assis au fond de la salle. Il a la réputation d'être un "tueur". Combien de fois a-t-il allumé des intervenants, sans mâcher ses mots. Tous les physiciens théoriciens qui faisaient des exposés devant lui étaient toujours dans leurs petits souliers.

Or là, c'est un type qui n'appartient pas à la confrérie qui vient de faire un exposé, où il a fait des choses très inconvenantes, dont faire varier la vitesse de la lumière. C'est une première. Voir ma BD " Plus rapide que la lumière ".

Mais "papy Souriau", curieusement, ne réagit pas. Il fait un geste signifiant qu'l n'a rien à dire. L'assistance est perplexe. Au premier rang, un type s'agite, semble à deux doigts de défourailler. Et ça me rappelle une scène d'un film de Sergio Leone où Clint Esatwood vient de gratter une allumette sur la bosse d'un bandit, rôle joué par Klaus Kinsky. La main de celui-ci remonte vers la crosse de son revolver, mais son voisin prévient son geste. Ce qui revient à dire :

- Ce type est très rapide. A ta place, je ne ferais pas ça.

Dans ce séminaire de physique théorique, le geste est analogue :

- Si Souriau n'a pas flingué ce type, c'est qu'il doit y avoir quelque chose qu'on ne comprend pas.Il doit y avoir du plomb à prendre, dans cette histoire.

Je termine mon séminaire. Quelqu'un dit :

- Des questions ?

Non, aucune. Le troupeau s'ébroue et quitte la salle. Ca serait à refaire, je crois que j'aurais dit et fait la chose suivante.

- Ecoutez, chers collègues. Je viens, devant vous, en une petite heure, de faire varier toutes les constantes de la physique, y compris la vitesse de la lumière. Et ceci ne suscite chez vous aucune réaction. Je vais donc faire la chose suivante : me tourner, déboutonner mon pantalon et vous montrer mes fesses. J'aurai peut être plus de succès...

Je n'ai pas réussi à présenter mes travaux de cosmologie à l'Institut des Hautes Etudes de Bures sur Yvette, après plusieurs tentatives. L'astrophysicien et académicien Thibaud Damour s'y est opposé. Mais il n'a pas compris mes travaux. Le directeur, un matheux nommé Bourguignon, si. Mais celui-ci n'a pas eu le courage de formuler lui-même l'invitation. Il y aurait eu un face à face Damour - Petit. Damour aurait attaqué et l'un des deux serait allé au tapis. Bourguignon n'a pas voulu prendre ce risque.

J'ai écrit trois fois à Rovelli ( gravité à boucles) qui est à Marseille. Pas de réponse. A Imperial College, Magueijo, chaire de Physique Théorique, qui se prend pour le découvreur du concept de modèle cosmologique à vitesse de la lumière variable, et qui a édité un livre, repris par Dunod en France sous le titre "Plus vite que la lumière". a lui aussi à éludé la proposition de séminaire.

Je n'insiste plus. J'en ai marre. Ah, j'ai biffé de mon site le nom du petit matheux qui s'inquiétait pour sa carrière. Comme ça, il n'aura plus de soucis à se faire pour sa carrière.

Le pauvre, il lui est arrivé une chose affreuse, il y a quelques mois, sans doute la pire qui puisse arriver à un universitaire. En déambulant avec sa mère, en plein Paris, il a vu un ovni, en plein milieu de journée. Une grosse masse sombre, comme l'ongle du pouce à bout de bras, autour de laquelle virevoltaient des petits objets lumineux L'objet, presque au zenith, devait être haut dans le ciel, et grand, car il est passé derrière une traînée de condensation d'avion. L'observation a duré plusieurs minutes. Les deux ont même eu le temps d'arrêter un passant pour lui signaler la chose. Puis l'objet a viré au blanc et a rapidement disparu.

J'ai essayé des années de travailler avec ce garçon. Je pensais que cette observation l'aurait enfin motivé pour tenter quelque révision de la géométrie de l'univers. Que nenni. A son retour il m'a simplement dit :

- Je ne préjuge rien de ce dont j'ai été témoin.

Je suppose que si des extraterrestres l'enlevaient et lui fasse faire le tour du système solaire, il dirait, après avoir pris congé :

- Je ne préjuge rien de ce que j'ai vécu.

Je reviens au titre de cette page. Voici la réaction de ce lecteur, intéressante :

 

Mail reçu le 26 juin 2010 :

Bonjour monsieur Petit,

Je lis souvent vos écrits que j'apprécie beaucoup. Je ne suis pas du genre à prendre facilement la parole et je ne dois qu'à quelques circonstances fortuites et pas mal de désœuvrement de le faire en cette occasion.

J'ai lu votre texte intitulé « Les voix d'Israel » et lorsque je suis arrivé à l'extrait du livre d'Amos Oz « tendre et délicat », j'ai été sur le coup proprement horrifié.

Ensuite, j'y ai repensé en essayant de me concentrer sur la personne elle-même.

Voilà quelqu'un qui durant tout son discours, parle, comme le dit plusieurs fois Oz, d'une voix calme et posée, sans jamais s'énerver, même quand on le contredit. Elle raconte comment atteindre ses buts, quelque soit le moyen pour y parvenir et sans éprouver le moindre regret. Elle parle d'agir pour ses enfants sans qu'il transparaisse la moindre trace d'amour, même pour eux, mais plutôt une espèce de besoin de protection de sa descendance totalement animale.

En fait, je pense que cet homme est tout simplement un joli modèle de psychopathe.

Je suis sûr qu'un véritable psychologue pourrait disséquer sa personnalité bien mieux que moi mais même pour un profane qui n'a que vu quelques films ou séries policières, lu des romans et parfois, peut être croisé quelques tueurs, au propre comme au figuré, dans le monde du travail, cela sautera aux yeux. Sa haine du tendre et du délicat vient probablement du fait qu'il est incapable d'éprouver ces sentiments. Et c'est pourtant ce qui nous distingue des animaux et prouve que l'homme a évolué. Pas tous visiblement.

Partout dans le monde, quand la vie devient dure et cynique, se met en place un terreau favorable à l'émergence de ce type d'individu. Ils ne sont pas si nombreux que ça (en tout cas, je l'espère) et dans un monde normal, ils sont combattus et chassés. Mais dans un univers déséquilibré, on va même les utiliser et ils s'affirment alors jusqu'à parfois prendre le pouvoir. Pour commettre leurs exactions, ils se trouveront toutes les excuses valables, politiques ou religieuses ou n'importe quoi de délirant comme le font les tueurs en série. On a vu des gens comme ça partout dans le monde, de l'Allemagne nazie à la Serbie et leurs noms sont dans tous les journaux de la planète.

De toute façon, ils ne se remettent jamais en question et celui qui a toujours tort, c'est l'autre. Ce sont des partisans absolus d'une vision binaire des choses : « vous êtes avec moi ou contre moi ». Même s'il peut paraître cohérent, leur discours ne sert qu'à justifier le fait que seul le but fixé compte, quels que soient les moyens et les sacrifices, surtout si ce sont les autres qui sont sacrifiés.

Quand Oz dit que des gens lui ont écrit pour lui dire qu'ils partageaient les idées de ce monstre, il faut se souvenir des lettres d'admirateurs que reçoivent en prison les tueurs en série qui fascinent tellement qu'on ne compte plus les séries TV ou les livres qui leur sont consacrés. Savoir pourquoi on admire autant des tueurs, ça c'est la vraie question. Peut-être qu'en y répondant, on pourrait arranger des choses. J'ai bien une petite idée mais, encore une fois, je ne suis pas psychologue et j'ai peur de faire un peu simpliste.

Encore merci pour vos écrits et votre présence.
Cordialement
Jean-Pierre V.

 

Je trouve tout cela assez bien vu. La situation au Moyen-Orient est cauchemardesque. J'ai déjà présenté les causes, tenants et aboutissants dans mon dossier "le pays de la souffrance et de la haine". Les guerres favorisent l'éclosion de pathologies. Le texte " Tendre et Délicat " représente l'une d'elles. Le recours à la torture ( Abou Graib et Guentanamo ) permet aux sadiques en tous genres de s'en donner à coeur joie. Le film ( aux six oscars, je me demande bien pourquoi ) présente un démineur qui prend goût à un jeu de roulette russe.

Ma femme dit que tout homme politique, ou grand responsable de quelque chose est à sa manière un psychopathe, "sinon il ne serait pas monté si haut". Il est vrai que le pouvoir enivre. Il y a ensuite cette façon de se retrouver piégé dans une dynamique ou une autre. Cela peut prendre toutes les formes possibles. Ces jours derniers je rencontrais un collègue enseignant chercheur, qui dirige un labo de thermique.

- Tu sais que je travaille sur ITER ?

- Ah bon. Mais pourtant tu sais que c'est une connerie ?

- Bien sûr. Tout le monde le sait. Mais je n'ai pas eu le choix. J'ai du accepter le contrat. Sinon je ne serais jamais passé professeur à l'université.

Revenant au message du lecteur, je pense soudain à des mots du chants des partisans, composé au temps de la Résistance Française :

... et toi, saboteur, attention à ton fardeau, dynamite.

- et vous, les tueurs, à vos armes et vos couteau, tuez vite.

Dans notre hymne national, la Marseillaise :

- Qu'un sang impur abreuve nos sillons !

Si notre lecteur a une idée personnelle sur la façon dont la violence fascine les hommes, nous attendons ses commentaires.

 


 

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