MATIÈRE SOMBRE: L’OCÉAN INVISIBLE
C’est une énigme
bien entêtante: la matière ordinaire représente
moins de 5 % du contenu du cosmos, et plus de 95 % de l’ensemble
manque à l’appel. Si l’énergie noire
compte pour 70% de l’Univers, de quoi se compose le reste
? Tout a commencé en 1933, L’astrophysicien américain
Fritz Zwicky scrute l’amas de Coma dans la constellation
de la Chevelure de Bérénice, à 150 millions
d’années-lumière de distance. Cet objet
se compose de milliers de galaxies comparables à notre
Voie lactée. Et il révèle que leur vitesse
de déplacement dans l’amas suggère qu’il
y a là cent fois plus de matière que ce que l’on
voit. La partie émergée de l’iceberg, en
somme. En filigrane, le constat se dessine : les étoiles
brillantes, les nuages de gaz et de poussière qui peuplent
les galaxies ne sont que de vulgaires débris, Ils flottent
à la surface d’un imposant océan, invisible
et puissant qui les ballotte. De même, dans les années
1960-1970, l’étude du mouvement des étoiles
au coeur des galaxies semble prouver que celles-ci contiennent
cinq à dix fois plus de matière invisible que
de matière visible. Pour sauver les apparences, il a
donc fallu "inventer e une matière, noire"
ou "sombre", de nature différente de celle
que nous connaissons. Depuis dix ans, on assiste à une
amélioration fulgurante de la qualité et de la
quantité de données, constatent les scientifiques.
D’une
part, l’observation de la rotation des galaxies
a confirmé la présence d’un halo de
matière noire dix fois plus massif que les étoiles.
D’autre part, les amas renferment un gaz chaud porté
à des millions de degrés. Les mesures en
rayons X des satellites Chandra (Nasal etXMM (Europe)
pointent ici vers une quantité de matière
noire cent fois plus importante que la matière
visible,.. Enfin, un autre outil a fait ses preuves dernièrement
Les lentilles gravitationnelles, ces mirages naturels
prédits par la relativité, procurent un
puissant moyen de sonder la géométrie de
l’Univers. En surveillant les effets de microlentilles,
on a pu déterminer que la matière noire
galactique ne se compose pas d’atomes au sens classique
du terme, avec noyau O (protons et neutrons) et électrons!
On a baptisé Machos (Massive Halo Compact Objects)
ces objets énigmatiques, et les chercheurs ont
évalué qu’ils comptaient pour moins
de 10% de la quantité de matière totale
qui hante notre galaxie. Dès lors, de quoi se compose
le reste du contenu du cosmos qui ne correspond à
aucun noyau atomique ni à aucune particule connue?
Nul ne le sait, mais des idées se dessinent. Les
physiciens ont déjà un candidat en tête
: le neutralino, tout droit issu du monde de la supersymétrie
(voir p. 29), une extension possible du "modèle
standard des particules", dont on recherche les signatures
dans les grands accélérateurs.Son interaction
avec la matière ordinaire serait très faible,
Aujourd’hui, selon les dernières données
disponibles, l’Univers qui nous entoure se décompose
ainsi: |
|
- 70 % d’énergie noire de nature et de composition
inconnues, Elle accélère l’expansion mais
ne s’y dilue pas
- 25 % de matière noire exotique (neutralinos de la
supersymétrie?) qui se dilue avec l’expansion
- 4,5 % de matière ordinaire dont l’essentiel
est sombre et ne brille pas. Les étoiles et la matière
visible par ses rayonnements ou par son absorption de la lumière
comptent pour 0,5% seulement. Les éléments chimiques
lourds tels que le carbone, l’azote, l’oxygène,
le silicium et le fer représenteraient 0,03 %. Ce sont
les constituants de la Terre et de la vie.
- 0,3% ou moins encore de matière noire chaude sous
forme de neutrinos, abondants mais peu massifs.
F.G.
|