Le Stellarator

Wendelstein 7-X

17 décembre 2015

 

Ca y est, le Allemands, après 19 longues années ont terminé le montage de ce véritable cauchemar technologique qu'est un stellarator. Début décembre cette machine a produit son premier plasma, des décennies avant ITER. Evidemment les gens qui consultent mon site m'ont assailli de questions à propos de cette machine.

 

 

Il a fallu 19 années pour que ce projet voie le jour et un million d'heures de travail. Il compte 20 bobine planes et 50 bobines non planes. pourquoi ce distingo ? Quand on veut créer un champ magnétique dans ces bobines il faut y faire circuler un très fort courant qui peut atteindre douze mille ampères. Or quand on fait passer un courant intense dans un bobinage il est soumis à des forces centrifuges qui concourrent à lui donner une forme circulaire. Le cas échéant ces forces peuvent engendrer la rupture de la bobine. La veine du Stellarator allemand ayant une géométrie très tourmentée

                   

                         

 

il a été nécessaire de prévoir des bobines de formes ci non seulement circulaires, mais gauches :

                                                                 

 

Pourquoi une géométrie aussi compliquée ? Si vous visionnez les 5 vidéos que j'ai installées sur Youtube les principes directeurs des Tokamaks y sont présentés. Il partent d'une idée venue du froid, due à Andréi Sakharov et Artsimovitch. Si on équipe une chambre toroïdale de bobinages circulaires, régulièrement disposés, le champ magnétique sera plus intense près de l'axe de la machine, là où les bobines sont les plus proches les unes des autres. Les plasmas ayant tendance à gagner les régions où le champ est minimal ceci fera que le champ magnétique tendra à expulser le plasma créé dans la chambre vers l'extérieur. Le Tokamak représente une première solution. A l'aide d'un solénoïde disposé selon l'axe de la machine, qui crée un champ lentement croissant (qui atteindra 13 teslas sur ITER), lequel baigne la chambre d'essai on fait naître un courant induit qui se boucle circulairement dans le plasma. Ce courant crée lui-même un champ, dit poloïdal qui se compose avec celui créé par les bobines enserrant la chambre. Au résultat les lignes de champaffactent une forme spiralée.

Comme les particules chargées ont tendance elles mêmes à spiraler autour des lignes de champ magnétique elles suivront celles-ci. Ceci permettra de garder le plasma au centre de la chambre. L'autre solution, suggérée par l'Américain Lyman Spitzer dans les années cinquante et de faire dans ce qu'il appela un Stellarator. La machine Wendelstein X-7 est un Stellarator :

                                                 

En jaune, la chambre de la machine, en bleu les nombreuses bobines. Lors de sa conception le Stellarator allemand a fait l'objet de nombreux calculs sur ordinateur pour optimiser la forme de sa chambre ainsi que le dessin de ses bobines. Tout cela a demandé un énorme travail et un million d'heures de travail.

Pourquoi opter pour le Stellarator plutôt que pour le Tokamak ? Dans le Tokamak ( et ITER en un ) l'écueil majeur est la possibilité de voir se produire des disruptions. A l'intérieur de la chambre le "courant plasma" ( 15 millions d'ampère pour ITER ) peut être représenté de manière imagée par un serpent qui se mordrait la queue. Très schématiquement une disruption peut être comparée à la rupture de la façon dont ce courant s'enroule. Alors le serpent lâche sa queue et s'en va "mordre la paroi". Sur ITER cette "morsure" est évaluée à 11 millions d'ampères.

La cause : une turbulence MHD. Pire encore : cette distorsion du champ magnétique s'accompagne de gradients qui sont autant de régions accélérant les particules chargées : essentiellement les électrons. Ceux-ci acquièrent des vitesses relativistes, proches de la vitesse de la lumière, se dotent d'énergies très importantes. A partir d'une certaine vitesse ils cessent pratiquement d'interagir avec les ions. On les appelle alors des électrons découplés. Mais par "effet d'avalanche" ils accélèrent d'autres électrons. Il y a un effet multiplicatif, considérable sur ITER.

Dans un Stellarator ces phénomènes n'existent pas. Cela ne veut pas dire que d'autres instabilités ne puissent pas se manifester. Seule l'expérimentatation apportera la réponse à cette question. Depuis un demi siècle les machines à plasma ont réservé trop de mauvaises surprises pour qu'il ne soit pas indispensable d'avancer progressivement.

La machine allemande a un système de magnétisation où l'intensité du champ atteint 3 teslas. Le système de chauffage par micro-ondes est prévu pour fonctionner pendant 10 à 50 secondes. Un système d'injection de neutres représente un apport d'énergie d'une puissance de 8 Mw. Avec ce dispositif les chercheurs espèrent porter le plasmas, dans la chambre, avec une densité de 3 1020 noyaux par mètre cube à une température de 60 à 120 millions de degrés.

Le Stellarator allemand ne permettra pas d'obtenir un plasma de fusion "autonome", où l'énergie issue de la fusion suffirait à maintenir la température du plasma à un niveau suffisant. Avec ces différentes machines on s'efforce d'allumer le "feu nucléaire". Vous pouvez comparer cela à une tentative d'allumer "du bois un peu humide" avec des morceaux de cagette ou un "allume-feu"machine. Tant que cela brûle le bois humide participe au processus exo-énergétique. Quand les fragments de bois sec, ou l'allume-feu sont consumés, deux cas de figure. Ou la combustion du bois humide dégage assez de chaleur pour que ce feu soit auto-entretenu, ou cette énergie dégagée sera insuffisante et ce feu s'éteindra et vous en serez quitte pour recommencer l'opération avec un nouvel allume-feu.

Aucune machine à plasma au monde n'a à ce jour pu créer de telles conditions. La plus performante : le JET a permis de monter le coefficient Q = énergie injectée/énergie produite à la valeur 0,6. Le but d'ITER était d'obtenir un coefficient supérieur à l'unité. Au passage, on n'a aucune idée concernant la façon dont se comporterait un plasma de fusion soudain auto-entretenu. Comme dans tout ce qui touche à ces questions il est bien difficile de faire des prédictions théoriques.

Le Stellarator allemand a représenté un coût qui est proportionnel à sa complexité. Je crois que les dépenses se monte à un milliard d'euros. Mais c'est un projet qui est arrivé à maturité. La machine a été construite, ses dispositifs de magnétisation sont opérationnels et en ce début de décembre les chercheurs ont obtenu leur premier plasma. La suite consistera à accroître l'apport d'énergie qui se négocie, comme dans les tokamaks à l'aide de micro-ondes et d'injections de neutres. Ce sont des techniques qui sont maîtrisées. La première question est : "Cette machine répond-t-elle aux attentes du point de vue du confinement de son plasma ?". Il semble qu'un début de réponse positive ait été obtenu.

Le Stellarator représente-t-il une solution vis-à-vis de la production d'énergie par fusion ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais son coût reste 16 fois inférieur à celui d'ITER. La machine a une énorme avance sur ce projet pharaonique : elle fonctionne, et les chercheurs n'ont pas à craindre qu'elle soit immédiatement endommagée par une disruption, ce qui n'est pas le cas d'ITER.

Ce risque handicape terriblement ce dernier projet. Si on regarde comment ITER est conçu, tout remplacement de composant peut constituer un problème inextricable. Les composants qui représentent la cible favorite de ces disruptions sont les éléments du "divertor".

 

                                                          . .

 

   

La première image permet d'évaluer la taille de la pièce, en rapport avec l'échelle de l'ensemble de la machine. Il existe une vidéo qui montre à quelles acrobaties les techniciens devront se livrer pour assurer la mise en place des composants. Leur remplacement sera tout aussi problématique. Voir :

                                                                                    https://www.youtube.com/watch?v=pt70mO2nQac

Au passage le risque de disruption croît avec la puissance que l'on cherche à extraire du plasma.

Le Stellarator allemand est un outil de recherche qui n'a nulle prétention d'être la préfiguration d'un générateur d'énergie par fusion. Sur ce plan c'est un projet intéressant, qui s'inscrit dans une rationnalité. Le projet ITER a été d'emblée pharaonique. On a terriblement sous-estimé les problèmes techniques et scientifiques que l'on pourrait rencontrer.

En France, nous n'avons pas de Stellarator, fussent-il des machines de laboratoire. Personnellement j'ai suggéré de testé une configuration "en noeud de trèfle" qui traduit elle aussi un enroulement spiralé des lignes de champ magnétiques, tout en permettant de créer celui-ci à l'aide de bobine circulaires.

 

                                                         

Mais Cette chambre est construite autour d'une "âme" dont l'équation est :

                                        x = Cos t + 2 Cos 2t

                                        y = sin t - 2 sin 2t

                                        z = 2 sin 3t

Dans une section droite, circulaire, le point de champ maximal tourne de 270° à chaque tour, ce qui pourrait s'avérer suffisant pour garantir l'homgénéité du plasma. Le fait que les bobinages soient circulaires permettrait de monter le champ à 10 teslas (le champ nominal dans la chambre d'ITER est de 11,8 teslas.

Mais tous les efforts pour réaliser, ne serait-ce qu'une modeste maquette de 50 cm, dans un laboratoire spécialisé sont restés lettre morte. Il est significatif que la section du CNRS qui gère les recherches sur les plasmas chaud ait écrit que ces études se résumaient à deux axes possibles :

                            - ITER

                            - Mégajoule.

A titre indicatif, les résultats obtenus par le grand frère de Mégajoule, le NIF (National Ignition Facility) américain ayant été plus que décevants, l'espoir d'étudier la fusion par laser à l'aide du banc Mégajoule est lui aussi une illusion. L'installation américaine comporte 192 lasers au verre dopé au néodyme, la machine française en aura 176. En dépit de l'échec du NIF le projet français sera amené à son terme.

Au passage pourquoi un tel échec ?

Dès le milieu des années soixante dix, grâce à un projet de recherche ultra-secret, Centurion Halite, les américains savaient que pour comprimer une sphère de deutérium-tritium au point de créer en son sein la fusion il fallait un apport d'énergie de 10 à 20 mégajoules. Or le NIF ne pouvait concentrer sur cette goutte que 0,18 mégajoules, c'est à dire une énergie 55 fois plus faible. Pourtant les lasers produisaient 1,8 méjaoule d'énergie. Mais, dans le système du holrham (du "four" ) 80 à 90% de cette énergie était consacrée au chauffage de l'or dont était faite ce mini-four.

 

                                                   

                                                                               Le mini four, en or, abritant la cible

 

                                                                           

               La fraction de l'énergie se déposant effectivement sur la cible.

 

Il était exclu de mettre en batterie cinquant fois plis de lasers. Les théoriciens du projet, John Nulholls en tête, imaginèrent alors d'opérer la compression non sur une goutte mais en comprimant une couche de D-T solidifié, déposé sur la face interne d'une minuscule ampoule Le risque était alors que la compression s'effectue mal, du fait de l'instabilité de Raleigh-Taylor, qui se produit quand un fluide exerce une pression sur un autre. Ceci peut être facilement imagé en considérant ce qui se passe quand un fluide plus dense exerce une pression sur un autre fluide, situé en dessous :

 

                                                                         

                                                                                    L'instabilité de Raleigh-Taylor

 

Nucholls, confiant dans des prédictions issues de ses simulations numériques avait assuré que cette instabilité n'aurait que peu d'effet sur le résultat de l'expérience. Selon lui la fusion serait obtenue dès les premiers essais (en 2012) et le travail qu'araient à faire les expérimentateurs se résumerait à retoucher les paramètres des simulations pour qu'ils s'accordent mieux avec les données expérimentales. Mais la campagne d'essai se termina par un fiasco total. Les mesure montrèrent que l'instabilité de Raleigh-Taylor jouait à fond.

Comment cela peut-il être mis en évidence ? Simplement en mettant dans la cible des atomes-traceurs permettant de mesurer la vitesse d'implosion par effet Doppler. La fusion demandait à ce que celle-ci atteigne 370 km/s. On était loin du compte, et ces vitesses d'implosion étaient très dispersées, montrant une absence complète de régularité.

On est donc là confronté à l'échec d'une manip lourde (6 milliards de dollars ) entièrement fondée sur des simulations effectuées sur de très puissants ordinateurs. L'autre aspect est le bourrage de crâne auquel se sont livré Nuckholls et son équipe. Ils interdirent à d'autres chercheurs de décortiquer leur code de calcul, sous le prétexte que celui-ci était "secret défense". .

Quid des Français ? En ce milieu des années soixante dix - début des années quatre vingt, quand le projet Mégajoule était en cours d'élaboration, connaissaient-ils ce chiffre de 10-20 mégajoules sur cible, nécessaire pour obtenir la fusion ? Il se trouve que ceci était connu. Logiquement, ceci aurait du stopper le projet. Les Français furent les seuls à emboiter le pas aux Américains. Dans tous les autres pays, Russie, Japon, les chercheurs disposaient d'une "ligne lasers de puissance" (un térawatt par laser). Mais ailleurs on se dit "voyons les résultats qu'obtiennent les Américains et les Français. Alors, on avisera". A moins, en Russie en particulier, que les ingénieurs militaires n'aient eu leur propre projet "Centurion-Halite".

Les projets NIF et Mégajoule n'étaient pas, dès le départ, axé sur une production d'énergie fondée sur la fusion à l'aide de lasers, simplement parce que le rendement de ceux-ci n'était que de 1,5 % Evoquer l'idée que des centrales à fusion puissent voir le jour sur cette base était simplement se payer la tête du grand public. En fait ces projets étaent 100 % militaires. Cette compression d'une cible visait à reconstituer, à très petite échelle, le compression qui s'opère dans un engin thermonucléaire du fait de l'irradiation par les rayons X produit par un engin à fission, au plutonium 239. passage pourquoi un tel échec ?

En France, à part ces deux projets pharaonique que sont ITER et Mégajoule, pas d'études de mini-stellarators ou de Z-machines. L'engin Sphinx, installé à Gramat, dans le Lot, et géré par les militaires, ne permet pas d'envisager une fusion par compression MHD. La machine est ... trop lente temps de montée, 800 nanosecondes). Réduire le temps de décharge de son courant n'est pas envisageable. Il faudrait ... une autre installation.

Pourquoi le fait d'avoir un temps de montée faible, tournant autour de 100 à 150 nanosecondes est-il si important ? Parce qu'une tel temps de montée évoque un courant variable de l'ordre de cent mégahertz. Or les courants haute fréquence ne circulent pas dans le corps des conducteur mais à leur périphérie. C'est ce qu'on appelle l'effet de peau. Dans le Z-machines on fait circuler le courant dans des fils du diamètre d'un cheveu, ou passent 70.000 ampères. Si le temps de montée est trop lent, le courant passe trop profondément dans le fils et le volatilise. Avec un temps bref, seule sa "peau" se transforme en plasmas.

Il y a d'autres montages comme MagLif où on procède différemment. Il aurait été fort utile, en France, d'opter pour de telles filières. Mais ces "ogres" que sont ITER et Mégajoules interdisent toute recherche de ce genre.

Je ne m'étendrai pas plus avant sur ces deux gâchis et je ne ferai que citer une anecdote qui m'a beaucoup fait rire, la dernière fois que je suis allé voler en planeur à Vinon, avec un ami. Alors que jusqu'ici, en face du centre, le paysage était régulier, se dresse maintenant le squelette métallique, d'une taille impressionnant, qui abritera ITER. Dans les mois qui précédaient un pilote espagnol se pose au centre, avec son avion. Après avoir pris un pot avec les gens du lieu, il décide de repartir. Mais après avoir décollé, il vire à gauche et fonce droit sur ITER.

Les gens du contrôle aérien ( installé dans un vieux camion, faisant office de tour de contrôle ) s'égosillent aussitôt au micro, indiquant au brave gars que cette zone est interdite de survol. L'autre accuse réception, vire à gauche et répond :

 

                                                    -     Si,si, entiendo.    Je vire et j'évite le parc de loisirs...

 

 


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