Pourquoi les émeutes de la faim ?
11 mai 2008
3 juin 2008 : La situation s'aggrave de jour en jour. Le libéralisme et la stratégie du profit sont les premiers responsables de cette "envolée des prix"
La FAO souhaite que les pays riches accroissent leur aide financière pour que les pays pauvres puissent acheter cette nourriture devenue
hors de prix, mais personne n'ose critiquer l'effet meurtrier de la libéralisation des prix agricoles.
Une pétition pour " mobiliser des fonds d'urgence "
Et "pour les pauvres, en particulier dans les zones urbaines des pays en développement importateurs nets de produits alimentaires, la situation va s'aggraver". Selon la Banque mondiale, cette envolée des prix de l'alimentation et du pétrole a plongé 100 millions de personnes dans la misère. • Ahmed Ouaba (AFP/AFP)jeudi 29 mai 2008, |
Manifestation en Afrique ( Burkina Fasso
Marcel Mazoyer, chercheur à l'INRA, Institut National de l'agronomie, vous l'expliquera très simplement, en répondant à un certain nombre de questions :
Les prix des céréales se sont mis à monter brutalement, et il explique pourquoi.
Les stocks ont baissé, et soudain l'offre est devenu plus faible que la demande. Alors les prix ont flambé. C'est la " loi de Wall ". Voir page 19, dans ma bande dessinée l' Economicon :
http://www.savoir-sans-frontieres.com/JPP/telechargeables/Francais/economicon.htm
La loi de Wall
Dans le commerce, qu'est-ce qu'on cherche à faire ? A gagner de l'argent, le plus possible. Ce qui fixe les prix c'est " la loi de l'offre et de la demande ".
Y a-t-il une limite ? Que nenni ! Ce qui est l'objet d'une demande inévacuable et qui se raréfie voit son prix flamber automatiquement, si le marché est libre. A Haïti, pays de misère, le prix des produits alimentaires a soudain doublé. Comme nous l'explique Mazoyer, les stocks de céréales ont baissé, progressivement. Après, dit-il, il suffit d'un rien. Une baisse de production dans des pays producteurs et exportateurs, comme l'Australie, du fait de mauvaises conditions climatiques, un accroissement de la demande ( importations chinoises, demandes en agrocarburants ) et la spirale démarre. Il ajoute que cette crise était totalement prévisible car un savait que les stocks de céréales mises en réserve diminuaient.
Mais ça n'est pas la demande chinoise ou la demande soudaine en agrocarburants qui est la cause première du phénomène. Elles n'en sont que le déclencheur. La cause est ailleurs.
Passons sur les chiffres terrifiants que Mazoyer nous assène avec lassitude. Neuf millions d'hommes, de femmes et d'enfants meurent de faim chaque année. Trois milliards sont en dessous du seuil de pauvreté, survivent avec deux euros par jour. Deux milliards sont anémiés par le manque de qualité des nourritures qu'ils absorbent. Huit cent cinquante millions ( il précise que le chiffre s'accroît chaque année ) ont le ventre tenaillé par la faim.
Dans cette interview, Mazoyer lâche une phrase qu'il faut attraper au vol : " les accords de Marrakech ". Vite, chercher. De fil en aiguille l'explication monte très vite, elle porte un nom : l'OMC, l'oganisation Mondiale du Commerce. Allez sur Google, tapez OMC. Cet organisme aime à se présenter lui-même. Il est né le 1° janvier 1995. Son siège est à Genêve et comporte 151 états-membres. .
http://www.wto.org/French/thewto_f/whatis_f/tif_f/utw_chap1_f.pdf
La plaquette fixe tout de suite les buts que s'est fixé l'OMC.
Dans cette page, en rouge, on dénote un oubli immédiat, le souci de :
Protéger les producteurs
Alors que c'est ce que Mazoyer indique comme seule solution.
Avant l'OMC le monde correspondait aux accords du GATT ( General Agreements of Tariffs and Trade : accords généraux sur les tarifs et le commerce ). Cet accord, signé en 1947 par 23 pays correspond au commerce de l'après-guerre. Tout cela va de pair avec la création de la Banque Mondiale, dont Wolfowitz,, nommé par Georges Bush fut un des présidents et du FMI, du Fond Monétaire International.
Nous en sommes à un stade, à une époque où il faut s'informer, lire ce qui est disponible.
Restons-en au niveau de l'Organisation Mondiale du Commerce. C'est l'outil de la Mondialisation de l'économie. Cet organisme se base sur un credo : la disparition des barrières douanières, frein aux échanges. Ce credo est " plus les échanges seront actifs, plus on permettra la libre concurrence entre les différents producteurs et plus les prix baisseront, plus cela profitera au consommateur".
Il est évident que dans tous les domaines de l'activité économique ceci défavorise les petits producteurs dont l'activité se traduit par des coût de production plus élevé. Je crois qu'il n'est pas nécessaire d'insister pour tout le monde soit conscient de ce phénomène. Les gros mangent les petits. Les petits disparaissent, les faibles sont éliminés. C'est la version économique du darwinisme. En parallèle les pays " se spécialisent ". Le pays qui pourra s'arroger une forte part dans la production sera celui qui offrira les coûts de production les plus bas. Mazoyer cite en exemple le Brésil qui cultive sur des vastes territoires, subissant une déforestation, en utilisant un main-d'oeuvre à bon marché. Dans ces régions le coût de production des céréales peut descendre en dessous de 100 euros par tonne.
A l'inverse, les petits producteurs, les paysans qui travaillent sur des terres ingrates, qui subissent des facteurs d'échelle, qui ne disposent pas d'engins mécanisés, ni même d'animaux de trait ont des coûts de production quatre, cinq à six fois plus élevés. Dans le coût de production, il faut tout additionner : depuis le coût sur le terrain, sur qu'au coût de la marchandise collectée, acheminée, stockée (en assurant sa conservation), distribuée, que cela soit sur un marché international ou sur un marché intérieur. Un paysan habitant une campagne reculée, pourra être laminé par l'arrivage de denrées d'importation.
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Les petits producteurs ne font pas le poids devant des représentants de ce que Mazoyer appelle l'AGROBUISNESS qui allient vastes exploitations, moyens techniques sophistiqués, circuits d'acheminement et de distribution rapides et bien organisés, sur de vastes échelles, et main-d'oeuvre peu payée ( Brésil ).
Les petits paysans ne peuvent alors survivre face à une telle concurrence. Ils viennent alors grossir les bidonvilles. Mazoyer indique que 40 % des habitants de ces bidonvilles sont des paysans ruinés et que si aucune mesure n'est prise ce chiffre pourra monter à 60 % dans les prochaines années.
Au moment où ces mesures de libre concurrence ont été mises en oeuvre des petits producteurs par exemple de café, en Afrique, ont été brutalement confrontés à la concurrence brésilienne, comme rappelé par le Suisse Ziegler, rapporteur pour les Nations Unies pour les questions d'alimentation, auteur de l'ouvrage l'Empire de la Honte.
Les importations et la distribution du café sont par exemple tenus par d'immenses trust comme la société Suisse Nestlé, que Ziegler nomme " la pieuvre de Vevey ". Il rappelle qu'il avait eu un jour un discussion avec un de ses responsables, en lui signalant que cet écroulement des prix du café, dû à la concurrence brésilienne, avait acculé à la ruine nombre de petits producteurs africains. Ce à quoi son interlocuteur lui avait répondu :
- Eh bien, si le café n'est plus rentable chez eux, ils n'ont qu'à cultiver autre chose (....)
La mondialisation entraîne la ruine et la paupérisation de nombre " d'oubliés de la croissance ", de gens " incapables de s'adapter ", de victimes des délocalisations, de la férocité de la concurrence. Aujourd'hui l'impact sur les ressources en nourriture se signale par des émeutes de la faim. En fait la carence en nourriture sur la planète ne datent pas d'hier.
Mais, comme le note Mazoyer, la nouveauté est que les affamés sont maintenant dans les bidonvilles et non plus dans les campagnes ou les régions en voie de désertification.
- Avant, dit-il, quand des paysans mourraient de faim dans des coins perdus, personne ne s'en souciait. Mais aujourd'hui la famine touche les bidonvilles en entraîne des manifestations de masse.
Cette famine était, dit-il, totalement prévisible. Les stocks de céréales étaient simplement en constante diminution depuis une vingtaine d'années (...). L'offre n'était alors plus en état de répondre à la demande, en manifestant une certaine élasticité. Quand les stocks atteignent une valeur minimale seuil, le marché devient " rigide " et sa réponse est la flambée des prix.
A cet épuisement des stocks il faut adjoindre l'accroissement de la demande, liée aux agrocarburants et aux importations de pays non producteurs. Mais tout ceci n'est que le déclencheur. De manière systématique il faudrait accroître, dit Mazoyer, la production de céréales de 33 % pour résoudre ce problème de la faim.
On découvre alors dans son discours que l'aide alimentaire ne représente qu'un pour cent de ce volume.
Ainsi cette aide est symbolique plus qu'autre chose. Elle ne résoudra jamais les problèmes.
C'est comme si à la suite d'un tremblement de terre ( Pékin vient d'en subir un, ce jour, 12 mais 2008, de magnitude 7,8 ) vous décidiez d'envoyer des ambulances en ne décidant de ne sauver qu'une victime sur cent.
La solution, dit Mazoyer " est d'assurer une protection des petits producteurs ". Qui dit protection dit protectionnisme, introduction de barrières douannières, de taxes sur des importations de produits étrangers, pour protéger les exportateurs locaux ou simplement les producteurs aux fins de consommation intérieure, dans le pays. Or c'est diamétralement opposé au credo de l'OMC.
L'OMC se veut structure de négociation entre états, qui peuvent alors porter sur des quota. Mais ces discussions concernent les entités à grande échelle, les vastes machineries économiques, à l'échelle brésilienne chinoise, européenne. Il n'y a personne pour défendre le petit producteur de céréales.
Mazoyer :
- Des terres cultivables, il en existe et point n'est besoin pour en trouver de dévaster la forêt amazonienne. Mais les représentants de l'agrobuisness ne s'intéressent pas aux terres ingrates, pauvres, mal situées, mal irriguées, que ne pourra cultiver que le petit paysan, alors incapable d'assurer un prix à la production compétitif. Si on ne protège pas systématiquement ces petits paysans qui sont ruinés les uns après les autres, ils viendront grossir les bidonvilles.
En un mot Mazoyer indique que la solution n'est pas de fournir de la nourriture à ces gens des bidonvilles mais de leur permettre de retourner vers leurs terres en faisant en sorte que ces exploitations leur assurent non seulement un revenu qui leur permettre de survivre, mais aussi d'investir en devenant capables d'acheter des animaux de trait, des charrues, des engrais. Il faut pour ce paysans pauvre que ses revenus soient suffisamment assurés pour qu'il puisse investir dans ces achats. Et, techniquement, cela ne peut se faire qu'en réintroduisant des mesures protectionnistes concernant l'agro-alimentaire, au détriment des profits des barons de l'Agrobuisness.
Dans le monde actuel, qui devient chaque jour un peu plus délirant, non seulement le fonctionnement du marché écrase totalement les petits producteurs, mais il leur ajoute de nouvelles taxes avec ... les OGM. Le petit producteur n'est ainsi même plus propriétaire des semences qu'il récolte. Il lui est interdit par la loi de les réutiliser.
Les Héraults de cette mondialisation et ardents défenseurs des OGM, comme notre ex-french doctor Koutchner diront que la solution de faim dans le monde passe par ces OGM, " qui accroîtraient la rentabilité des entreprises agricoles ". Ainsi la solution consisterait à faire produire massivement de la nourriture par des grandes entreprises spécialisées, travaillant sur de vastes échelles. Mais comme le note Mazoyer, ces entreprises ne travaillent pour des clients riches, solvables. L'aide alimentaire ( pourcentage ridicule déjà mentionné ) est incapable de palier ce problème.
Dans certaines régions pauvres les paysans se tournent vers des récoltes plus rentable : la drogue. Comment s'en étonner, dans un monde qui compte résoudre ses problèmes en équipant les policiers de tasers, en multipliant les camps de concentrations, voir un jour en éliminant de vastes populations de manière discrète, par le biais d'armes météorologiques ou bactériologiques.
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