Indifférence

9 - 15 mai 2009

 

Au lieu de mettre un simple lien sur une vidéo youtube, j'ai préféré demander à Julien Geffray de me la récupérer pour la mettre à demeure sur mon site. Pour que cette séquence reste accessible et que vous puissiez la regarder, sans limitation de temps. Regardez ces images. C'est vous, c'est nous, et comme vous le verrez, ça ne date pas d'hier. Le thème : une simple caméra de surveillance, dans une ville des Etats-Unis, Hartford, a filmé une scène banale.

 

Le fichier vidéo en MP4

 

 

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Un vieil homme traverse une rue de Hartford, Etats-Unis                                      Un premier véhicule l'évite en braquant à gauche

 

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Véhicule suivant est surpris. Au lieu de piler, il donne un coup de volant à gauch, percute le type de plein fouet, puis s'éloigne

 

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Le type gît, les bras en croix. Personne ne bouge. Le véhicule précédent de chauffard prend la première à droite, et l'autre en fait autant

 

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Un premier véhicule passe à côté, puis un second. Aucun ne s'arrête. Un passant arrive, tranquillement. Le type étendu est inanimé, sur le dos. Il doit faire ... une sieste

 

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Les deux véhicules s'éloignent. Un autre passe à côté ( A ) et ne s'arrête pas. Un autre ( B) arrive. La femme a disparu, des badauds arrivent.

 

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Le véhicule B ralentit. Le C ralentit, observe. Un conducteur s'arrête et un passant regarde le gars allongé sur le macadam, s'appuyant sur le véhicule

Le type ne bouge toujours pas. Les passants non plus .....

 

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Puis le passant P décide de continuer son chemin. La voiture sur laquelle il s'était appuyé de gare, à droite.
Le véhicule B commence à faire demi-tour, le motard M oblique à droite

 

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Le véhicule B termine son demi-tour. Le motard vire pour regarde. Les badauds matent le bonhomme étendu. Un nouveau véhicule passe sans s'arrêter

 

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Le véhicule F préfère obliquer et prendre la première à gauche. Le mortard M s'arrête, regarde. G attend, peinard dans sa voiture.

Indiquée en rouge, une véhicule de la police, en approche, qui déboite pour doubler

 

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Le Motard M retourne chez lui pour raconter l'histoire à sa copine. Un camion passe. H, véhicule de la police, double et s'approche

 

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La voiture des flics s'arrête devant le bonhomme toujours inanimé. Le camionneur, à droite, voyant la police, décide de ne pas de barrer non plus

 

Quel commentaire apporter à ces images ?

Ce qui est extraordinaire c'est qu'aucun des témoins de cette scène ne s'approche du blessé, ne l'examine. Ne parlons pas du responsable de la collision qui prend tranquillement la fuite. Un homme blessé peut être victime d'une hémorragie. Il y a des gestes qui peuvent être faits, des points de compression peuvent sauver une vie. Mais personne ne se soucie simplement de l'approcher. Ceci étant, si sa colonne vertébrale est touchée, il convient de ne pas le bouger et il devra être transporté avec des gestes de professionnel, sur une civière. Est-ce que des témoins ont appelé une ambulance ? La voiture qui s'approche est-elle une voiture de police ? C'est possible. Mais dans ce cas, elle n'est nullement en mesure de transporter ce blessé, et les policiers qui conduisent ce véhicule n'ont pas non plus de compétences pour l'examiner.

 

12 mai 2009 : Plusieurs lecteurs m'ont dit que cette passivité des groupes portait un nom en psychologie, c'est " l'effet spectateur ". Selon cette théorie il semblerait que, face à une scène dramatique, plus il y a de témoins et moins les gens réagissent. C'est l'effet " moutons de Panurge ", mais à l'envers. Comme personne ne bouge, chaque membre du groupe doit se dire que c'est normal. Les gens cherchent peut être surtout à nepas se singulariser. Je me rappelle très précisément ce que j'avais vécu au début des années soixante-dix, sur la plage de Porto, en Corse. J'ai trouvé un attroupement, sur la plage, qui regardait, au delà de vagues de trois mètres, un type qui avait été emporté, faisait ses signes et étaient visiblement en train de se noyer.

Personne ne bougeait. Ils restaient là, à regarder. Quand j'ai compris ce qui se déroulait sous mes yeux, j'ai immédiatement réagi. Je savais que je pouvais passer cette barre en nageant sous l'eau, au ras du fond. Mais, vue la puissance des vagues, jamais je n'aurais pu ramener ce gars. Alors j'ai eu l'idée de l'attacher à une bouée. Je me revois gueulant après ces gens :

Effet spectateur

- Vite, ramenez-moi une bouée de gosse et une corde. Ramenez-moi aussi un couteau, vite ! Allez me chercher ça dans vos tentes ( il y avait un camp de camping en bordure de plage ).

Mais aucun ne bougeait, comme s'ils ne voulaient rien perdre du spectacle. J'ai dû gueuler. Alors un premier m'a ramené une bouée circulaire, avec tête de canard. Je l'ai dégonflée pour pouvoir la fixer à ma taille. Une femme avait amené un long métrage d'une corde nylon gris, qu'elle devait utiliser pour suspendre son ligne. J'ai pris le couteau, m'appêtant à en couper environ trois mètres.

- Oh, vous allez la couper ! .....

Non, ça n'est pas un film, c'est la réalité.

J'ai courru pour passer la barre à trois cent mètres sur la gauche. Les vagues avaient l'air moins fortes. En rasant le fond sur une cinquantaine de mètres j'ai pu effectivement refaire surface de l'autre côté de la barre. J'ai alors crawlé pour rejoindre l'endroit où le type était censé se débattre. Sur la plage, la mère de mon fils m'a fait des grands gestes du bras, insistants. J'ai cru qu'elle me faisait signe que la vague avait emporté le type. Alors il fallait que je me hâte en effectuant le chemin inverse, ce que j'ai fait. Mais quand je suis arrivé, elle m'a dit qu'elle m'avait simplement fait des signes " comme ça ". Au moment où j'étais arrivé sur le lieu du drame le gars venait peut être de couler. De toute façon, il y avait trois mètres d'eau à tout casser. Si je l'avais cherché, sous l'eau, je l'aurais peut être trouvé. Mais ça n'était plus la peine d'épiloguer en se demandant ce qui aurait pu se passer si..

Il n'y avait plus rien à faire.

Comme il n'y avait plus rien à voir, les gens sont retournés dans les tentes. On m'a dit qu'il s'agissait d'un couple de jeunes Danois, arrivés ce matin avec un charter. Je me suis enquis de ce qu'il advenait de la jeune femme.

- Oh, laisse, des gens ont dû s'en occuper.

J'ai voulu vérifier. Non, tout le monde avait foutu le camp, laissant cette jeune femme livrée à elle-même, face à la mer écumante. Je me rappelle qu'un couple d'Allemands s'est pointé en disant " nous, on a une voiture, si ça peut servir....". En quelques minutes, la plage s'était vidée.

On s'est occupés tous les quatre de la jeune femme. L'Allemand était médecin et lui a administré un calmant puissant. On a dîné avec elle. Après, on s'est occupé de son rappatriement. Elle ne parlait pas un traître mot de français. Pendant le dîner le patron de l'hôtel m'a fait des signes. La mer s'était calmée. J'ai compris qu'elle avait rejeté le corps. Effectivement, quand je suis arrivé sur la plage, qui était à deux cent mètres de l'hôtel, on voyait celui ci émerger de l'eau, en aval des vagues, à la lumière de la lune. Les gens du camping étaient revenus. Il y avait quelque chose à regarder et ils étaient de nouveau attroupés. Je suis entré dans l'eau et j'ai été rechercher le gars. Il devait faire un mètre quatre vingt dix mais la rigidité cadavérique l'avair rendu aussi raide qu'un bout de bois. J'ai quand même trouvé deux types pour m'aider à le transporter. Je le tenais pas la tête et eux par les chevilles.

La mort, c'est aussi simple, aussi rapide que cela. Les foules réagissent avec passivité. Quand le Titanic a heurté un iceberg, la mer était d'huile. Les gens ont enfilé leurs gilets de sauvetage, dans le calme et la discipline. Il était facile de se rendre compte qu'il n'y aurait jamais assez de place pour embarquer tous les passager dans les canots de sauvetage. Quand le bateau a coulé, des centaines de passagers sont partis à l'eau, flottant grâce à leur ceinture de sécurité. Et ils sont tous rapidement morts de froid. Quand le bateau s'enfonçait lentement, l'orchestre jouait " plus près de toi, mon dieu ". Ils sont joué jusqu'à ce qu'ils soient submergés. Personne n'a pensé une seule seconde à trouver des haches, des cordes, et à confectionner des radeaux, à la hâte en démantibulant les boiseries du salon des premières classes. Ceux ci auraient suffi à maintenir les rescapés hors de l'eau, en attendant la venue de secours. Bu bois, sur ce bateau, ça n'était pas ça qui manquait. Les haches non plus, j'imagine.

La situation actuelle, sur Terre, me fait penser à ce qui se passait sur le pont du Titanic. Il y a ceux qui meurent, au Darfour, à Gaza, et ceux qui regardent leur télé. Ils n'ont pas l'air de se rendre compte qu'ils font tous partie du même bateau et qu'il devient urgent de faire quelque chose. Les émirs de Dubaï se disent que ce qui subsistera, c'est le luxe. Alors ils investissent dans le luxe, construisent des pistes de ski dans le désert, multiplient les résidences et les appartements grands comme des halls de gare, construits par des esclaves Indiens, Pakistanais, ou Chinois, qu'ils retiennent prisonniers en confisquant leur passeport à leur arrivée. Il y a un suicide par jour, parmi les ouvriers du bâtiment.

Les scientifiques s'écoutent parler. Dans le numéro spécial de Science et Avenir sur l'astronomie ( 2009 a été déclarée par l'ONU " année de l'astronomie" ) l'astronome André Brahic s'attendrit sur sa découverte des anneaux de Neptune, ou d'Uranus, je ne sais plus. Ce fut " un grand moment d'émotion ".

naufrage

 

Hubert Reeves a fait une grande découverte, qu'il nous confie, sur le ton de la confidence, fruit de décennies de réflexion:

L'homme et le cosmos ne font qu'un

Il reste la Grande Presse, c'est vrai :

 

journaliste

 

 

 

 

 

J'ai vécu une scène similaire à ce que montre la vidéo, plus haut; à la fin des années cinquante, en France. J'étais alors étudiant à l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique. Je connaissais une jeune fille qui allait devenir par la suite l'épouse du journaliste-politicien Jean-Jacques Servan Schreiber, aujourd'hui décédé. Sabine ( on a le même âge ) m'avait proposé de profiter d'un chalet de montagne dont elle pouvait disposer, à Bellecombe. Pour ce faire il était souhaitable de pouvoir s'y rendre en voiture.

Il y avait à Supaéro un groupes de polytechniciens, ingénieurs militaires de l'air, qui suivaient les deux dernières années comme " école d'application ". C'étaient nos " ingé milis ". Parmi ceux-ci se trouvait un garçon qui avaient souhaité être pilote de chasse. Il avait ainsi été envoyé à Meknès, au Maroc, où on l'avait mis dans une escadrilles de monoréacteurs à réaction " Ouragan ", subsoniques.

 

Avion Ouragan

L'avion d'attaque au sol, subsonique, de Dassault, années cinquante

 

Je ne sais vraiment pas comment un instructeur avait imaginé placer un tel maladroit aux commandes d'un jet. Les X sont parfois d'excellents pilotes, y compris des pilotes d'essai. Je me souviens de ce que m'avait raconté Pïerre Baud, de la même promotion, devenu plus tard chef pilote chez Airbus, qui avait un jour réussi à poser un biréacteur Fouga, moteurs calés, en pleine campagne, sans s'éjecter. Je me souviens aussi d'un olibrius, myope comme trente six taupes, qui volait en Stampe avec d'autres X.

 

stampe

 

Un Stampe. Cliquer pour le voir en vol

Un jour il se pose et les autres lui demandent :

- Alors, c'était chouette, le vol de groupe, non ?

- Quel vol de groupe ? (....)

Les souvenirs remontent, comme des bulles. Allez, on se paye une petite digression. A cette époque je faisais de la chute libre en région avignonaise, au centre de Montavet. Il y avait un type qui sautait d'un Stampe. Le pilote était en place avant, et le parachutiste à l'arrière. Un jour le gars commence à s'extraire de la carlingue et, paf, son dorsal s'ouvre tout seul. Le pilote hurle " merde, dégage !". Impossible. Le Stampe part en pîqué. Le type ouvre le ventral et les deux gars descendent comme indiqué sur le dessin.

Stampe sous parachute*

 

Evidemment, ils ont plié l'appareil, mais ils s'en sont sortis sans trop de casse.

J'ai fait mes premiers sauts à partir d'un biplan entoilé, un bimoteur poussif, de de Havilland Dragon.

 

Dragon

De Havilland Dragon

 

Une meilleur photo, récupérée sur le site de Salis : http://www.ajbs.fr/musee

 

Dragon

 

premier saut en parachute

JPP, 20 ans

 

Pour sauter, il fallait d'abord passer sur l'aile, puis partir " face queue " , avec des hémisphériques, bien entendu, et un parachute de secours ventral. Un jour un débutant panique, et au lieu de sauter s'accroche à un hauban, l'oeil hagard. Ce zinc devait nous larguer à 75 - 80 km/h, je crois. Le moniteur crie au type " écoute, ou tu sautes ou tu rentres, tu choisis ! ".

 

parachutiste hésitant

Ça fait paniquer le gars encore plus, qui progresse vers le bout de l'aile, en s'accrochant aux câbles ( on les voit très bien sur la photo en gros plan ). Dans la cabine de pilote, le pilote hurle " mais qu'est-ce que vous foutez, nom de dieu ! ".

 

Parachutiste en bout d'aile

Le poids du type mets l'avion en virage et, finalement, l'élève perd pied, et part quand même dans le vide. J'ai retrouvé le pilote en question quarante ans plus tard, autour d'une bière, dans un petit aéroclub.

On voit cet avion dans le films de de Funès, de même que le planeur sur lequel j'ai fait mes premières armes, le biplace C 25S, qu'on voit dans la scène finale de la Grande Vadrouille Quand je pense aux Rolls sur lesquelles on vole aujourd'hui, à Vinon. Voir Mécavol.

Je reviens à notre pilote d'Ouragan. Au titre d'une formation, à Meknès, on demandait aux élèves pilotes de mitrailler une cible remorquée, avec une ciné-caméra. Puis, au debriefing on apprécie la "précision de ces tirs ". Très vite le chef pilote dit à mon ingénieur militaire :

- Écoutez, quand vous faites une passe de tir, vous vous écartez de la cible quand vous avez le nez dessus. La dernière fois, votre bout d'aile est passé à un mètre. Je crois que vous vivrez plus vieux si on vous met à Paris, dans un bureau.

Voilà donc mon gars étudiant à Super, Boulevard Victor. Il s'achète une Dauphine. Moteur à l'arrière, très instable au dessus de cent kilomètres à l'heure.

 

Dauphine Renault

Dauphine Renault

 

On part vers Bellecombe, mais on n'a pas dépassé Melun. Le gars conduisait sa Dauphine comme son Ouragan. Quand il doublait un véhicule il lui fonçait dessus, puis dégageait au dernier moment d'un brusque coup de volant, le dépassait, et terminait sa manoeuvre par une queue de poisson. Je ne sait pas où il avait appris cela. A un moment on voit, sur une route en ligne droite, désert, un bête camion, un " camion-cible ", en quelque sorte, qui roulait paisiblement. Il lui fonce dessus et donne un coup de volant à gauche. La Dauphine se met sur ses deux roues de droite, inclinée à 45°. Il enchaîne avec un violent coup de volant à droite. Docile, la voiture se met sur ses deux roues de gauche, toujours à 45°.. Il finalise sa manoeuvre par un nouveau coup de volant à gauche, tout en finesse. Et là on quitte la route, et la voiture part en tonneau. Seul un polytechnicien ingénieur militaire est capable de mettre une voiture en tonneau, sur une route droite bien dégagée, simplement en voulant doubler un camion. Ça tient du prodige.

A l'époque les ceintures de sécurité n'existent pas. Le choc me met en apesanteur dans la cabine. Je le vois partir par la portière gauche. Je me rappelle très bien avoir vu son postérieur s'encadrer dans la portière, avec un effet de contre-jour. Je me rappelle aussi du soleil, occulté à chaque tour par le toit ou le plancher de la voiture.

Combien de tours avons nous fait ? J'avoue que je ne les ai pas comptés. Mais finalement : un grand silence. La voiture est couchée sur le côté, à une vingtaine de mètres de la route. L'ingénieur militaire a fait un vol plané ( normal, pour un pilote ), et a atterri dans un arbre, à plat ventre, sans une égratignure. J'ouvre la portière et je sors de la voiture. Juste avant l'accident il était en train de me parler de Proust, son auteur préféré. Je me rappelle que je lui ai alors demandé ce que Proust aurait conseillé de faire dans ces cas-là. C'est curieux. Dans ces situation extrêmes, les gens réagissent différemment. Il dégringole de son arbre et, assis sur son cul me dit, avec un air hagard :

- Dans la malle, à l'avant, il y a mon blouson, avec mes papiers....

Je me retourne, mais quelque chose m'arrête. Soit c'est mon ange gardien, soit plus prosaïquement l'odeur d'essence ( évidemment quand on a quitté la route il n'a pas eu le réflexe de couper le contact ). Le réservoir d'essence, rempli à ras bord à Paris fait explosion. Là, c'est exactement comme dans les film de Belmondo. Il y a une énorme flamme jaune. Ca rayonne tellement qu'on doit s'éloigner à trente mètres de distance. Ça dure au plus vingt secondes. J'entends les cinq pneus éclater les uns après les autres.

 

La Dauphine qui brule

Je sais que cette histoire a laissé une trace dans la presse de l'époque. C'était près de Melun, entre 1958 et 1961. Il est question d'un polytechnicien qui quitte la route et atterrit dans un arbre. Quelqu'un retrouvera peut être l'article.

Il faisait chaud. J'avais enlevé mes chaussures et mon pull. Je réalise que ma chemise blanche est rouge de sang. Je me palpe. Le nez ? Toujours là. Juste une oreille un peu décollée. D'où le sang sur ma chemise blanche. Décollée par quoi ? Je ne le saurai jamais Mais c'est là que mon récit achoppe avec le début de cette page. La voiture achève de se consumer. Je me mets en bordure de route et je fais signe aux automobilistes de s'arrêter. Mais ils accélèrent en me voyant et filent.

J'en compterai soixante dix

A la fin je me colle au milieu de la route, les bras écartés. Un type arrive, avec une Dauphine grise, donne un coup de volant, arrive à m'éviter. Mais pour ce faire, il ralentit, et doit se dire " zut, il a peut-être relevé mon numéro d'immatriculation ...."

Il finit par stopper à cent cinquante mètres, sur le bord de la route. Je cours vers lui, avant qu'il ne change d'avis. Il me dit :

- Vous avez besoin d'aide ?

J'ai envie de répondre.

- Pensez-vous ! J'ai une oreille à moitié arrachée, la voiture flambe. Le conducteur vient de se poser dans un arbre, après un vol plané de vingt mètres. Mais à part ça, tout baigne...

Il nous emmène à l'hôpital de Melun. Pendant le trajet, mon ingénieur militaire n'arrête pas de répéter.

- Je dois avoir la rate écrasée. Il y a des types qui, sans le savoir, ont la rate écrasée. Et puis, tout d'un coup, ils tombent, mort....

Un interne vient vers nous.

- Je vous amène un type qui a la rate écrasée. Quant à moi.....

- Je vois. Venez, on va regarder ça.

J'ai sauvé mon lobe d'oreille de justesse. Il a fallu discuter.

- Mais ça ne tient qu'avec presque rien !

- Ecoutez, recousez toujours. Qu'est-ce qu'on risque ? Si ça ne prend pas, on l'enlèvera.

- Si vous insistez....

On est rentrés à Paris en bus. J'ai emprunté à une infirmière le prix des billets, car on étaient sans un sou. Si elle est encore en vie j'aimerais bien la rembourser. Ca fait un demi-siècle que ça me taraude. Dans le bus, mon X avait l'air prostré et répétait sans arrêt :

- Quelles sont les voitures françaises stables ?

- Ecoute, ce qu'il te faudrait, ça n'est pas une voiture, c'est un tank.

Dans l'histoire j'avais perdu mes chaussures, mes quelques hardes, ma valise, tout ce que j'avais. Je suis retourné voir la voiture le lendemain, avec un ami. Elle était complètement " nettoyée ". Les vitres avaient fondu. L'essence semblait avoir coulé dans la carrosserie, qui avait fait four. Les sièges étaient réduits à des assemblages de tubes et de fils métalliques. Sur le plancher, dix centimètres d'une cendre très fine. En farfouillant dedans j'ai trouvé une boucle de ceinture, une boule de verre qui devait être ce qui restait de l'appareil photo du gars, et des oeillets de chaussures de ski.

C'est tout.

Je me suis dit " si j'étais resté coincé dans ce truc, on aurait retrouvé les couronnes dentaires ".

On est peu de chose, finalement....

J'ai raconté cette histoire dans un café qui était près de chez moi. Les consommateurs ont dit, unanimement :

- Oh, moi, si je vois un truc comme ça, je ne m'arrête pas ! Parce qu'après, on est emmerdé.....

 

Faites une expérience, dans un coin quelconque, un peu passant, par exemple à côté d'une sortie de cinéma, le soir.
Mettez un copain par terre, étendu, immobile, les bras en croix et, bien planqué, filmez. Vous serez étonné.

 


PS : C'est cet ingénieur militaire qui, en 1978 ou 79, surgissant dans le bureau de Carpentier, directeur de la DRET ( Recherche militaire ) avec à la main le rapport de 200 pages, composé pour le Cnes-Gepan, intitulé " perpectives en magnétphydrodynamique " lui dira :

- Maintenant que nous avons les idées de petit, pourquoi nous embarasser de lui ?


 

10 mai 2009 : Message d'un lecteur, Robert Girard :

Je me souviens de l'émission ' le grand échiquier ' ou l'acteur Lino Ventura racontait sa propre expérience .pour la scéne finale d'un film il sortait de l'aéroport de Madrid et tombait par terre tué à distance par un fusil à lunette .les caméras étaient plaçées assez loin pour ne pas être vues et que la réaction des passants soit naturelle ;on espérait dans le sénario un atrouppement naturel qui serait filmé et constiturait la fin du film . hé bien Lino Ventura expliquait avoir été choqué parce que pendant plus de 3 minutes les gens qui sortaient de l'aéroport l'enjambaient sans se soucier de lui !!  c'était dans les années 80 !

 

16 mai 2009 : A propos de " l'effet spectateur ".

En fait, et de l'avis de nombreux lecteurs, ceci n'est pas particulièrement lié au fait que des humains soient soudain témoins d'un événement exceptionnel. Tous s'accordent à penser que, face à n'importe quel événement, 95 % de la population humaine, toutes cultures, toutes ethnies confondues, reste totalement passive. Seuls 5 % " réagissent ".

Le Larousse donne une définition au verbe " réagir " : opposer une action contraire, résister.

Le Quillet parle de " réagir à un stimulus, répondre spontanément à une action extérieure "

Spontané : de soi-même.

Ceci étant, comme évoqué plus haut, le comportement des 70 automobilistes qui accélèrent et filent, alors qu'ils voient sur un bord de route une voiture qui flambe, un type étendu et un autre, la chemise blanche rouge de sang, qui fait des signes, ne saurait être classé dans le suivi d'une attitude grégaire, d'un norme de groupe. C'est un comportement spontané de fuite, bêtement médiocre, d'un individu isolé, avec non assistance à personne en danger de mort.

Je vais aller plus loin. Je pense que nous vivons de plus en plus dans une civilisation du spectacle, d'autant plus que les individus sont de moins en moins capables de faire la différence entre la réalité et le monde du virtuel.

 

Rodin Télé

 

Je dois faire partie des 5 % de réactifs. J'ai toujours réagi, en tout. Mais je ne suis pas sûr de représenter la population humaine. Les habitants de cette planète pourrait être comparés aux passagers d'un autobus qui dévale une route en lacets, tous freins lâchés. Dans les faits, il n'y a personne au volant. J'avais évoqué cela dans une bande dessinée intitulée " Joyeuse Apocalypse ", téléchargeable sur le site de Savoir sans Frontières.

http://www.savoir-sans-frontieres.com/JPP/telechargeables/Francais/joyeuse_apocalypse.htm

Dans cet album un personnage ( j'avais pris Ronald Reagan, qui était alors président des Etats Unis à cette époque ), fait un rêve où il se retrouve à bord " du vaisseau de l'histoire ". Il tente vainement de n'y retrouver, de savoir s'il y a un avant et un arrière, de cécouvrir dans quel sens ce vaisseau se dirige.

 

Joyeuse Apocalypse page 53

 

Jpyeuse Apocalypse page 54

 

Joyeuse Apolcalypse page 55

 

Je vois que j'ai publié ce livre il y a vingt ans. Je ne pense pas que les choses aient changé depuis. J'ai pas mal réfléchi, et je me suis dit que si je devais suggérer un attitude qui puisse nous permettre de nous en sortir, d'échapper au bégaiement de l'histoire correspond à ce que je raconte dans le dernier chapitre du bouquin que je publie en ce moment. Ce sont des choses que j'ai d'ailleurs dires et répétées dans mon site depuis quatre ans, sans le moindre écho. Peut être les gens accorderont-ils plus d'attention à un texte s'ils ont fait le geste d'acheter un bouquin. Le dessin illustrant le chapitre montre bien comment je vois les choses.

 

La bouteille à la mer

 

Est-ce que cela aura un impact ? Sinon :

 

Effet spectateiur

 

 

 


 

 

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