Les Dragons des îles Komodo

23 mars 2012

 

Ces varans géants ont survécu pendant 150 millions d'années, et émergent comme des témoins d'une lointaine préhistoire.

 

Photo prise par l'auteur en mars 2013 dans l'île de Rinca. Un regard attachant ...

 

Il subsiste entre 1500 et 2000 varans dans différentes îles situées à 500 km à l'est de Bali (Komodo, Rinca et Flores). Ces animaux à sang froid ont survécu à 150 millions d'années d'histoire. Ces bêtes peuvent atteindre couramment 3 mètres de long et peser 150 kilos. Uniquement carnivores, ces varans se nourrissent du bétail présent sur les îles : cervidés, sangliers, et même buffles. Ils mangent en fait tout animal qui passe à leur portée, singe, volatile et chassent de jour comme de nuit. Remarquablement adaptées ces lézards géants sont équipés de fortes griffes, peuvent nager, et grimper aux arbres, quand ils sont jeunes.

Les juvéniles, durant leurs premières années, utilisent d'ailleurs cette dernière possibilité de grimper pour échapper à l'instinct carnassier des adultes, vis à vis desquels ils représente 5 % de leur alimentation. Les femelles, quand elles pondent, doivent déployer des prodiges d'imagination pour protéger leurs oeufs, pondus dans des abris souterrains. Ainsi, elles ménagent autour du nid de faux nids, vides, ou à proximité desquels elles disposent un jeune, mort.

L'arme principale du dragon de Komodo est sa salive, qui contient 60 bactéries hautement pathogènes. Il tue ainsi sa victime par infection, avec une seule morsure. Il ne lui reste plus alors qu'à la suivre, grâce à son odorat extrêmement développé, l'organe de captation des molécules étant sa langue. Un varan de Komodo peut détecter et suivre une proie à un kilomètre de distance. Quand l'animal est suffisamment affaibli, le dragon le dévore presque entièrement. On trouve des vidéos où un varan avale un petit sanglier tout entier, os, sabots, tout compris. Ses sucs digestifs se chargent du reste.

http://www.youtube.com/watch?v=yrx-ohT9r1s

Quand les touristes se présentent pour une exploration des lieux, le guide demande aux femmes qui ont leurs règles de s'abstenir de se joindre au groupe, l'odeur du sang pouvant attirer des varans, imaginant avoir àffaire à une proie mordue.

L'apathie de ces animaux est aussi trompeuse que celle des crocodiles. Comme chez ces animaux, les attaques sont extrêmement brutales et imprévisibles. Quand on les voit, on a du mal à imaginer qu'ils puissent poursuivre des cervidés à la course à 20 km/h. Voir cette vidéo :

http://www.youtube.com/watch?v=n6Riq-d4W_o&NR=1&feature=endscreen

On remarquera, même si dans cette séquence le varan manque sa proie, que cette course est prolongée, et se limite pas à quelques mètres. Les gardes disposent d'armes défensives assez dérisoires :

 

L'auteur avec les gardes et leur moyen de défense. Tous deux : 50 kilos tous mouillés

 

Deux semaines avant mon arrivée, un garde et un touriste avaient été blessés ( compter des mois d'hôpital, pour avoir une chance de venir à bout du processus infectieux ). En tentant de s'opposer à la charge du varan, le garde, bousculé par une bête faisant trois fois son poids, avait été jeté à terre et également mordu.

Il faut dire que les touristes semblent totalement inconscients du risque encouru.

 

Touristes français, totalement inconscients, dans un état de
grande excitation, filmant l'approche rapide d'un dragon de Komodo
Heureusement, les guides se précipitent et réussiront à faire fuir l'animal

http://www.youtube.com/watch?v=VNwwFRcfAao&NR=1&feature=fvwp

 

Les varans de Komodo n'ont d'autres ennemis qu'eux-mêmes. N'ayant jamais été chassés, et connaissant l'efficacité pathogène de leur morsure, ils n'hésitent pas à s'attaquer à des proies pesant cinq fois leur poids, comme des buffles. Ce qui est étonnant c'est que ceux-ci ne semblent pas conscients du danger. Voir cette troisième vidéo.

http://www.youtube.com/watch?v=EHB_CM86rgk

 

Le buffle, totalement inconscient du risque mortel que représente l'approche d'un dragon
qu'il pourrait aisément mettre en fuite d'un coup de ses sabots.

 

Le dragon mord le buffle à la patte

 

Celui-ci se dégage aisément. Cette morsure, légère, est presque indolore.

 

Les dents du varan sont minuscules, tout juste capables de percer le cuir du buffle.

 

Voici la blessure, superficielle

 

Un serpent venimeux doit, pour tuer sa proie, réussir à lui injecter un volume suffisant de venin, sinon celle-ci en réchappe. Ce qui est extraordinaire, dans cette arme secrète du dragon de Komodo, c'est qu'il n'a pas besoin d'injecter une dose importante de salive. Si le circuit sanguin est touché, même de façon minime, les bactéries vont se multiplier. Et l'animal mourra par infection. Tout n'est plus qu'une question de temps. Attirés par l'odeur du sang, les autres varans vont accourir et suivre leur victime, qui s'affaiblira au fil des jours, sans même réaliser que cet affaiblissement est issu de cette morsure, quasi indolore.

 

Le buffle s'affaiblit de plus en plus, suivi de près par les varans

 

Jusqu'à la curée, dès que celui-ci devient trop faible pour réagir

 

En fait, des animaux ne peuvent intégrer la dangerosité d'une autre espèce que s'ils peuvent faire le lien entre le décès d'un de leur congénère, et l'attaque de ce prédateur. Dans le cas de cette mort par infection il s'écoule plusieurs jours entre la morsure, presque indolore, du varan, et la mort de l'animal. Il est logique alors que les buffles ne perçoivent pas le danger mortel qu'il courent et ne cherchent pas à s'enfuir.

Ce qui est aussi remarquable c'est qu'un varan, même de taille modeste, puisse tuer une bête de 500 kilos avec quelques millimètres cubes d'une salive mortellement infectieuse.

J'ai montré, plus haut, la petitesse des dents de l'animal. Elles ne sont pas faites pour tuer dans l'instant, broyer ou mâcher. Comme les dents des requins, brisées, elles sont remplacées par d'autres. Mais un gros plan nous en apprend plus :

 

Les dents des dragons de Komodo

 

Comme les dents des requins, elles fonctionnent comme des scies. Si vous recherchez d'autres vidéos où on assiste aux repas des dragons de Komodo, si la proie est trop grosse pour être avalée d'un cou, l'animal devra en détacher des morceaux. A la différence, par exemple d'une hyène, qui peut broyer un membre, et même un os de fort calibre, avec ses dents, le dragon agite la tête, en tirant sur la chair. Ce faisant il fait fonctionner ses dents en forme de ... scies. Le requin fait pareil.

J'ai vu, à Marseille, au début des années soixante, la palme de Roger Poulain, qui avait été attaqué par un requin lorsqu'il dégageait une amphore d'une épave située près de l'îlot de Planier. Cette palme, en caoutchouc, de marque Cressi, était sectionnée comme avec un rasoir, par une mâchoire qui devait faire 40 cm de large. L'opération avait été faite par cette opération de sciage, le requin secouant la tête de doite et de gauche.

 

Poulain, à l'époque de l'attaque du requin. Derrière : l'île Maïre.
Au premier plan : les palmes italiennes Cressi de l'époque. A gauche un
"tribouteille bricolé", les bouteilles étant solidarisées avec de la chambre à air.

 

Poulain n'avait pas vu la bête, qui devait mesurer dans les 3 mètres. J'ai vu l'objet et entendu son récit alors qu'il revenait de cette plongée, à son port d'attache du Cap Croisette.

 

De mémoire : la palme de Roger, sectionnée. Un type peut en témoigner :
un certain Daniel Bertaux, polytechnicien, qui était témoin,et avait comme
nous une vingtaine d'années. Roger lui fit cadeau de l'objet.
Il fit une carrière de sociologue au CNRS. Exemple de travaux les plus signifiatifs

 

Daniel Bertaux, aujourd'hui.
Evidemment, on a tous un peu changé ...

Il a un site internet :

http://www.daniel-bertaux.com/accueil/index.html

Sur laquelle sa photo n'a pas été, semble-t-il, mise à jour.

 

Poulain s'était senti saisi par un palme et secoué, et s'était dit

- Mais qui est cet imbécile ! ? ...

En se retournant, il n'avait rien vu, mais en palmant, il était parti ... de travers. Suite à notre discussion, il a dit :

- Eh bien, si ce requin comptait avoir ma jambe, il ne lui est resté qu'un bout de cheouine gumme !( avec l'accent marseilais )

Je continue sur cette digression. Des lecteurs pourront peut être être étonnés à l'idée qu'il puisse y avoir des requins dans des eaux proches de Marseille ( le phare de Planier est à 8 miles de la côte ). Il faut aussi resituer l'événement à l'époque où il s'est produit : il y a plus de 40 ans. Le Mistral refroidit l'eau, non pas parce qu'il accélère l'évaporation, mais parce qu'il entraîne la couche d'eau superficielle vers le large. Elle est remplacée par le l'eau de couches plus profondes, donc plus froide.

Des requins, il y en a, en face des côtes du midi, mais dans des fonds importants. En face de Marseille il faut une petite semaine pour entraîner l'eau qui est au dessus du plateau continental, vers le large. Alors de l'eau issue de profondeurs de 200 mètres est amenée près de la côte. Tout l'écosystème suit, et les requins avec lui. Dès que l'eau se réchauffe, ceux-ci regagnent leur habitat naturel, au delà des 200 mètres de profondeur.

Quand il y a du Mistral, les gens ne se baignent pas. Mais grâce à leurs combinaisons, les plongeurs plongent quand même. D'où la mésaventure de Roger (la morsure était au ras de ses orteils).

Après notre "exploit" avec cette histoire de requin pélerin, mal en point, de 4 m 20, qu'on avait ramené sur le plage des Croisettes ( rebaptisée de ne nom stupide de "Baie des Singes" ), nous étions devenu les "spécialistes des requins", au plan local.

Le requin pélerin des Croisettes, la bouche maintenue ouverte par un fer à béton

 

Je suis à droite. Caressant le requin, Poudevigne. Invité par Cousteau, Conrad Limbaugh, "le Cousteau américain" de l'époque, directeur d'un institut d'océanologie en Californie, avait demandé à visiter le trou de Port-Miou (une rivière souterraine débouchant dans cette calanque ).

 

Conrad Limbaugh, 1924-1960

 

Le 20 mars 1960 ils y étaient allés sans fil d'Ariane. Poudevigne a perdu Limbaugh. Il l'a désespérément cherché, jusqu'à épuisement de son air et l'Américain a été retrouvé mort. Quand Poudevigne a prévenu ses camarades du fait qu'il était ressorti sans l'Américain, ça a été un rush complet. En effet il y avait une probabilité non nulle que celui-ci ait pu trouver refuge dans une importante poche d'air située à quelques centaines de mètres de l'entrée. Ce sont les plongeurs de la Sogetram qui ont récupéré son corps, Quelques mois après le drame j'avais plongé avec Jean-Claude Mitteau, étudiant, comme moi. Mon équipier de l'époque (aujourd'hui il est organiste à l'église de Nexon, Limousin). En déroulant une ficelle de chanvre, enroulée sur une bobine cylindrique enfilée sur un bout de bois, suspendu autour de mon cou, équipés chacun de deux bouteilles, une sur le dos, une sur le ventre, et de phares "Girault" très puissants, on avait remonté la rivière sur 400 m. L'astuce était qu'on ne rembobinait pas la ficelle, qu'on laissait sur place. D'où une vitesse de progression importante, à l'allée comme au retour. Et évidemment, au retour, on suivait notre fil d'Ariane.

Revenons d'abord sur cette histoire de requin renard. Comme cette espèce ne dispose pas muscles permettant d'oxygéner ses branchies, à l'arrêt, il était mort asphyxié.

 

Requin renard

 

Je m'étais donc positionné sous le requin et lui avais, comme pour le pélerin, passé une corde autour de la queue. Puis les pêcheurs l'avaient hissé à bord. Mais il n'était pas complètement mort. Il s'est débattu, a donné de furieux coups de queue. A bord se trouvait un retraité de la marine, qui n'eut pas le réflexe de sauter à l'eau. Or la queue d'un requin renard peut être comparée à une régle plate, sur lequelle vous auriez plié du papier de verre. Le type a pris un coup de queue sur le mollet : trois points de suture.

 

Souvenirs, souvenirs ...

 


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