...Ayant la taille d'un seau de cuisine, c'est une enceinte contenant une anode et une cathode, laquelle se présente sous la forme d'un bain de mercure. Entre l'anode et la cathode: le vide. C'est à dire un espace empli de vapeur saturante de mercure, correspondant à la température ambiante, d'une conductivité électrique trop faible pour permettre le passage du courant, les électrodes étant sous tension (5kV). Un "trigger" est une petit électrode située près de la surface du mercure. Lorsqu'on fait éclater entre cette électrode et le mercure-cathode une décharge, celle-ci vaporise le mercure, et cette vapeur emplit alors la chambre, permettant le passage d'un arc électrique. La foudre en vase clos, en quelque sorte. Quand la décharge est amorcée, elle s'entretient jusqu'à ce que l'énergie des condensateurs ait été dissipée par effet Joule dans les conducteurs de cuivre. Alors la vapeur de mercure se condense et l'ignitron est prêt pour un nouvel essai. Un second ignitron, de la taille d'une canette de bière, suffit pour déclencher le passage du courant, au moment opportun, dans les électrodes dont la maquette d'essai est munie.
...Ci-après, le schéma du contrôle des opérations :
...En 1965 le coût principal de ce type d'expérience concernait l'électronique et l'enregistrement des données. Evidemment, à cette époque, les micro-ordinateurs n'existaient pas. La bande passante des oscilloscopes les plus performants de l'époque (des Tektronix américains, à lampes) ferait sourire aujourd'hui : 1 mégahertz. Mais en ces années soixante leur prix à l'unité atteignait 40.000 F. Aujourd'hui on pourrait diviser ce coût par un facteur dix, à performances égales.
Les traces apparaissant sur les écrans des oscilloscopes étaient photographiées sur film polaroïd. Aujourd'hui toute la saisie de ces paramètres d'expérience pourrait être assurée par un micro ordinateur bas de gamme, équipé d'une carte ad hoc.
...L'enregistrement des paramètres de la soufflerie était extrêmement simple. Il suffisait de disposer, en paroi, des couples de petites aiguilles mises sous faible tension. La distance entre ces aiguilles était d'un millimètre et la tension était suffisamment basse pour que le courant ne puisse pas passer dans l'atmosphère d'argon raréfiée. Mais lorsque l'onde de choc passait, le simple fait que ces électrodes baignent, immédiatement en aval de l'onde, dans de l'argon à 10.000° suffisait à obtenir un signal. En enregistrant à l'aide d'un "oscilloscope double traces les signaux émis par deux de ces "sondes à ionisation", distantes de dix ou vingt centimètres, et situées en amont de la tuyère, on pouvait mesurer la vitesse de l'onde de choc, donc en déduire par calcul tous les paramètres gazodynamiques : température, pression, degré d'ionisation, conductivité électrique. D'autres oscilloscopes étaient nécessaires pour effectuer des mesures complémentaires. Afin de protéger ces oscillos des forts parasites émis par les éclateurs de la chambre haute pression et en règle générale, par tous les éléments de la commutation électrique, ceux-ci, reliés aux sondes par des câbles coaxiaux blindés, étaient enfermés dans une cage de Faraday, dans laquelle prenaient également place les expérimentateurs.
...Voici dont la description de l'installation expérimentale qui permettrait de vérifier le bien fondé de la théorie que nous avions développé, entre les années 75 et 80, concernant la faisabilité de l'évolution d'un objet à vitesse supersonique, dans un gaz, sans création d'onde de choc. Il reste à évoquer la manière de mettre en évidence l'annihilation de ces ondes. On peut alors utiliser une méthode, classique et éprouvée, où on crée un système de raies horizontales, en faisant interférer deux rayons lumineux, l'un traversant la veine d'essai et l'autre passant à l'extérieur. Une onde de choc représente un saut abrupt de la densité du gaz, qui se traduit par une variation de l'indice de réfraction. Ainsi, les ondes de choc sont classiquement mise en évidence par ce procédé. Ci-après, à gauche, l'allure typique du "saut de frange" dû à la présence d'une onde de choc oblique, s'attachant au bord d'attaque d'un profil d'aile. A droite la même image, ondes de choc annihilées.
...Le plasma d'argon à 10.000° est assez lumineux, aussi la source à utiliser ser-t-elle un petit laser hélium-néon, délivrant une lumière plus intense que celle du plasma.
...A la fin des années quatre vingt nous avons calculé, Lebrun et moi, toutes les paramètres d'une telle expérience, dans le cadre de sa thèse de doctorat, financée par le CNRS. Je suis convaincu que cette expérience aurait marché au premier essai, comme toutes les expériences de MHD que j'avais tentées antérieurement en laboratoire, sur tube à choc. Je me souviens en particulier d'une expérience datant de 1966 (dont je parlerai dans un futur document) où l'enjeu avait été de faire fonctionner un générateur MHD en "bitempérature", c'est à dire avec une température électronique (10.000°) sensiblement supérieure à celle du gaz d'essai (6000°). L'écueil était alors "l'instabilité de Vélikhov" (qui réduisit à néant tous les efforts menés en MHD dans de nombreux pays). Une astuce permettant de contourner cet écueil, l'expérience fonctionna au premier essai. Je présentai alors ce travail au colloque international de Varsovie, en 1967. Mais l'ambiance exécrable qui régnait alors dans ce laboratoire me contraignit à le quitter et à changer de discipline, en devenant astrophysicien. Mon étudiant, Jean-Paul Caressa, récupéra l'ensemble, de ce thème de recherche, dont il fit sa thèse (bien qu'il n'ait visiblement pas compris un traître mot aux subtilités de l'instabilité d'ionisation, de Vélikhov, dont l'annihilation était la clef de l'expérience), ce qui lui valut le prix Worthington, et lui permit ultérieurement devenir directeur du laboratoire d'aérothermique de Meudon, puis directeur régional du CNRS pour la région Provence-Alpes,Côte d'Azur.
Ce qu'il advint d'un tel projet.
...Au milieu des années quatre-vingt, j'avais réussi à intéresser le Directeur Général du CNRS, Pierre Papon, à ce thème de recherche. Il nous apporta son appui, relayé par son adjoint Michel Combarnous, directeur du département Sciences Physiques de l'Ingénieur. A l'époque j'étais déjà en poste à l'observatoire de Marseille, lieu qui ne se prétait guère à l'implantation de telles expériences. Combarnous nous trouva alors un laboratoire d'accueil, celui du professeur Valentin, à Rouen. Le CNRS devait financer une partie de l'opération, l'armée étant censée apporter un complément. Mais, rapidement, les militaires exigèrent que je sois totalement tenu à l'écart de ces travaux, pour des raison qui n'ont rien à avoir avec la science. La direction du CNRS ayant changé, je perdis les appuis de Papon et de Combarnous. La bourse de Lebrun étant épuisée, rien ne fut fait pour lui permettre de continuer ses travaux.
...L'équipe rouennaise, totalement inexpérimentée en matière de MHD (mais disposant d'un vieux tube à choc) accumula les erreurs. L'argent fut finalement dilapidé sans résultat (les tuyères MHD et les installations électriques de puissance, construites par ces amateurs, explosèrent les unes après les autres).
...Tout ceci est fort dommage. Dans un avenir proche, je mettrai sur un cd-rom tous les éléments, tant théoriques qu'expérimentaux, susceptibles de permettre à un laboratoire intéressé de mener à bien ce type d'expérience, relativement simple. Le présent descriptif, quoique sommaire, permet malgré tout de se rendre compte qu'étant donné l'abaissement du coût du matériel électronique, ce type de recherche est à la portée d'une école d'ingénieurs, ou du département de physique d'un université d'outre-Atlantique de seconde zone. Mais je doute fort que ces activités puissent se développer en France, où la recherche civile est bien souvent (en tout cas dans ces domaines) sous la coupe des militaires.
...On pourrait penser que ceux-ci souhaitent en conserver l'exclusivité. Même pas. Il semble, après enquête, que quatorze ans plus tard ( après mon abandon par KO, en 1986) la "MHD militaire" soit restée totalement inexistante.
...Si cette expérience avait marché, nous aurions alors envisagé des expériences en gaz froid (air atmosphérique). Une expérience intéressante (qui fut totalement ratée en 1979 par une équipe Toulousaine, celle du "GEPAN", dans des conditions, disons, "humainement déplaisantes") concerne la suppression de la turbulence de sillage derrière un cylindre, que nous avions réussie en 1975 en hydrualique.
...Revenons au schéma de la machine MHD cylindrique, évoquée plus haut.
...Nous avons indiqué plus haut la manière dont nous avions utilisé un tel montage pour supprimer la vague d'étrave devant ce objet. Mais, si on se limite à des paramètres d'interaction plus faibles, on peut alors, dans un fluide immobile, créer un écoulement induit assez intéressant.
...L'écoulement avait à l'époque pu être mis en évidence à l'aide de filet colorés (pour la petite histoire : dans la cuisine de mon collègue et ami Maurice Viton, astronome au laboratoire d'astronomie spatiale, lequel avait pris à l'occasion un superbe film en 16 mm).
...Placée dans un écoulement fluide à vitesse modérée, cette maquette permettant de supprimer totalement le sillage fortement turbulent, qui s'établit classiquement en aval d'un cylindre dont les génératrices sont perpendiculaires à l'écoulement. Mon idée fut donc, dès 1979, de tenter de mettre en évidence, à l'aide d'un simple microphone disposé en paroi, cette disparition de la turbulence (bruyante), lors d'expérience menées en subsonique dans de l'air à pression atmosphérique. Dans son principe, la manip était simple. Deux solénoïdes latéraux pouvaient fournir quelques milliers de gauss en continu, amplement suffisants. Restait à négocier le problème de l'ionisation au voisinage de la maquette.
...Dans un rapport que j'avais remis au GEPAN, en 1979, intitulé "perspectives en magnétohydrodynamique" les principes de cette expérience étaient décrits. J'avais suggéré d'employer des micro-ondes en 3 gigahertz pour créer l'ionisation ad hoc. Ces gens montèrent donc, à mon insu, l'expérience suivante, en utilisant une source HF de très forte puissance (pulsée en 500 hertz, puissance de crête : 1 MW).
...Les micro-ondes étaient amenées latéralement dans la tuyère à l'aide d'un gros guide d'onde de 10 cm par 10 cm, débouchant sur une fenêtre en téflon.
...L'ingénieur chargé du projet, Bernard Zappoli, dépendant directement du chef du GEPAN de l'époque, Alain Esterle, s'imagina ainsi pouvoir créer à l'aide de cet injection transversale de micro-ondes une ionisation peuplant toute la veine, au voisinage de la maquette. Ignorant tout du phénomène d'ionisation par HF, il obtint un résultat qui le déconcerta grandement. L'ionisation se produisit bien, mais se limitait aux quelques millimètres de gaz jouxtant la fenêtre de téflon.
...Qui dit ionisation dit plasma. Or il est bien connu que les plasmas constituent d'excellents écrans aux ondes électromagnétiques, sinon on pourrait communiquer par radio librement avec les astronautes lorsqu'ils sont en phase de rentrée atmosphérique.
...Il est dommage que ce brave garçon n'ait pas fait appel à mes services à cette époque. Je lui aurait sauvé la mise en un tour de main. En effet, où fallait-il ioniser ? Autour de la maquette. Sa solution aurait donc été de faire arriver cette HF par l'intérieur d'une maquette creuse (un simple tube de PVC tel qu'utilisé par les plombiers). Deux pailles de fer achetées chez le droguiste du coin auraient alors assuré une excellent diffusion de ces micro-ondes, lesquelles, agissant sur l'air immédiatement au contact de la maquette, auraient créé autour de celle-ci une enveloppe de gaz ionisé bien homogène.
...La manip aurait très probablement marché au premier essai, comme toutes celles que j'ai tentées dans ma carrière de chercheur.