Reproduction de l'article du Monde du vendredi 17 mars 2000
Si la matière noire détourne le cours de la lumière, c'est bien qu'elle existe
La déformation d'images de galaxies lointaines prouve 
  l'existence d'immenses objets invisibles. Depuis des années, les atronomes cherchent 
  à mettre en évidence la matière noire (90% de la matière dans l'univers). Bien 
  des hypothèses ont été avancées pour expliquer la nature de ce milieu qui échappe 
  aux télescopes : objets massifs (naines brunes) et particules élémentaires (neutrinos). 
  Mais le compte n'y est pas. Aussi pense-t-on que cette matière pourrait être 
  faite de particules théoriques encore à découvrir. Les Astronomes sont formels 
  : 90 % de la matière de l'Univers échappent aux objectifs de leurs télescopes. 
  Seuls apparaîssent sur les clichés les galaxies et les milliards d'étoiles qui 
  les composent, les nébuleuses sombres ou brillantes qui constellent le ciel 
  et de gigantesques flashes d'énergie dont les mécanismes de production de sont 
  pas totalement compris (...). Grâce aux progrès de la technologie, de nouvelles 
  fenêtres se sont ouvertes dans l'infrarouge, l'ultraviolet, les rayons X et 
  les rayons gamma. Plus récemment, les astronomes se sont ouverts l'astronomie 
  des neutrinos, particules fugaces qui contribueraient sensiblement à la masse 
  de l'univers. ...Mais les théoriciens savent bien que, malgré cela, l'essentiel 
  de l'univers échappe à la communauté astronomique qui ne saurait se contenter 
  du du terrain d'expérience restreinte-10% du tout-qui lui est offert. C'est 
  la raison pour laquelle elle cherche depuis de nombreuses années à mettre en 
  évidence cette fameuse matière noire, constituant majeur de notre univers. Une 
  équipe de l'Institut d'Astrophysique de Paris, associée à des astronomes français 
  (CEA Saclay, Télescope Canada-France-Hawaï (CFHT) et Laboratoire d'Astronomie 
  Spatiale de Marseille et étrangers (Canada, Allemagne, Etats-Unis), vient d'oiuvrir 
  une fenêtre sur ce monde. Juste avant une équipe britannique menée par Richard 
  Ellis (Cambridge et Caltech) et une américaine conduite par Tyson (Bell Labs, 
  New Jersey) qui, toutes deux, confirment en partie ces résultats
  Comment les chercheurs ont-ils triomphé de l'invisible 
  et confirmé l'existence de cette matière noire ? En faisant appel à un principe 
  qui veut que la lumière se courbe au voisinage d'une énorme masse de matière 
  (Soleil, alas de galaxies), sous l'effet de la gravitation. Cette hypothèse 
  a été maintes fois vérifiée. Mais les astronomes se sont demandés si le même 
  effet pouvait être observé avec la matière noire qui est supposée être peu dense 
  et exister en quantités considérables. Si c'était le cas, cette matière sombre 
  trahirait sa présence sans pour autant pouvoir être vue. "Astigmatisme cosmique". 
  "En 1991, explique Yannick Mellier, de l'Institut d'Astrophysique de Paris, 
  la théorie prédisait que des objets lointains comme les galaxies pouvaient, 
  du fait de la présence de granes messes de matière noire sur le passage de leur 
  lumière apparaître légèrement déformées et présenter des formes d'ellipses allongées. 
  Mais cet effet d'astigmatisme cosmique était, selon les calculs, si faible que 
  le détecter tenait de la gageure. " De plus, les chercheurs manquaient à l'époque 
  d'un modèle théorique pour valider d'éventuelles mesures, ainsi d'ailleurs que 
  de caméras suffisamment performantes pour les réaliser. cDepuis, la caméra CFH 
  12K a été mise au point et le canadien Ludovic Van Waerbeke a développé des 
  outils de traitement adaptés à ce programme de recherche. Après cinq ans passés 
  à analyser les quelques 200 000 galaxies lointaines photographiées par le téléscope 
  Canada-France-Hawaï, les chercheurs sont enfin parvenus à leurs fins. Sur les 
  clichés du fond du ciel pris par le CFHT apparaîssent aujourd'hui, après un 
  traitement adapté, des centaines de pettes ellipses de couleur vert d'eau qui 
  sont autant de galaxies. ...Peut-on pour autant en déduire que ce phénomène 
  est bien le fruit d'un effet gravitationnel sur la lumière émise par les galaxies 
  ? "Assurément (...), répond Yannick Mellier. En l'absence de matière sur le 
  passage des rayons lumineux -donc sans effet gravitationnel- , même les galaxies 
  élliptiques apparaîssent comme des petits points ronds. Dans le cas contraire, 
  le cliché est couvert de pettes ellipses. De plus, l'effet gravitationnel a 
  tendance à organiser ces galaxies. Un peu à la manière d'un aimant qui oriente 
  la limaille de fer selon les lignes du champ magnétique qui lui est appliqué". 
  Particules encore inconnues. Ce sont ces imperceptibles déformations et cette 
  réorganisation des galaxies qui permettent d'affirmer que la lumière a été déviée 
  de sa trajectoire par des filaments de matière diffuse et invisible. Une matière 
  dont la densité est faible (contrairement à celle du Soleil et des amas de galaxies)., 
  mais dont les effets sont cependant perceptibles, du fait de leur considérable 
  étendue : 100 million et un milliard de parsecs (1 parsec équivaut à 3,36 années-lumière). 
  A titre de comparaison notre galaxie ne mesure que 34.000 parsecs dans sa plus 
  grande longueur. ..Sur le modèle en trois dimensions que l'équipe française 
  a reconstitué sur ordinateur l'effet est saisissant. Dans son parcours jusqu'à 
  nous, la lumière change constamment de direction au voisinage de ces filaments 
  qui forment comme une sorte de gruyère dans l'espace qu'ils occupent. Une structure 
  qui raconte l'histoire de l'Univers et révèle les conditions initiales de sa 
  formation. Car la matière noire qui échappe à nos regards n'est pas de même 
  nature (baryonique) que celle dont les étoiles et nous-mêmes sommes faits. Selon 
  les théoriciens, elle serait composée de particules - mauviettes (whimps), axions, 
  particules supersymétriques, etc... encore à découvrir. ..Une nouvelle porte 
  vient de s'entre-ouvrir, aux astronomes de s'y engouffrer. Ils devraient prochainement 
  le faire avec la mise en service, dans deux ans au CFHT, d'une caméra quatre 
  fois plus grande, la MégaCam, développée par le CEA de Saclay. DAns un avenir 
  plus lointain, on envisage la mise en place d'un réseau d'une centaine de télescopes 
  d'un mètre de diamètre et le lancement d'un satellite américain, Snapsat, consacré 
  aux étoiles explosives (supernovae), mais capable aussi de traquer les effets 
  de la matière noire. 
Jean-François Augereau