L'article paru dans le numéro
du 24 octobre de LIBERATION :
Citizendium, encyclopédie plus nette
Validé par des experts, ce site
dérivé de Wikipédia sera plus fiable, mais
moins vivant.
Par Erwan CARIO
Une encyclopédie en ligne qui permet à chacun
de créer ou de modifier des articles sur tous les sujets
imaginables, c'est le concept développé par Wikipédia
depuis janvier 2001. Aujourd'hui, la version anglaise contient
près de 1,5 million d'articles et plus de 380 000 sont
disponibles en français. Si son succès en a fait
une référence sur l'Internet, au même titre
que Google, des polémiques éclatent régulièrement
sur sa crédibilité.
Expertise. Même si les cas de désinformation,
de diffamation ou de volonté de nuire sont rares, ils
amènent certains à remettre en cause la validité
même du site. C'est le cas de Larry Sanger. Cofondateur
de Wikipédia, il a pris ses distances avec le site en
2002 et a lancé le 15 septembre un nouveau projet : Citizendium,
avec la volonté d'ajouter un niveau d'expertise reconnue
au foisonnement communautaire de Wikipédia. «Nous
croyons qu'un dérivé (1) est nécessaire,
et justifié, pour permettre aux gens de travailler sous
la direction d'experts, avec une notion de responsabilité
individuelle [dont l'utilisation des vrais noms, ndlr], explique-t-il
sur le site Citizendium.org. Nous voulons créer une communauté
responsable.»
Alors que Wikipédia s'appuie sur des
«administrateurs» qui se chargent de faire respecter
un certain nombre de principes fondateurs (la neutralité,
les sources vérifiables), Citizendium fonctionnera avec
trois niveaux de responsabilité : les «auteurs»,
qui pourront participer à la vie du site de la même
manière que sur Wikipédia, les «rédacteurs»
qui seront responsables d'un certain nombre de sujets en fonction
de leur expertise et les «gendarmes» (constables),
qui se chargeront de faire respecter la charte et les règles
en place sur le site. Quel que soit leur niveau, tous les participants
devront s'identifier avec leurs noms et prénoms.
Si Sander veut à ce point le changer, c'est que le système
de Wikipédia connaît des limites intrinsèques
à son mode de fonctionnement. Jean-Noël Lafargue,
un des administrateurs de Wikipédia France, l'admet :
«Sans parler des vandalismes, beaucoup de gens viennent
sur Wikipédia, non pas pour créer un outil de
savoir standard, mais pour imposer au monde leurs lubies et
leurs opinions. Ça peut être le cas de partis politiques
(notamment les "micropartis"), de médecines
parallèles ou de sectes qui font de grands efforts pour
imposer à Wikipédia leurs notions ou leurs définitions
de certains mots.»
«Arbitrage». Citizendium reprendrait
l'ensemble de la base d'articles de Wikipédia et ensuite
récupérerait régulièrement les mises
à jour. Exception faite des articles qui auront été
modifiés entre-temps et qui deviendront, eux, un contenu
Citizendium à part entière. Larry Sanger se défend
pourtant de vouloir créer un «expertpedia»
: «Comme pour Wikipédia, des gens "normaux"
constitueront la charnière du site. La seule différence
sera lors des dilemmes concernant un contenu où l'expert
effectuera l'arbitrage dans son domaine de compétence.»
La présence de ces experts permettra
la validation d'articles plus pointus. «Sur Wikipédia,
on refuse la publication de recherches personnelles (de scientifiques,
par exemple, voulant publier le résultat de leur travail),
explique Jean-Noël Lafargue. Chaque article doit faire
référence à des citations d'un auteur ayant
autorité dans le domaine. Si Albert Einstein avait publié
la théorie de la relativité restreinte sur Wikipédia
en 1905, j'aurais supprimé l'article instantanément
au motif infamant de "recherche personnelle". Une
nouvelle encyclopédie, telle que Citizendium, validée
scientifiquement, permet donc potentiellement l'émergence
d'un savoir inédit.» La structure même de
Citizendium en ferait donc une base de connaissance, plus académique
mais sans doute moins vivante et réactive que Wikipédia.
Test. Une version test de six semaines de Citizendium
a été lancée le 20 octobre (inaccessible
au public pour l'instant). Le site devrait ensuite être
accessible à tous et l'expérience pourra alors
commencer. Des versions internationales sont déjà
envisagées, sous réserve, explique Sanger, d'
«une demande de la part des internautes, et de la possibilité
de trouver des fonds, notamment pour payer un rédacteur
en chef à temps plein».
Difficile aujourd'hui de prédire le
succès d'une telle initiative. Difficile surtout de savoir
s'il est possible de maintenir deux communautés distinctes
suffisamment dynamiques pour faire tourner les deux sites. Jean-Noël
Lafargue est optimiste : «Beaucoup pensent que ces projets
sont rivaux et concurrents. Pour ma part, je crois que Wikipédia
et Citizendium peuvent très bien se compléter.»
(1) Fork en anglais désigne un programme
libre (licence GNU/GPL) qui récupère le travail
effectué sur un autre projet pour le faire évoluer,
sans nuire à l'original qui, lui, continue à évoluer
de son côté.
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