L'opinion de Fidel Castro ( Granma, 29 mars 2007 )  
              Voici le texte intégral de l'article de Fidel Castro (traduction  Granma International / Latin Reporters): 
                 
                 
Plus de trois milliards de personnes condamnées à   mourir prématurément de faim ou de soif dans le monde 
 
Cette estimation n’a rien d’exagéré, elle est plutôt   conservatrice. J’y ai longuement réfléchi après la réunion   qu’a eue le président Bush avec les fabricants nord-américains   d’automobiles. 
 
L’idée sinistre de transformer des aliments en carburant est devenue   une grande ligne économique de la politique extérieure des Etats-Unis  ce lundi 26 mars.  
 
Une dépêche de l’AP, une agence dont les informations circulent   partout dans le monde, indique textuellement :  
 
« WASHINGTON, le 26 mars (AP) — Le président George W. Bush s’est   félicité ce lundi des avantages qu’offrent les automobiles consommant  de l’éthanol ou du biodiesel, au cours d’une réunion avec des  représentants de l’industrie automobile organisée pour l’étude  et la mise en oeuvre de ses plans de production de carburants alternatifs. 
 
Bush a dit que si les leaders de l’industrie automobile s’engageaient à  doubler la production de véhicules à carburant alternatif, cela  encouragerait les automobilistes à abandonner les moteurs à   essence et, par voie de conséquence, la dépendance du pays vis-à-vis  des importations de pétrole s’en trouverait réduite. 
 
«Ceci constitue un progrès technologique important  pour le pays», a dit Bush après avoir inspecté  trois véhicules à carburant alternatif. Si la nation se propose  de réduire sa consommation d’essence, il faut mettre le consommateur  en mesure de prendre une décision rationnelle.  
 
Le président a invité le Congrès à examiner rapidement  une loi proposée récemment par l’exécutif pour ordonner  la consommation de 132 milliards de litres (35 milliards de gallons) de carburant  alternatif pour 2017 et imposer des normes plus exigeantes d’économie  de carburant pour les voitures. 
 
Bush a eu une réunion avec le président du conseil et directeur   général de General Motors Corp, Rich Wagoner; le directeur général  de Ford Motor Co., Alan Mulally, et le directeur général du  groupe Chrysler de Daimler Chrysler AG, Tom LaSorda. 
 
Les participants à la rencontre se sont penchés sur les mesures  à prendre pour soutenir la production de véhicules à  carburant alternatif, développer la production d’éthanol à  partir du gazon ou de la sciure, et étudier une proposition pour réduire  de 20% la consommation d’essence en l’espace de dix ans. 
 
Les conversations ont eu lieu au moment où le prix de l’essence montait.  L’étude la plus récente de l’organisation Lundberg Survey signalait  que le prix moyen de l’essence avait augmenté de 6 cents par gallon  (3,78 litres) ces deux dernières semaines sur le marché national,  atteignant 2,61 dollars.»  
 
J’estime que la réduction et le recyclage de tous les moteurs qui   consomment de l’électricité et du carburant constitue un impératif   élémentaire et urgent pour toute l’humanité. La tragédie   ne tient pas à la réduction de ces dépenses d’énergie   mais au projet de transformer des aliments en carburant. 
 
On sait aujourd’hui, en toute précision, qu’une tonne de maïs   donnera en tout et pour tout 413 litres (ou 109 gallons) d’éthanol   en moyenne, avec des variations selon la densité. 
 
Le prix moyen du maïs dans les ports des Etats-Unis se monte à   167 dollars la tonne. Il faudrait 320 millions de tonnes de maïs pour   produire 35 milliards de gallons d’éthanol. 
 
Selon des données de la FAO, la récolte de maïs des Etats-Unis   pour 2005 a été de 280,2 millions de tonnes. 
 
Le président a beau parler de produire du carburant à partir   de gazon ou de sciure, il est clair que cette perspective est totalement dépourvue  de réalisme. Trente-cinq milliards, pour ceux qui ne s’en rendraient  pas compte, c’est trente-cinq, suivi de neuf zéros.  
 
On verra ensuite venir de magnifiques exemples de productivité par   homme et par hectare, donnés par les agriculteurs expérimentés   et bien organisés des Etats-Unis : le maïs transformé en  éthanol, les résidus de ce maïs transformés en  fourrage pour le bétail, avec 26% de protéines, et les excréments   du bétail utilisés comme matière première pour   la production de gaz. Mais naturellement tout ceci ne pourra intervenir qu’après   des investissements considérables qui ne seront à la portée   que des entreprises les plus puissantes, pour lesquelles tout fonctionne à  partir de la consommation d’électricité et de combustibles.   Appliquez la recette aux pays du tiers monde et vous verrez combien de personnes   cesseront de consommer du maïs parmi les populations affamées   de notre planète. Ou pire encore : octroyez des prêts financiers  aux pays pauvres pour produire de l’éthanol de maïs ou de tout  autre denrée alimentaire et il ne restera plus un seul arbre pour  protéger l’humanité du changement climatique. 
 
D’autres pays du monde riche envisagent d’utiliser non seulement du maïs,   mais aussi du blé, des graines de tournesol, du colza et d’autres aliments  pour en faire des carburants. Pour les Européens, par exemple, ce  serait une bonne affaire d’importer tout le soja du monde pour réduire   les dépenses de leurs automobiles en carburants et alimenter leur bétail  avec les résidus de cette légumineuse, spécialement riche  en toutes sortes d’acides aminés essentiels. 
 
A Cuba, les alcools étaient tirés des sous-produits de l’industrie   sucrière, après extraction, par trois fois, du jus de canne.   Le changement de climat affecte déjà notre production sucrière.   De grandes sécheresses alternent avec des pluies record, qui permettent   à peine de produire du sucre durant cent jours avec des rendements   convenables pendant les mois de notre hiver très doux, de sorte qu’il   nous manque du sucre par tonne de canne ou il nous manque de la canne par  hectare à cause des sécheresses prolongées durant les  mois de semailles et de culture. 
 
Au Venezuela, je crois savoir que l’alcool ne sera pas destiné à   l’exportation, mais à l’amélioration de la qualité environnementale   de leur propre combustible. C’est pourquoi, indépendamment de l’excellente   technologie brésilienne de production d’alcool, à Cuba l’emploi   d’une telle technologie pour la production directe d’alcool à partir   du jus de canne ne serait qu’un rêve ou une extravagance de la part   de ceux qui se laissent bercer par cette idée. Dans notre pays, les   terres consacrées à la production directe d’alcool peuvent être  beaucoup plus utiles pour la production d’aliments pour le peuple et pour  la protection de l’environnement. 
 
Tous les pays du monde, riches et pauvres, sans aucune exception, pourraient   économiser des milliards de dollars en investissement et combustible   en remplaçant simplement toutes les ampoules incandescentes par des   ampoules fluorescentes, ce qui est chose faite à Cuba dans tous les   foyers du pays. Cela signifierait un répit pour résister au   changement climatique sans faire mourir de faim les populations pauvres du   monde. 
 
Comme on peut le voir, je n’utilise aucun adjectif pour qualifier le système   et les maîtres du monde. Cette tâche est du ressort des experts   en information et des spécialistes honnêtes en sciences sociales,   économiques et humaines qui abondent dans le monde et qui, constamment   et avec talent, se penchent sur le présent et l’avenir de notre espèce.   Il leur suffit d’un ordinateur et d’un nombre croissant de réseaux   d’Internet. 
 
Nous connaissons aujourd’hui pour la première fois une économie   réellement globalisée et une puissance dominante dans le domaine   économique, politique et militaire, qui n’a rien à voir avec   la Rome des empereurs. 
 
Certains se demanderont pourquoi je parle de la faim et de la soif. Je réponds   : il ne s’agit pas du revers de la médaille, mais de plusieurs faces   d’une autre pièce, à l’image d’un dé à six faces,   ou d’un polyèdre avec beaucoup plus de faces. 
 
J’ai recours dans ce cas à une agence officielle d’information, fondée   en 1945 et généralement bien informée sur les problèmes   économiques et sociaux dans le monde : la TELAM. Je cite, textuellement   : 
 
« Près de deux milliards de personnes habiteront dans un délai   d’à peine 18 ans dans des pays et des régions où l’eau   ne sera plus qu’un lointain souvenir. Deux tiers de la population mondiale   pourraient vivre dans des lieux où cette pénurie pourrait déboucher   sur des tensions sociales et économiques de telle ampleur qu’elles   pourraient entraîner des peuples dans des guerres pour l’«or bleu»,  devenu l’objet de toutes les convoitises.  
 
Durant les cent dernières années, l’utilisation de l’eau a  augmenté à un rythme plus de deux fois supérieur au  taux d’accroissement de la population. 
 
Selon les statistiques du Conseil mondial de l’Eau (WWC, selon son sigle  en anglais), on estime que vers 2015 le nombre d’habitants touchés   par cette grave situation pourrait atteindre 3 milliards 500 millions de personnes. 
 
L’Organisation des Nations Unies a célébré le 23 mars  la Journée mondiale de l’eau, appelant à affronter dès  maintenant la pénurie mondiale d’eau sous l’égide de l’Organisation  des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO), dans le but  de souligner l’importance croissante du problème et la nécessité  d’une meilleure intégration et coopération permettant de garantir  une gestion soutenue et efficace des ressources hydrauliques. 
 
De nombreuses régions de la planète souffrent d’une sévère  pénurie d’eau, avec moins de 500 mètres cubes par personne  et par an. De plus en plus de régions sont touchées par la  pénurie chronique de cet élément vital. 
 
Les principaux effets de ce phénomène sont l’insuffisance de  ce précieux liquide pour la production d’aliments, l’impossibilité   du développement industriel, urbain et touristique et les problèmes   de santé. »  
 
Ici s’achève la dépêche de TELAM. 
 
Je n’ai pas parlé ici d’autres faits importants, comme la fonte des   glaciers au Groenland et dans l’Antarctique, la destruction de la couche d’ozone  et la croissance de la quantité de mercure dans de nombreuses espèces  de poissons de consommation courante. 
 
D’autres sujets pourraient être abordés, mais je me propose   simplement, dans ces quelques lignes, de commenter la réunion du président   Bush avec les principaux acteurs de l’industrie automobile nord-américaine. 
 
 Fidel Castro 
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