Eloge de l'Ignorance

2° partie

24 janvier 2005

Quand on se déplace dans les arbres il est bon de pouvoir orienter ses « mains inférieures » dans tous les sens. Chez un humanoïde comme le chimpanzé ou l’homme et dans beaucoup d’autres espèces le fémur vient rouler sur ce qu’on appelle un « plateau tibial ».

Plateau tibial. Notez à quoi sert la "rotule" : déport des attaches des tendons et verrouillage avant

La partie inférieure de notre jambe est composé de deux os jumeaux : le tibia et le péroné. Mais le fémur ne vient s’appuyer que sur l’un des deux. La façon dont le fémur et le tibia restent constamment en contact est d’ailleurs un véritable prodige de mécanique et implique une courbe mathématique tout à fait remarquable. Essayer de concevoir une articulation dénuée d’axe de rotation matérialisé en ne disposant que de ligaments, relativement rigides, pour maintenir de contact entre les deux os. La solution « trouvée par la nature » est absolument remarquable. Je crois, en effectuant une petit digression que ce qui m’a le plus impressionné dans le squelette humain c’est l’articulation de l’épaule, qui permet un positionnement spatial du bras absolument remarquable vis-à-vis de son débattement angulaire (qui se chiffre en termes « d’angle solide » ).

Ceci a été été rendu possible par une invention, celle d’un support articulaire mobile, on dirait « flottant » : l’omoplate, véritable trouvaille.

Cette omoplate permet à l’haltérophile de soulever des charges invraisemblables puis de les tenir au dessus de lui à bout de bras sans que ses bras ne se décrochent et ne lui dégringolent dans le slip !

L’articulation fémur-bassin s’effectue selon une « tête de fémur » qui vient se placer dans un logement. Elle est de type rotule ( bien que cela n’ait rien à voir avec la rotule de nos genoux qui joue un rôle totalement différent, comme on a pu le voir plus haut ).

L’articulation fémur-bassin de l’australopithèque était d’emblée plus proche de celle d’un arboricole que d’un bipède, ce qui n’a pas été remarqué d’emblée. Même remarque pour la structure de son plateau tibial, pour autant que je me rappelle. Le nôtre est porteur d’une arête qui limite très fortement le déport angulaire du tibia par rapport au fémur. Plus ou moins cinq degrés, si mes souvenirs son exacts. Par contre, et je me réfère là à une conversation que j’avais eu jadis avec mon vieil ami Louis David, ancien directeur du musée Guimet de Lyon cette arête serait soit pratiquement absente, soit bien moins développée chez des arboricoles, ce qui permettrait un départ angulaire de plus ou moins soixante degrés. Les articulations des chevilles seraient assez différentes, toujours en vertu du mode de locomotion choisi.

Grimper ou marcher, il faut choisir

Nous sommes des grimpeurs assez acceptables. J’ai fait moi-même un peu de haute montagne et j’ai été quelque temps moniteurs auxiliaire d’escalade à l’Université Libre de Belgique. Question force dans les bras, rapport traction/poids, nous sommes loin derrière le chimpanzé et a fortiori le gibbon. Faute d’avoir des pieds préhensiles nous nous sommes dotés de chaussures capables d’exploiter le moindre graton. Mais je me rappelle quand même que quand nous avions fait connaissance de Jean Lecomte et de sa femme Lulu, dans l’île de Riou, en face des Calanques de Marseille, île déserte à l’époque ( 1960 ) où le couple était venu faire de l’escalade et nous rechercher une épave d’amphores, nous n’avions pas de chaussures. Pas même des baskets. La corne tenait lieu de semelle. Nous avions alors grimpé, avec Jean, les « Tours de Riou », pieds nus, ce qui indique que même sans chaussures l’être humain peut quand même se débrouiller honorablement. Mais, question souplesse nous sommes quand même loin derrière les singes.

 

 

Jean-Pierre petit et Jean-Claude Mitteau en 1960 dans les Calanques

L’arête tibiale est soit quasi absente chez l’australopithèque :

Jonction fémur - plateau tibial chez l'australopithèque

Il y a dix-quinze ans mon ami David doutait des qualités de bipède de ce qui était considéré comme un pré-hominien à cause de cela. Il faut ajouter les études faites par Yvette Deloison dans son livre « la Préhistoire du Piéton ». Après examen des os du pied de l’australopithèque et du moulage de ses emprein,tes elle démontre l’existence d’un « orteil opposable ». Ce muscle a subsisté, dans notre pied, mais il est atrophié. Et elle en conclut que l’émergence de l’homme, en tant que bipède, reste un mystère complet.

La présence d’un orteil opposable constituerait un nouvel argument pour douter de la bipédie chez l’australopithèque. Enfin des découvertes ultérieures ont achevé de ruiner l’idée autour de laquelle se créa la notoriété internationale de Coppens. On a fini par découvrir des squelettes d’australopithèques fort anciens, plus à l’ouest, dans des régions résolument arborées.

Exit la thèse de la bipédie en tant que phénomène d’adaptation au milieu.

L’hominisation est une question-clé. Il n’y a pas que le mode de locomotion qui différencie l’homme du singe. Il y a aussi la capacité de communiquer à l’aide d’un langage articulé. Pour émettre des sons modulés il faut disposer de cordes vocales, accrochées sur des os sphygoïdes. Les simiens ne possèdent ni l’un ni l’autre. Quand ces os sont-ils apparus ? Avant, après ou en même temps que l’apparition de la bipédie ? Encore un vaste champ d’ignorance. Nous savons pourtant, après avoir découvert et étudié les capacités de ces chimpanzés nains que sont les Bonobos que même privés de la capacité de phonation ces êtres sont fort intelligents, capables de distinguer le passé du futur, de mémoriser des promesses faites par leurs compagnons-humains, d’apprendre des séquences de gestes en les contemplant sur des écrans vidéos, etc. C’est vraiment là qu’on est tenté de s’écrire « il ne leur manque plus que la parole ! ».

Parler des origines de l’homme sans évoquer cette question de l’hominisation, pour laquelle on ne dispose pas de réponse, et où personne ne semble même capable de formuler la question correctement c’est un peu se moquer du monde. Quand on revoit ce film on a l’impression que les scientifiques rechignent à dire «nous ne savons pas ». Le document est émaillé de nombreuses prestations de scientifiques reconnus, de mandarins bien en place qui plastronnent tant et plus dans des locaux souvent fort luxueux alors que la paléo-anthropologie, un des nombreux parents pauvres de la science, n’octroie le plus souvent à ses chercheurs qu’une vague armoire et un coin de table dans un bureau déjà occupé.

Coppens a participé à un ouvrage écrit en collaboration d’Hubert Reeves et de Joël de Rosnay, intitulé « La plus Belle Histoire du Monde », livre où le journaliste &&& interviewe « ces trois grandes figures de la science ». Parmi les trois, ni Reeves ni de Rosnay n’ont jamais rien découvert personnellement, mais cet ouvrage c’est « du quark à l’homme », un véritable monument d’idées toutes faites. Coppens développait alors la théorie autour de laquelle s’était centrée sa carrière, qui l’avait rendu célèbre. Mais aujourd’hui cette idée n’est plus défendable. Plutôt que d’avouer une ignorance il a donc choisi de démarrer l’histoire de l’homme à l’homo erectus ( donc… déjà debout ).

Dans le film supervisé par Coppens assiste alors à une scène étonnante. Un femelle d’homo erectus accouche debout d’un … homo sapiens. Tout ceci n’est pas innocent. Coppens cautionne-t-il cette hypothèse qui n’est rien d’autre que celle d’un passage brutal, résolument non-darwinien de la première espèce à la seconde. On a l’impression d’ailleurs que, ce faisant, il se ménage toutes les sorties possibles par cette discrète évocation, au cas où le vent, soudain, tournerait autour de cette question. En effet le volume encéphalique passerait brutalement de 600 cc à 1200. Les bourrelet orbital disparaîtrait. L’angle facial est profondément modifié, le menton apparaît, etc

Cette séquence est introduite parce qu’il faut bien, d’une manière ou d’une autre, expliquer l’apparition du personnage central de ce film : l’homo sapiens. Au lieu de dire plus simplement :

- Nous disposons de fossiles de plusieurs hominidés. Parmi ceux-ci l’homo sapiens, qui apparaît il y a une centaine de milliers d’années au Moyen Orient semble très proche de l’homme moderne par de nombreux points et dont l’émergence est en l’état de nos connaissance un mystère.

Reste à préciser, ce qui est fait dans le film, que l’homo erectus, sorti d’Afrique savait tailler des « bifaces ». On est déjà loin de cette « peeble culture » très primitive. L’homo erectus maîtrise aussi … le feu, ce qui n’est pas rien ( 400.000 ans avant notre ère. Certains paléontologues pendant que ce chiffre pourrait être doublé). . En construisant ainsi son film, Coppens évite la question essentielle, centrale :

- Où, quand et comment commence l’hominisation ?

A un moment on donne la parole à un paléontologue chinois, le professeur Wu Xin Zhi qui nous parle de " l’homme de Java " et de « l’homme de Pékin » qui auraient peuplé le continent asiatique il y a 500.000 ans. Le Chinois doute de la « sinisation » d’homo sapiens importés par immigration et précise que des caractères asiatiques ( face plate, structure crânienne étendue au niveau des joues ) existait déjà chez les specimens les plus primitifs, ce qui impliquerait que le phénomène d’émergence de l’homo sapiens ait pu se produire en des points du globe fort éloignés ( origine de l'homme polypylétique, selon plusieurs rameaux ). Mais le film ne s’arrête guère sur cette question clé.

Coppens chevauche la thèse dominante s’appuyant sur une origine monophilétique de l’homme ( avec « un seul rameau »). Cette thèse n’est rien d’autre .. qu’une simple croyance. Jusqu’à une date récente, celle où la thèse de Coppens, concernant la naissance de la bipédie s’est effondrée, cette origine unique de l’homme et de ses antécédents était la thèse officielle dans la paléontologie occidentale. On trouve d’ailleurs sur la plaquette accompagnant le CD-Rom le schéma de peuplement de la planète, à partir d’un berceau unique : le rift africain. C’est le thème du tout « out of Africa ». Il n’y a aucune mesure dans les propos d’un Coppens ou d’autres qui s’expriment dans ce film, aucun recul, aucun doute.

- Il s’est passé ceci, alors ils ont fait cela…..

Le film abondent d’incongruités manifestes, que Coppens cautionne de facto. Je cite un exemple. Pour tenter de donner à l’ensemble un bout de scénario on fait parler un vieillard qui révèle son origine à son petit fils. L’ancêtre confie qu’il aurait été élevé par des loups. On voit une scène où des homo sapiens tombent sur une harde de loups, accompagné d’un enfant qui semble avoir dans les cinq ou six ans au minimum. Intégré à la tribu, le gosse conserve un temps une attitude « un peu sauvage » mais, au bout de très peu d’années, apprend à parler et finira en devenant le sage, le chamane de la tribu.

Quand on avance quelque chose il faut pouvoir s’appuyer sur quelques faits, si possible. On a connu dans l’histoire des cas avérés d’enfants qui avaient survécu en vivant intégrés dans une meute d’animaux divers et variés. Aux Indes il y a plusieurs cas d’enfants qui ont apparemment été élevés par des loups. Dans un des cas le gosse avait, par mimétisme adopté une quadrupédie de fortune en courant … sur ses coudes qui s’étaient dotés de cals impressionnants. En France nous avons le cas de Victor de l’Aveyron, un enfant trouvé nu, dans le département de l’Aveyron, se nourrissant de baies et de glands, dont on pense qu’il aurait peut être adopté le mode de vie de sangliers.

Dans tous les cas de figure aucune réadaptation n’a jamais pu être opérée. L’être humain passe par des stades où il acquiert différents attributs comportementaux, dont l’aptitude à manier un langage. Quand on loupe cette bonne période, ça n’est alors apparemment plus rattrapable. C’est ce qui fut constaté avec Victor de l’Aveyron qui, en dépit des louables efforts du médecin tentant de le réadapter à une vie sociale humaine, s’avéra incapable d’articuler un mot.

La séquence présentée dans le film est donc une pure fiction, qui s’inscrit à contre-courant du peu d’expérience dont on dispose en la matière. Les fictions abondent en fait. Un ami paléontologue me rappelait la séquence où le scénariste a cru bon de montrer une troupe d'homo sapiens franchissant un col à haute altitude, sur la suggestion d'une "femme-chamane". Grelottant de froid ils sont ... sauvés par des néanderthaliens ! En fait, si les homo sapiens sont passés en France, ce fut en longeant tout tranquillement le bord de mer et non en s'aventurant dans un décor emprunté à la haute montagne. Mais cela fait "de belles images". Des images fausses, absurdes, mais romanesques.

Ces mêmes amis paléontologues ont regretté que les scénaristes n'aient pas consacré l'ombre d'une séquence pour montrer la taille des silex, par percussion alors que nous ne manquons pas, en France, de gens qui ont parfaitement su reconstituer ces gestes extraordinaires d'efficacité. Mais comment demander cela à un ... chorégraphe, chargé par la production de coordonner toute la gestuelle et les vocalisations de ceux qui sont censés être nos ancêtres ?

En fait, quand on voit l’ensemble du film assorti d’un commentaire aussi assommant qu’ininterrompu on pense inévitablement à l’excellent film d’Annaud : « La Guerre du Feu ». Annaud est un réalisateur extrêmement talentueux, auteur de films extrêmement variés, dont ce chef d’oeuvre qu’est « Au Nom de la Rose ». Dans cette adaptation du livre écrit en 1912 par Rosny Aîné sur les errances d'un groupe d'homo rerectus Annaud qui s’est offert de luxe de nous passionner pendant deux heures et de nous faire comprendre une foule de choses dans un film où les paroles prononcées sont en « préhistorique non sous-titré ». Il a pris pour ce faire conseil de bons spécialistes et son film n’est pas entaché des erreurs nombreuses qui parsèment celui patronné par Coppens. Il est à noter qu’Annaud s’est tourné vers des ethnologues et non vers des préhistoriens.

Autre exemple extrait du film où Coppens, c'est écrit dans le générique, est présenté comme "Directeur Scientifique" : A un moment on voit des homo sapiens, travaillant en équipe avec des néanderthaliens (…), attaquant des … mammouth avec des lances de bois munies de pointes de pierre. « Ils affolent les bêtes avec des torches ». Du peu d’expérience que j’aie de l’Afrique je sais que cette peur du feu, pour de nombreuses espèces, n’existe que … dans l’imagination des écrivains ( comme la peur de la « fleur rouge », dans « le livre de la jungle » ). Dans une région à risque du Kenya ou de la Tanzanie je ne conseillerais à personne de dormir tout tranquillement à côté d’un feu en s’imaginant être ainsi protégé d’animaux potentiellement très agressifs comme les hyènes.

Quand on veut réaliser un film sur la préhistoire est-ce que le plus simple ne serait pas d’aller observer les gens qui vivent réellement dans cette époque, comme les Boshimans ou les Papous. Parmi les techniques de chasse il en est dont Coppens et son équipe ne parlent pas et qui a du certainement apparaître très tôt, étant donnée son efficacité : le poison, largement utilisé sur Terre, par les Amazoniens ou les Boshimans par exemple (ceux-ci chassent avec des arcs qui ressemblent à des jouets, dont les pointes se comportent en fait comme des "seringues"). Il y a une autre scène ( décidément le film semble être une succession ininterrompue d’incongruités ) où on voir des homo sapiens attaquant à la lance des gazelles. L’un est frappée … à la fesse. On dit alors qu’elle est « blessée à mort » et effectivement, dans la séquence suivante on la voit raide morte, au même endroit, au sol. Ca n’est absolument pas crédible. Coppens ne semble pas avoir la moindre idée de la résistance des animaux de brousse. Avec une telle blessure, une antilope de ce poids serait capable de faire des dizaines de kilomètres, quitte à périr plus tard d’infection ou sous la griffe d’un prédateur.

Avant de présenter cette scène où une douzaines de d’homo sapiens travaillant la main dans la main avec des néanderthaliens s’en prennent à un « jeune mammouth » et finissent par avoir raison de lui en enfonçant leurs traits « dans les régions les plus vulnérables, comme l’anus ou les flancs », est-ce que quelqu’un, dans cette brillante équipe s’est avisé d’aller demander à des Maasaï ( qui disposent, eux, de lances à embouts métallique ) s’il est jamais arrivé que des gens de leur ethnie viennent à bout d’un éléphant ? Est-ce que Coppens réalise que la peau du moindre éléphant mesure au minimum deux bons centimètres d’épaisseur et qu’avant d’espérer la percer avec des pointes de silex on peut toujours se lever de bonne heure.

Ou alors, pour chasser le mamouth, il faut être deux. Il faut d'abord approcher la bête par l'arrière, sous le vent, sans qu'elle vous remarque, quand elle est en train de brouter. Le premier chasseur soulève alors prestement la queue de l'animal pendant que le second lui enfile sa sagaïe directement dans l'anus. Si la sagaïe est assez longue, en poussant un grand coup il a des chances d'atteindre le coeur. L'animal s'effondre alors sur place, foudroyé.

On aurait pu dire des tas de choses beaucoup plus pertinentes et les scénariser intelligemment, comme l’avait fait Annaud dans son film. Il est possible par exemple que l’intégration du loup aux techniques de chasse ait été issue du recueil de jeunes, après que les parents aient été exterminés par une tribu. L’animal domestique est alors « dénaturé », « dressé ». L’homme qui tente d’intégrer un animal sauvage dans son environnement met en pratique les idées de Conrad Lorentz, inventeur de l’imprégnation. Selon Lorentz pour nombre d’espèces, le premier être qu’ils voient (ou qu’ils sentent) au moment de leur naissance est identifié à leurs géniteurs. On a pu ainsi amener des oies à considérer comme leur mère une simple … tondeuse à gazon.

Si un chien obéit à l’homme c’est parce qu’il le considère comme un être « dominant ». Quand un brave « chien-chien » se couche sur le côté et vous offre son ventre il adopte en fait une attitude de soumission, en offrant la partie de son corps la plus vulnérable. La domestication du loup fut sans doute un travail assez long. Mais des exemples africains font état de symbioses étonnantes entre des hommes et des espèces considérées comme a priori extrêmement dangereuses. Sans qu’on sache très bien pourquoi, j'ai pu le constater moi-même, il est possible de camper sur les berges sur Lac Baringo, au Kenya et de voir le camp envahi par de « paisibles hippopotames » qui viennent brouter à côté des tentes. Je vous assure que cela fait un très curieux effet d’ouvrir la porte de sa tente et de voir devant soi le mufle de cette bête énorme, pesant plusieurs tonnes, considérée en Afrique comme dangereuse ( il est exclu de les approcher par exemple près du fleuve Mara où ils vivent en grand nombre ).

Je suis passé maintes fois à « Klein’s camp » près de la réserve Mara où les buffles cohabitent avec les hommes, dormant entre leurs cases et cabanes de parpaings. Personne, dans ce camp tenu par des rangers, ne se hasarderait quand même à les caresser, mais les choses sont ainsi. J’en ai été le témoin oculaire. Devenu un peu trop confiant j’avais même éloigné un buffle de notre campement en lui jetant des pierres, à la suite de quoi le ranger m’avait demandé « si nous traitions les buffles de cette façon dans notre pays ».

J’ai connu maints exemples similaires.

En revenant à ces prétendues chasses au mammouth on doit reconnaître qu’on a retrouvé des cabanes construites avec des défense et des ossements de ces animaux. Mais qu’est-ce qui prouve que ceux-ci auraient été tués par des hommes ? Au Kenya, en Tanzanie j'ai trouvé mains squelettes d'éléphants entiers, un peu n'importe où.

Comment meurent les pachydermes et en particulier les éléphants ? Ils sont peu vulnérables vis-à-vis des prédateurs. Ils ne dorment pas couchés. Ils font des petits sommes, debout mais se nourrissent pratiquement vingt quatre heures sur vingt quatre étant donnée la masse végétale qu’il leur faut ingurgiter et leur faible « rendement alimentaire ». Les fauves ne se hasardent pas à les attaquer. Leur point faible se situe dans leur dentition. Ils disposent au cours de leur vie que de deux jeux successifs de molaires. Mais quand le second jeu est tombé ou s’est usé ils sont condamnés à mourir de faim, pratiquement, étant devenus incapables de mâcher. Les vieux éléphants fréquentent alors les marais, où les pousses sont plus tendres. Ils peuvent s’y embourber et c’est dans ces conditions que les hommes préhistoriques auraient pu prétendre avoir raison de ces montagnes de chair.

Il aurait été plus simple, plus rationnel, de présenter ce genre de scène, plus plausible. Les données archéologiques ne manquent pas d’éléments tangibles et spectaculaires concernant les stratégies de chasse. On connaît la roche de Solutré où des hommes préhistoriques acculaient des chevaux sauvages en les amenant à tomber dans un précipice où ils se fracassaient, ce qui leur fournissait des réserves de chair fraîche sans trop de risque. Les hommes se contentaient d’affoler les bêtes.

J’émettrai donc un avis très négatif sur le film dirigé par Coppens, qui me semble témoigner d’une grande ignorance du monde des hommes vivant dans des conditions techniquement très proches de celles des hommes de l’âge de pierre. La présentation donnée est fruste, comme dans « les films de Tarzan ». L’homme préhistorique s’exprime par grognements, a des gestes brutaux, mange comme le dernier des cochons, se vêt de lambeaux de peau. Alors qu’on sait que les tribus dites primitives sont très souvent dotées d’organisations sociales très sophistiquées, de rites initiatiques très compliqués et que l’élégance y est de mise. Coppens et ses collaborateurs donnent l’impression de prendre les « hommes primitifs » pour de complets imbéciles alors que c’étaient des gens pleins de ressources. A sa place j’aurais par exemple montré comment ils pouvaient, en découpant une peau en spirale à l’aide d’un simple éclat de silex, obtenir une « corde » d’une bonne longueur et donner à leurs arcs robustesse et souplesse en les traitant au feu. Je ne prendrai pas l’exemple des Papous puisque ceux-là en étaient déjà, lorsque les Australiens les découvrirent en 1932 dans la vallée du Waagi au stade de l’agriculture ( patates douces ) et de l’élevage (cochons noirs).

Il y a des tas de moments extraordinaires dans le film d’Annaud, la guerre du feu, ou l'évocation de progrès techniques, habilement intégrés au scénario se passent de tout commentaires. Après avoir appris à faire du feu, Naoh revient avec ses compagnons vers son habitat natal, la grotte qu’ils avait quitté. Il se heurte alors à un des membres de sa tribus et à ses frères qui, lourdement armés et très costauds, leurs barrent la route. L’affrontement est inévitable. Et là on voit Naoh et ses compagnons venir rapidement à bout des trois autres en faisant usage d’un accessoire inconnus de ceux-là : le propulseur, qui permet un tir à plus grande distance. Les organisateurs du guet-appens se trouvent ainsi tués par les traits de Naoh et ses frères sans même avoir pu se mettre à distance suffisante pour pouvoir faire usage de leurs propres armes. La démonstration est remarquable.

Si on voulait « faire scientifique » il aurait été plus adroit de créer un film présentant plus d’unité, sans mélanger sans cesse le présent et le passé, quitte à reprendre ( dans un CD-Rom ) des séquences du film en les commentant, en attirant l’attention du spectateur peu observateur sur des détails. Mais cela aurait été un peu trop demander à des mandarins plus soucieux de paraître que de permettre au spectateur d’opérer une prodigieuse plongée dans le passé.

Dans le film de Coppens, tout respire le bricolage, l’improvisation et le manque d’unité. Dans le coffret proposé il y a deux CD-Rom. L'un comporte un "film sur le film, qui explique comment celui-ci a été conçu et réalisé. Il s'agit d'une production franco-canadienne. Le producteur français est Barthélémy Fougeas Les auteurs du scénario sont les réalisateurs Malaterre et Michel Fougeas, sans doute parent du producteur. Ceux-ci disent que " Coppens les a promenés dans le savoir ". Ils devraient plutôt dire que celui-ci les a promenés dans notre ignorance. Quant à Coppens il précise qu'après avoir donné "quelques conseils techniques" il était bon que les réalisateurs fassent leur travail d'auteurs, ce qu'ils ont fait avec l'aide d'un ... chorégraphe, un certain Grégory ( Annaud s'était assuré l'aide d'ethnologues ). Le " film sur le film " nous apprend qu'il y a " 80 premiers rôles " et des figurants. Ca en fait, du monde.

Ah, j'ai noté en revoyant ce document que Coppens nous donne sa définition :

- De l'homme : le réceptacle d'une matière pensante.....

- de la conscience : Un certain niveau de réflexion pour apaiser une angoisse

résultat d'un demi siècle de patiente réflexion.

Le résultat, cinématographiquement parlant, peut être qualifié de « non-professionnel » par rapport à l’excellent travail faut par Annaud (qui, rappelons-le, avec requis les conseils plus d’ethnologues que de préhistoriens ). Les acteurs dirigés par celui-ci avaient vraiment « l’air dans leur époque ». Ceux du film de Coppens, en dépit de gros efforts faits pour les maquillages ressemblent à des figurants, ne sont pas dans leur rôle. Pourquoi n’a-t-on pas demandé à Annaud de gérer cette entreprise, ou au moins de servir de conseiller pour une production qui a certainement bénéficié d’un budget conséquent ?

Je passe sur la médiocrité de la bande dessinée dont quelques pages échantillon accompagnent le CD-Rom. Elle nous tombera probablement des mains. Franchement, précipitez-vous chez votre libraire et achetez l'ouvrage "Les Temps Préhistoriques", chez Hachette, dans la série "la vie privée des hommes", vous y trouverez mieux votre compte sur tous les plans, y compris grâce aux illustrations d'un véritable magicien des formes et de la couleur : Pierre Joubert.

Faire de films, composer des bandes dessinées, c’est un métier. Ca n’est même pas une question de moyens techniques, mais surtout d’idées. Je ne connais pas les "états de service" de ces deux réalisateurs que sont Malaterre et Fougeas.

Rappelez-vous la première image du film d’Annaud « La Guerre du Feu ». Qu’est-ce qu’on voit ? Presque rien. La forêt, la nuit. Mais, au fil d'un panoramique ,au milieu de toute cette obscurité, soudain, apparaît un feu minuscule, qui enflamme notre imaginaire. Toute notre société prométhéenne est concentrée dans cette courte séquence, remarquablement appuyée par son fond sonore. Le feu est là, qui va être au centre de toute l’histoire, quête de ces hommes qui, soudain, le perdent et se mettent à sa recherche. Quel thème fantastique, complètement perdu du vue par l'équipe de Coppens (...). Mais le thème est Homo Sapiens. Or, en principe, l'homo erectus connaissait déjà le feu et disposait d'outils. Dommage, le feu a quand même joué un rôle sacrément important dans la préhistoire. Mais là, c'est "hors sujet".

J’imagine comment la bande dessinée qui a été prévue pour accompagner le film dirigé par Coppens a du être composée. Les paléontologues, Coppens en tête, on cherché un « illustrateur », au talent d’ailleurs très moyen, qui a fait de son mieux pour transformer les propos de ces doctes personnages et le résultat sera ennuyeux à périr. Cela se voit déjà sur les quatre pages accompagnant le CD. De même un professeur au Collège de France, s’il peut fasciner un auditoire discipliné se transformera en acteur médiocre s’il est intégré dans un document qui veut faire figure de film, avec un scénario.

Prenons un exemple. Avant que n’apparaisse « Le Monde du Silence » les films sur le monde sous-marin n’étaient que de simples… documentaires. Soudain, dans ce film les images deviennent magiques, mémorables, elles s’animent. Je me souviens de la première séquence. On y voit trois plongeurs redescendant vers les abysses, porteurs de torches sous-marines émettant des flots de bulles. Les images sont extraordinaires, de même que cette vue où on voit l’ancre de la Calypso riper lentement sur le fond avant de remonter vers la surface. Il y avait cela et mille autres choses encore, avec des angles de vue visiblement réfléchis, des éclairages féeriques. Mais pourquoi, soudain, ce saut qualitatif, cette émergence d’une œuvre d’art au milieu de kilomètres de documentaires assez ennuyeux ?

Parce que le réalisateur n’était autre que le jeune Louis Malle, qui réalisa pour le compte de Cousteau ce film en échange de sa participation à un tour du monde fascinant.

De même, en ethnologie est apparu soudain un chercheur au Cnrs, le sympathique, le charismatique Jean Rouch, récemment décédé. Il n’y en a eu qu’un comme celui-ci, qui était à la fois ethnologue et cinéaste, de même que Louis Malle était cinéaste et plongeur. Aujourd’hui, au Cnrs, nous avons le Serdav, le « Service d’étude et de réalisation de documents audio-visuels » qui, fondé par Jean-Michel Arnold n’a jamais été fichu de produire quoi que ce soit qui puisse être diffusé et dont il soit utile de se souvenir, alors que chaque film de Jean Rouch est un document d’anthologie.

Je crois être le seul à pouvoir prétendre être à la fois un scientifique de haut niveau et un professionnel de la bande dessinée. Quand on veut accrocher des petits Mickeys sur un discours d’universitaire, ça ne marche pas. Ca n’a jamais marché. Il y a eu des tas d'essais qui n'ont donné que de médiocres résultats au regard de la série des Lanturlu. Le réalisateur du film sur la préhistoire a fait ce qu’il a pu, conseillé, guidé, conduits par des préhistoriens qui n’avaient pas la moindre notion de ce qu’étaient une image, un son, un décor, un mouvement, un éclairage, un scénario et qui n’ont su que faire ce qui était dans leurs habitudes : figurer sur une estrade avec un costume, un cravate, un barbe et parler… parler.

Au-delà de cette alternance de scènes qui se veulent « réalistes », les péroraisons de « figures de la paléontologie » coupent tout le rythme du document. Cinématographiquement c’est très maladroit. Il faut toujours qu’une image soit signifiante. L’image, c’est un véritable métier. Les séquences où nos scientifiques modernes plastronnent sont uniformément ennuyeuses, ces personnages ne sont pas cinégéniques pour un sou, pas plus que les décors qui servent de toiles de fond, qui ne sont là que pour insister sur leur réussite sociale. Mais la vanité est souvent le grand point faible des universitaires. Le but, au-delà d’une vulgarisation à mon avis totalement ratée n’était-il pas de se montrer ?

Il existe de nombreuses scènes, dans le film d’Annaud, qui évoquent la condition de l’homme préhistorique et les problèmes liés à des rencontres entre deux ethnies possédant des niveaux culturels et technologiques différents. Sans que cela soit explicitement dit, le film d’Annaud évoque une contre entre des homo erectus, la tribu de Naoh, vivant dans des grottes et des homo sapiens, qui leur apprendront l’art et la manière de produire eux-mêmes le feu. Une des scènes les plus fortes du film est celle où on voit Naoh observer un autre homme préhistorique ( rôle tenu d’ailleurs, je crois, par un authentique Maasaï ) en train de faire du feu par friction en mettant en rotation rapide entre ses paumes un baguette de bois. La scène n’est pas truquée et se déroule sous les yeux du spectateur en temps réel. C’est réellement comme ça que ces gens allument leur feu. L’outillage est authentique. On peut imaginer qu’elle s’est déroulée certainement ainsi dans notre passé. Et c’est parce que cette scène est totalement plausible qu’elle crève littéralement l’écran. Il y a un côté émotionnel, profond, dans le film d’Annaud, qui est totalement absent dans le film de Coppens. Disons qu’Annaud, dans un film exempt de paroles intelligibles parvient à faire passer, à faire comprendre plus de choses que nos savants qui, souvent, tentent de nous faire avaler des pilules grosses comme des menhirs.

Je me faisais une joie de voir ce film. J’ai été très déçu.

Le passé lointain de l’homme est passionnant, fascinant, empli de très nombreux mystères. Coppens veut lui donner une homogénéité technologique et culturelle planétaire alors qu’aujourd’hui ça n’est même pas le cas. Jusqu’en 1932 ( ! … ) ont coexisté à cent et quelques kilomètres près, la distance qui séparait le vallée du Waagi de la côte, colonisée de longue date, des hommes modernes, d'origine autralienne et d’autres vivant 30.000 années dans leur passé. Pourquoi l’histoire de nos lointains ancêtres aurait-elle fait montre de l’homogénéité suggérée dans le film de Coppens ? Des civilisations ont vraisemblablement fleuri puis se sont éteintes, comme cela a été le cas à l’époque où ce que nous appelons histoire a réellement commencé. Comment imaginer qu’au Moyen-Âge l’Egypte était peuplée par des hommes qui n’avaient, au plan technologique et culturel absolument plus rien de commun avec ceux qui occupaient le terrain mille ans plus tôt ?

Je vous l’ai dit : les questions essentielles sont escamotées. Comme la thèse concernant l’hominisation, le passage à la station debout a fait long feu, alors on tente de brosser une histoire du peuplement planétaire, obsessionnellement monophilétique, alors que nous n’en savons rien. Coppens brosse une romance entre un homo sapiens et une néanderthalienne. Tous les scénarios sont indigents. La question essentielle, fascinante disparaît derrière une scénarisation anecdotique souvent dénuée du moindre fondement, sans intérêt et non-crédible. Nous n’avons aucune base archéologique pour pouvoir affirmer que les deux peuplades, les néanderthaliens et les sapiens se soient jamais mêlées l’une à l’autre. On n’a jamais trouvé de tombes où des sapiens et des néanderthaliens aient été ensevelis à proximité. Par contre, la question fascinante est : «étaient-ils génétiquement compatibles ? ». Il est rappelé dans le film qu’on a jamais trouvé de restes qui suggèrent une hybridation, alors que plus de cinq cent squelettes de néanderthaliens ont été mis à jour.

A la même époque deux espèces humaines qui étaient peut être génétiquement incompatibles ont coexisté, en étant toutes deux dotées de l’art de tailler la pierre, de faire du feu, de concevoir des armes, des techniques de chasse, d’enterrer leurs morts, de créer des parures, etc. L’une a subsisté, l’autre a disparu. S’est-elle « éteinte » ou a-t-elle été éliminée par sa rivale ?

Il n’y a pas que des « bons sauvages » de part le monde. Les colonisateurs ont éliminés nombre d’ethnies, mais parfois ce sont des guerres tribales qui ont amené la disparition de groupes entiers. Les Watusis, au nord Kenya, des nilo-amites de très grande taille, plus deux mètres, ont ainsi totalement disparu et vous n’en trouverez trace que dans le film « Les Mines du Roi Salomon » avec Stewart Granger, véritable document ethnologique. La Papous se livrent à des combats territoriaux permanents et chroniquement meurtriers, dont les effets ont été péniblement contenus à la fin des années soixante-dix. Avant d’être des agriculteurs et des éleveurs ce sont avant tout des guerriers. L’homme moderne est agressif, territorial. Son ancêtre l’était aussi et les Néanderthaliens ont peut être tout simplement été décimés par les sapiens. Dans son film Coppens ne montre pas ce qui est bel et bien une réalité dans certaines régions du globe habitées par des hommes technologiquement très frustes : l’état de guerre, périodique ou permanente. Pensez au génocide récent entre Tutsi et Utu, règlement de comptes vieux de plusieurs siècles, voire plus encore.

Lorsque les Maasaï on envahi le Kenya et la Tanzanie il y a un paquet de siècles ( &&& à quelle époque ? ) ils ont passé au fil de leurs épées tout ce qu’ils ont trouvé sur leur passage, avec une efficacité toute militaire. Je me suis d'ailleurs souvent demandé, étant donné la forme de leurs javelots, évoquant le pilum, leur discipline au combat ( par rapport au déploiement en désordre des autres tribus ), leurs larges manteaux pourpres, la façon dont ils sculptent leurs cheveux avec de la boue en leur donnant parfois des allures de casques, leurs sandales et la manière dont ils se dessinent sur les mollets des traits de boue évoquant un laçage, s'il ne se serait pas agi des restes de mercenaires entraînés par les ... Romains à l'époque où ceux-ci occupaient encore l'Afrique du Nord. Une idée, comme ça.

A un moment, le film de Coppens évoque ce qui reste un mystère totalement opaque chez les peuples de âges reculés : l'érection de menhirs, la manipulation de mégalithes impressionnants. A Antequarra, en Espagne, des hommes on construit des porches, des allées couvertes avec des pierres monstrueuses. La dalle du fond atteint 600 tonnes, l'ensemble des 31 pierres : 1300 tonnes !

Image extraite de l'excellent livre "Les Temps Préhistoriques", publié chez Hachette
dans sa série "la vie privée des hommes", magnifiquement illustré par Joubert

Comment, pourquoi ? Tout cela est évoqué de manière expéditive en quelques secondes, ou l’on voit des hommes vêtus d’oripeaux tirant, bien sûr sans outillage, des pierres monstrueuses.

 

Dans une autre séquences du film; Coppens évoque la façon dont ont pu être peuplées différentes régions du globe, par voie marine, dont l'Australie. On assiste alors à une scène pitoyable. Quelques hommes préhistoriques se juchent sur un radeau fait de vagues morceaux de bambou liés et se laissent aller au gré des courants. Pas de pagaies, rien pour affronter le mer. Alors que des gravures fort anciennes, découvertes sur la pierre en Norvège décrivent des pirogues déjà assez élaborées. Là encore nos préhistoriens sous-estiment leurs lointains ancêtres. Mais en règle générale tout, dans notre passé lointain est systématiquement sous-estimé, sacrifié sur l'autel du gradualisme à tout prix.

Je pense au mal qu'a eu Thor Heyerdal à accréditer sa thèse d'une traversée du pacifique sur des radeaux de balsa, à la voile. A tout moment le préhistoriens prend son ancêtre pour un imbécile, alors que son propre cerveau n'est pas plus équipé que ne l'était celui de son ancêtre, doté comme lui du sens de l'observation, d'imagination, du pouvoir de réfléchir, d'élaborer, joints à une très grand habilité manuelle. Dans le film de Coppens nos naufragés de la préhistoire sont réellement pitoyables. A tout moment se manifeste l'incapacité d'être modeste, de dire "nous savons peu de choses. Les données dont nous disposons sont peu nombreuses. Il est possible que de larges pans de notre préhistoire nous échappent".

Cette image est extraite de l'excellent ouvrage publié chez Hachette, intitulé "Les temps préhistoriques", dans la série "la vie privée des hommes".

 

La vérité est que nous savons très peu de choses de notre préhistoire et que notre planète abonde de restes qui sont pour nous des mystères absolus.

A propos du peuplement de l’Amérique du Nord on se souviendra qu’on a trouvé assez récemment des pierres taillées qui relèvent, si je me souviens bien du Périgourdien (fin de la dernière glaciation). Or on sait que les rituels et les techniques peuvent se perpétuer sur un nombre impressionnant de générations, sur des millénaires, pas nécessairement par manque d’imagination mais parce que la construction d’objets manufacturés, de même que plus tard la métallurgie était peut être intimement liée à une conception du monde, à des rituels magiques (chez les anciens Egyptiens toute manipulation de la pierre revêtait un aspect religieux. La sculpter était "toucher au corps d'Amon"). . Il n’est donc pas impensable que, partiellement du moins, le Nouveau Monde ait pu être peuplé par des hommes qui auraient traversé l’Atlantique. Comment ? Mais à pied, tout simplement, on longeant une banquise qui s’étendait très au sud, comme de braves eskimos qu’ils étaient, pêchant en bordure et ne faisant qu’étendre leur territoire. Entre moins douze mille ans avant JC et moins six mille cette banquise a totalement régressé. Parmi ces hommes, certains sont restés dans ces régions de froidure, d’autres, s’étant adaptés au climat plus doux, seraient descendus vers le sud. Jusqu’à une date très récente personne n’avait tout simplement pensé à cette façon originale de traverser l’Atlantique : à pied.

Il arrive que des hommes parviennent à se trouver à la conjonction de deux disciplines. Je regrette que les excellents films de Jean-Pierre Cuny, concernant le comportement d’espèces vivantes, de papillons, de grenouilles, de vers, d’escargots, ne soient maintenant plus trouvables en cassettes vidéo alors que ce sont de véritables merveilles d’intelligence, d’originalité et d’humour. Je crois qu’on a jamais vu émerger des films qui sont des petits chefs d’œuvre avec une équipe réduite à deux ou trois personnes et une absence quasi-totale de moyens (si n’est d’acheter des séquences de zoologie et d’éthologie à des équipes de chercheurs allemands). Dans toute production, à la clé il y a le talent. Celui-ci est absent du film réalisé par Malaterre et Faugeas et supervisé par Coppens. Là, ce ne sont pas des hommes de talent, qu’il s’agisse d’image, de vulgarisation ou de récit, qui s’expriment, mais des hommes et des femmes d’appareil, qui prétendent êtres les garants de savoirs de manière exclusive, qui détiennent les clefs du pouvoir, donc celles du financement et tiennent surtout à se montrer. Je n’ai strictement rien contre Coppens, avec qui je n’ai jamais été en contact. J’avais même trouvé assez sympathique qu’il ait pris lui-même l’initiative de dénoncer publiquement sa propre théorie de l’apparition de la bipédie. Mais je suis vraiment déçu qu’on ait pu mettre des moyens aussi importants sur un sujet aussi passionnant pour un résultat aussi incohérent et médiocre, de plus scientifiquement très discutable.


26 janvier 2005. Signalé par Frédéric Baudemont, d'intéressantes références bibliographiques :

http://ma.prehistoire.free.fr/bibliosite.htm


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