14 octobre 2012

Le Desert des Tartares

un film de Dino Buzatti

 

http://www.youtube.com/watch?v=qeHhjUJ2w-U&feature=related

J'ai été réellement ravi de pouvoir revoir ce film, grâce à un lecteur, Rodolphe, et je tiens aussitôt à faire profiter mes lecteurs de cette possibilité.

Passons sur la beauté des images, sur l'excellence de la mise en scène, sur la richesse de la distribution : Vittorio Gassman, Jacques Perrin, Philippe Noiret, Laurent Terzieff, Fernando Grey, Trintignant, l'originalité des angles de vue, l'éclairage.

Le film me semble incompréhensible si on le "lit" au premier degré. C'est un film qui se situe dans une forteresse avec des soldats, des armes, des chevaux. Mais il n'y aura nul siège, nul assaut, nul combat. Ce n'est pas fort Alamo. Tout est dans l'attente.

Il y a sur le net force commentaires sur ce film, et ce livre, de Dino Buzatti (qu'il a écrit en 1940) qui en un sens recoupent les miens.

Il s'agit d'un allégorie de nos sociétés. Le lieutenant Drogo (Jacques Perrin ) y prend sa première affectation (qui est, dira-t-il, le fait du hasard. Il n'a pas demandé à y être affecté). Sa première impression est très négative et il songe aussitôt à tenter de se faire muter. Il en parle au commandant en second de la garnison, Mattis ( le beau Giulliano Gemma ) qui, compréhensif, lui propose immédiatement de lui faire délivrer un certificat médical de complaisance par le médecin de la place ( Trintignant ), sous le prétexte "que son coeur supporte mal l'altitude". Mais pour cela il faudra attendre une visite de routine, dans quatre mois.

Contraint d'attendre durant quatre mois, il découvre une vie de garnison réglée comme du papier à musique. Les soldats sont mal habillés. Leur état contraste avec la splendeur des costumes des officiers, qui dînent chaque soir en grand uniforme et gants blancs, au son d'une musique délivrée par un orchestre. La scène où Drogo est présenté aux officiers est impressionnantes. Vaisselle luxueuse, nappe blanche, chandeliers d'argent. Cette forteresse est décidément à l'image de l'inégalité de nos sociétés.

Un personnage "Nathanson", est joué par Fernando Grey (qui n'aura, dans son rôle, que quatre mots à prononcer, quand le général lui demande comme il se porte : "bien, très bien, merci"). Celui-ci souffre d'une atteinte à la colonne vertébrale, qui le contraint à porter un corset de fer. Il se déplace avec difficulté, est contraint de figurer assis aux réunions. Mais, parmi tous les officiers, il est le seul à avoir connu .... un véritable champ de bataille, du temps où il y avait encore des guerres". Muet comme une carpe, il semble de plus atteint d'un mal qui provoque chez lui des crises spectaculaires dont le médecin Rovin (Trintignant) ne peut le délivrer qu'en lui administrant une piqûre, après que Drogo l'ait aidé à maîtriser le pauvre homme.

Tous ces gens occupent différents postes. On trouve au sein des officiers deux castes : des aristocrates et des non aristocrates. Le lieutenant comte Von Ammerling (Laurent Terzieff) est un aristocrate atteint d'un mal qui le ronge et l'affaiblit de jour en jour. Mais il tient à "rester à son poste", pour ne pas avouer et assumer sa faiblesse, reconnaître qu'il est malade.

La discipline est des plus rigoureuses. Elle est réglée par le commandant en second Mattis (Giulanno.Gemma), qui ne se départit jamais de son bâton de commandement, avec lequel il salut ce que ne fera pas son successeur). Le commandant, le comte Fillmore (Vittorio Gassman) lui délègue "cette bonne marche du service" et paraît peu, sinon à l'heure du dîner, impressionnant, splendide dans son uniforme noir. Présider ces repas semble résumer l'essentiel de ses fonctions.

Les consignes doivent être respectées dans leurs moindre détails. Ce "point stratégique", situé à l'extrême nord de l'Empire est comme coupé du reste du monde. Quand Drogo prend son affectation, il embrasse une dernière fois une jeune femme et lui dit "ne m'attend pas".

Le Désert des Tartares est un film sans femmes. Drogo, comme sans doute les autres officiers du fort, est fils d'un militaire. Il part donc pour être digne de la tradition familiale. Il sera accompagné par son jeune frère qui lui dira " quand je serai sorti de l'école militaire, j'espère que je pourrai te rejoindre là-bas". C'est "la forteresse la plus aristocrate de l'Empire".

Cette place militaire est composée de deux bâtiments. Il y a la forteresse elle-même , qui trône au milieu d'une cité en ruine dont on dit qu'elle fut jadis ravagées par des envahisseurs venus du désert du Nord, surnommés "les Tartares".

Qui sont ces " Tartares" ? Une ennemi mystérieux, non identifié. On prétend qu'ils seraient venus, il y a des siècles, du désert tout proche, auraient pris la forteresse et ravagé la ville. Mais, est-ce un fait historique ou une légende ? Nul ne le sait. Mais le capitaine Ortiz (Max Von Sydow) prétend les avoir vus. A l'époque il avait même fait tirer au canon, fait tout à fait exceptionnel. Du coup, il resté en poste 18 années, "pour les attendre ". Et aussi pour prouver aux autres qu'il n'a pas eu la berlue.

A quelques heures de marche se situe un fortin, situé juste sur la frontière. Celui-ci est en permanence occupé par des détachements qui se relaient. Il y a une garde montante et une garde descendante.

Ces Tartares sont là pour donner à cette forteresse sa raison d'être, pour constituer une menace éventuelle, non évaluable, justifier un déploiement de forces, justifier une tension sans cesse présente, qui exclut tout laisser aller, tout relâchement de la discipline. Ils donnent son unité, son identité à la forteresse qui, sans cela, garde un ... désert.

Je vais maintenant insister sur un passage du film, où j'ai discerné une autre allégorie, différente des analyses classiques, qui voient dans ce livre, ou film, le spectacle d'hommes confrontés avec la fuite du temps, luttant contre une mort qu'ils attendent et qui les saisit, l'un après l'autre.

Les Tartares sont aussi le mystère, ce qui est loin, fugitif. On ne peut les imaginer que comme agressifs.

Un jour c'est le tour de Drogo de conduire le détachement qui va prendre place dans le fortin avancé. Quand il est sur place, il aperçoit, de même que le sergent Tronk, et un autre soldat, Lazar, un mystérieux cheval blanc, qui se promène, à quelque distance. Ce ne peut être un cheval venant du fort, puisque là-bas, il n'y a que des chevaux noirs. Il ne sait que faire. Faut-il envoyer des soldats s'emparer de ce cheval non identifié, et pouvoir ainsi mener une enquête, chercher à savoir d'où émane cet animal, sorti de nulle part.

Le sergent lui rappelle que le fort est juste situé sur la frontière et qu'en allant vers ce cheval on se retrouve de facto dans les "territoires de l'Etat du Nord". Ce faisant, on risquerait de provoquer un incident diplomatique "aux conséquences incalculables". Il conseille l'attente. Les heures passent. Drogo est de plus en plus agacé mais doit se résigner à ne pas transgresser la consigne.

Le sergent rappelle un état de fait qui constituera la clé du drame qui suivra. Quand les gardes montantes ou descendantes vont et viennent, seul l'officier qui les commande connaît les mots de passe. Que se passerait-il si l'officier tombait malade ? Ses hommes pourraient-ils se présenter (de plus, de nuit) aux portes de la forteresse ? Non, car ils ignorent le mot de passe et, rappelle le sergent, l'ennemi pourrait très bien avoir fait prisonnier ces hommes, ou les avoir tués et avoir revêtu leurs uniformes.

Finalement ce cheval disparaît. A la tombée de la nuit Drogo ramène le détachement à la forteresse. Il donne le mot de passe. On fait l'appel. Un homme manque, le soldat Lazar.

Drogo rend compte de l'incident au capitaine Ortiz, qui lui dit qu'il aurait dû prendre une imitative, capturer le cheval. Mais il est aussitôt contredit par le commandant en second Mattis, qui ne connaît qu'une vertu, appliquer un règlement sans la moindre dérogation "seule son excellence (le colonel comte commandant la forteresse, alias Vittorio Gassman) aurait pu prendre la responsabilité d'y déroger".

On se rend compte que les êtres humains évoluent, dans des structures hiérarchisées, avec une certains plage d'initiative possible. Au delà d'un certain seuil l'homme décide que " cela n'est plus de son ressort " et invoque un pouvoir que pourrait détenir " une autorité supérieure à la sienne ".

Des heures plus tard un soldat, Lazar, celui qui manquait à l'appel, se présente à la porte avec le cheval blanc dont il tient la longe. Il a simplement quitté le détachement "sans ordre" et a capturé l'animal. Il hèle le soldat de garde.

- Ouvre moi, idiot. C'est moi, Lazar !.

- Quel est le mot de passe ?

- Je ne le connais pas.

- Donnez le mot de passe !

Le soldat, ne sachant que faire, se tourne vers le sergent qui, le visage parcouru de tics nerveux, reste comme un idiot. On se trouve face à un système où personne n'est mentalement équipé pour prendre une quelconque initiative, faire face à l'imprévu. Le sergent ne peut qu'appliquer une consigne, un règlement. Il semble feuilleter mentalement, son manuel, pour y découvrir quelle conduite à tenir dans une telle situation. Aucun officier n'est présent. Le soldat panique et tire. L'homme est tué net, d'une balle entre les deux yeux et le cheval s'enfuit. Finie l'enquête.

Mattis, le commandant en second arrive, constate la mort de l'homme, qu'il qualifie aussitôt de déserteur. En bon professionnel, il admire la précision du tir ("juste entre les deux yeux"). Drogo intervient et signale que celui-ci avait quitté le détachement pour s'emparer du cheval. Mais pour Mattis, ce qui prime c'est la désertion. Il ajoute que comme celui-ci s'est aventuré au delà de la frontière, ceci aurait pu avoir "des conséquences extrêmement graves".

- Vous ne parlez pas sérieusement, répond le Capitaine Ortiz, officier de semaine ?

Mattis donne ses ordres. L'homme sera donc enterré sans honneur, en étant traité comme un déserteur.

Le lendemain, prise d'arme, au moment de la montée des couleurs. Mais la section du soldat tué refuse de présenter les armes. Les soldats restent l'arme au pied, la tête baissée.

Le commandant de la garnison, le comte Fillmore (Vittorio Gassman), est témoin de la scène, par la fenêtre, mais se décoiffe et s'esquive. Mattis, le commandant en second, entre en scène, sur son cheval noir. C'est une rébellion, dit-il. Il fouette sauvagement les soldats en les insultant. Ca n'a pas d'effet. Sur son ordre ceux-ci resteront debout, sans boire et sans manger, jusqu'à ce qu'ils cèdent. Et ils céderont.

Mattis fait son rapport au commandant Fillmore, demandant que ces soldats soient sévèrement punis. Fillmore, l'air absent, las, signe l'ordre, en soufflant sur la feuille, pour sécher l'encre.

Je ne vais pas détailler toutes les facettes de ce film, mais me concentrer sur cet aspect, non noté par ses commentateurs.

Pendant une prise d'armes en l'honneur de la venue du Général (Philippe Noiret), le Capitaine Ortiz (Max von Sydow), les yeux brillants, évoque devant les lieutenants Drogo et Siméon sa vision de Tartares, il y a 18 ans. "Ils ont des lances et des boucliers". Et il conclut :

- Voilà pourquoi je suis resté ici : pour les attendre.

Le soir, dîner avec le général. Drogo tient à la main le certificat médical, avec lequel il peut demander sa mutation. Mais Siméon et Ortiz le fusillent du regard. Le thème de " l'attente des Tartares " s'empare déjà de ces trois-là.

Le médecin, le major Rovin (Trintignant), à Drogo :

- Voulez-vous que je remette votre certificat au général ?

- Non .. merci.

- Bon, alors ne restez pas là, planté. Allons dîner.

Le lendemain, au cours d'une partie de chasse, Drogo et Mattis aperçoivent une cohorte d'hommes, sur une crête, portant des drapeaux à leur tête. Il rendent compte à "son excellence", le colonel (Vittorio Gassman). Peu de temps après arrive un pli de l'Etat-Major qui apporte "l'explication officielle" vis à vis de ces "détachement mal identifiés", qui "émaneraient de l'état du Nord". Il n'y a donc pas de menace. Le colonel répercute l'ordre de l'état major : On effectuera une reconnaissance des alentours pour marquer la frontière. Une opération de géodésie en quelque sorte. Ainsi, l'état-Major ne sera pas resté sans réaction face à l'observation d'une "cohorte non-identifiée"

Je passe sur l'incident qui entraînera la mort du lieutenant Von Ammerling et par voie de conséquence la mutation du commandant Mattis, responsable de son décès.

Drogo, suite à cela, décide d'aller voir le général. Cette fois, sa décision est prise. Il va demander sa mutation. En ramenant le corps d'Ammerling, il compte se rendre à son état major. Et c'est là que se situe une scène dont le réalisateur Alain Scorneau s'est fortement inspiré dans son (mauvais) film "Fort Saganne".

Je me suis ennuyé en revoyant ce film, paraît-il, le plus cher des films français (tourné en Maurétanie). Très bons acteurs: Depardieu, Noiret, Catherine Deneuve, distribution à peine entachée par l'inconsistante Sophie Marceau. Un film qui n'en finit plus de traîner. Si c'était pour créer un Lawrence d'Arabie à la française, c'est raté.

Noiret refuse la demande de mutation de Drogo et " le secoue ", exactement comme il le fera dans fort Sagane (1984) avec Depardieu, venu présenter sa démission de l'armée. Même jeu de scène.

- A votre âge, être un peu secoué, ça n'est pas un mal, hein ?

Au passage le général révèle à Drogo le point faible de la forteresse :

- Il y a trop de monde. En haut lieu, des compressions d'effectif ont été décidées.

Celle-ci commence alors à se vider. Les hommes vieillissent. Le temps, qui dévore ces hommes, s'accélère. A son retour Drogo découvre que le colonel lui-même est un des premiers touchés. Il est muté, fait ses bagages.

- On a du considérer que j'avais fait mon temps, que j'étais ... trop vieux.

Thème récurrent du film.

Ortiz passe commandant et prend le commandement de la forteresse. C'est là que le thème des Tartares va revenir au centre du film. Drogo trouve Siméon en train de scruter les montagnes avec de puissantes jumelles, non réglementaires. Il a aperçu des lumières, dans le lointain. Drogo les observe à son tour. Siméon :

- Des nomades ? Non, il bougeraient. Ceux-ci n'ont pas bougé depuis 3 semaines.

Drogo dit qu'i faut aussitôt informer Ortiz.

- Non, répond Siméon. Si un jour il se passe quelque chose à Bastiano, autant être peu nombreux.

Drogo :

- C'est une piste qu'ils tracent, pour amener leur matériel plus vite, pour attaquer Bastiano.

Siméon trouve l'explication excellente.

Ils décident donc de garder le secret. Drogo est, à son tour, atteint de la "maladie de Bastiano", et alité.

Tous ont une bonne raison de rester dans la forteresse. Le major Rovin étudie ce qui lui semble être la cause de cette étrange maladie "que les meilleurs spécialistes de la ville n'ont pas pu découvrir". Il pense que "cette saloperie est dans les murs" et fait des prélèvements. Sa raison de rester sur place, ce sont .. ses recherches, qui absorbent toute son attention.

Drogo et Simeon discutent de l'évolution de la situation, de ces observations qu'ils ont faites. Ces lumières évoluent peu."Cela peut prendre des années", dit Siméon.

- Ils le font exprès, dit Drogo. C'est pour qu'on ne remarque pas leur progression !

- Ils continuent de tracer droit vers Bastiano, commente Siméon. Je ne peux pas me tromper. J'ai pris des points de repère.

- Eh oui. C'est pour cela qu'Ortiz ne les remarque même pas.

Cette piste se ... fond dans le paysage. Une approche très astucieuse.

Ortiz surprend Drogo en train d'observer avec des jumelles.

- Quel est ce secret que vous semblez vouloir conserver, Siméon et vous ?

- Regardez vous-même, dans cette direction.

- Et que suis-je censé voir ?

- Là-bas, ces petites lumières !

- Je ne vois rien du tout, je vous assure, rien du tout. Je ne tiens pas du tout à ce que cette rumeur se répande. Elle tient sûrement à une illusion d'optique. Dans le passé ce genre d'inconséquence a déjà nui à la réputation de Bastiano. D'ailleurs je vais donner l'ordre de confisquer les jumelles non réglementaires. Au fait, je viens de recevoir votre nomination au grade de capitaine. Félicitations.

Ceci est une scène-clé du film, pour moi du moins. Ortiz, au départ, a été le premier et le seul à observer ces "Tartares", il y a 18 ans. Lors de la prise d'armes, il a quand même tenu à partager ce secret avec Drogo et Siméon, qui se retrouvent du même coup pris dans ce jeu de l'attente de leur venue.

Puis, quelque chose change. Ortiz, après le limogeage de Mattis, muté, est devenu le commandant de la place, promotion à la clé. Le capitaine Ortiz est devenu le commandant Ortiz. On peut imaginer que ceci a été l'objet d'une tractation, d'un accord secret, qu'Ortiz ne révéleraà Drogo qu'en quittant la forteresse, quand il est envoyé purement et simplement à la retraite. Ce qu'il dit alors à Drogo, il l'a probablement entendu lui-même, au moment de sa nomination. On peut imaginer la scène, avec un supérieur. Peut être le général (Noiret).

- Vous comprenez, Ortiz, la révélation de ces observations que vous avez faites, que nous ne nions pas, pourrait avoir des conséquences importantes dont je n'ai pas à décrire les aspects et l'ampleur. Mais de ce fait, je vous demande de faire en sorte de mettre tout en oeuvre pour que ces rumeurs ne se propagent pas. Vous m'avez bien compris ?

- Oui, mon général.

- Ah, voici votre nomination au grade de commandant. Vous commanderez désormais Bastiano, et je sais que vous saurez être à la hauteur de cette importante tâche. Je compte sur vous.

- Oui, mon général.

La consigne de secret, la désinformation sont ainsi maintenues, rétribution à la clé. Par la suite il sera nommé colonel.

Ortiz, étant devenu commandant de la forteresse, a désormais une position à défendre ... la sienne. Il finira sa carrière comme colonel, avant de se ... suicider, incapable de se réadapter à une vie civile. Il confiera par la suite qu'il avait reçu des ordres "venus d'en haut", sans fournir d'autre explication.

Les précieuses jumelles sont confisquées. Drogo, à Siméon :

- Mais, sans elles, on ne pourra plus rien voir !

- Voir quoi ? Et tu ne verras pas aussi loin, c'est tout ...

Le "voir quoi ? " de Simeon rejoint le " que suis-je censé voir ? " d'Ortiz.

On devine qu'Ortiz a acheté le silence de Siméon, son apparent désintérêt pour "les Tartares" en échange de la promesse que ce sera lui qui, à son départ, commandera la forteresse.

Ortiz annonce à Drogo qu'il a décidé d'abandonner la redoute, point avancé vers le désert, par manque d'effectifs.

Drogo :

- Depuis quelques temps il se passe des choses que je ne comprends pas. Cet ordre ne peut venir de vous.

On sent que Drogo a visé juste. Ortiz accuse le coup et, pris d'un scrpule, lui concède la possibilité de se rendre à la redoute tous les dix jours, avec une garde d'inspection.

C'est au tour du Colonel Ortiz de quitter Bastiano. Lui parti, il ne restera plus que les deux capitaines, Siméon et Drogo. C'est Siméon qui sera le commandant et Drogo le colonel en second. Ortiz, qui n'est plus qu'un simple civil, demande à Drogo l'autorisation de ... pénétrer dans le mess.

- Où êtes vous nommé, mon colonel ?

- Nulle part. J'ai reçu l'ordre de partir. Obéir est la seule chose que j'aie jamais su faire dans ma vie.

Drogo accompagne le Colonel dans un bout de piste.

- Elle est presque visible à l'oeil nu, maintenant.

- De quoi parlez-vous, mon colonel !?

- Mais de la piste. Maintenant on la voit avec de simple jumelles d'ordonance.

- Comment ! Vous étiez au courant, mon colonel ?

- Depuis le début.

- Mais alors, les jumelles confisquées, l'abandon de la redoute !?

- Je n'ai fait qu'obéir à des consignes, venues de très haut, vous comprenez.

Il hoche la tête.

- Toutes ces années à attendre... sans même savoir quoi.

C'est là qu'il manque un élément de dialogue, sans doute présent dans une autre version du film. Mais je m'en souviens parfaitement. Habillé en simple civil, Ortiz serre la main de Drogo, qui lui demande ce qu'il va faire, désormais. L'autre répond qu'il a des projets. En fait il n'en a aucun. Il fait quelques pas, à pied, dans une lande désolé et se tire une balle dans la tête.

Je ne vais pas décrire et commenter la fin du film, qui se situe alors plus dans le droit fil des commentaires présents sur le net. J'ai simplement voulu relever cette allégorie du comportement des hommes vis à vis de l'inconnu, potentiellement déstabilisateur. Les consignes de secret, allant jusqu'au mensonge, jusqu'à la désinformation, sont transmises de ... générations en générations. Les faits sont occultés, niés, travestis, par des hommes, qui emmènent souvent ces secrets dans la tombe, comme des bouquets que l'on poserait sur leur ventre avant de jeter de la terre sur leurs corps. Des secrets vis à vis de faits dont ils ignorent, et ignoreront l'essence. Ils ne savent et ne sauront jamais ce que recouvre ce qu'ils dissimulent.

On peut aussi voir dans ce film un autre thème : les hommes passent tous leur vie à attendre quelque chose. La gloire, qui ne vient pas. La fortune, qui se livre jamais assez. D'autres attendront "la femme de leur vie" ou "l'homme de leur" vie", qui ne viendra jamais non plus. Le chercheur attendra "la découverte de sa vie" (le capitaine Rovin). Celui qui l'a déjà en main, attendra une reconnaissance, qui en général ne viendra pas de son vivent. Les étapes de ces existences sont ponctuées par "des ordres qui viennent d'en haut". C'est en se montrant obéissant, en respectant le règlement qu'on peut progresser. Face à tout événement insolite, la consigne est aussitôt le silence. Pour ne pas créer de désordre, de panique. Ou par simple réflexe. On progresse jusqu'au grade ultime, jusqu'à la mutation vers une voie de garage (Le comte Fillmore, alias Vittorio Gassman).

En effet la "mutation-mort" n'épargne personne. Même les plus hauts gradés n'y échappe pas. Le gratin n'y échappe pas. A Bastiano, le magnifique officier qui commande la garnison, alias Vittorio Gassman, si à l'aise en bout de table, est le premier frappé. Drogo découvre celui qui siégeait en bout de table, splendide dans son magnifique uniforme en train de faire ses bagages, marmottant " Voici mon capharnaüm. On accumule, on accumule, et ...".

 

Je vous conseille vivement de visionner cet excellent film, sous-titré en ... moldo-valaque, je suppose.

 


 

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