L'amant de Mamy Wata

25 janvier 2013

Livre de Frank Polidano

Décédé brutalement le 25 mars 2013 d'une infection pulmonaire foudroyante

 

Il s'git d'une auto-édition. On peut se procurer cet ouvrage en envoyant un chèque de 25 euros au nom de son beau-frère, Henri Goudard, Lotissement Les Chênes, 64 rue des Eoliennes, 05230 la Bâtie Neuve.

Le port est compris.

Il est peu fréquent que je fasse une note de lecture sur un ouvrage. Il faut vraiment que j'accroche, et dans tous les cas de figure, je ne le ferai jamais par copinage, pour " rendre service ".

Un ami m'avait envoyé le livre de Frank Polidano, et je lui avais aussitôt répondu

- Je te dis tout de suite qu'il n'est pas sûr que je fasse une note sur cet ouvrage.

Mais là, j'ai accroché, je l'avoue. Le livre est bien écrit. Les chapitres sont inégaux, non à cause d'une fluctuation de la qualité littéraire, qui est bonne, par parce que parfois le sujet s'y prête mal. Il est plus facile de conter une anecdote mettant en scène des personnes, que de décrire un paysage, une descente de rivière ou un vol en avion léger.

Ne vous attachez pas à la mauvaise qualité des illustrations. Les photographies, dans cette auto-éditions, sont en général assez mal reproduites. Le scan ci-après vous le montrera. La photo montre l'auteur, tenant en main un cobra royal de plusieurs mètres de long, une des deux espèces les plus dangereuses au monde ( l'autre étant le Mamba noir africain, les deux, mortels, pouvant dépasser 5 mètres ). Ceci n'est qu'une partie de la vie de cette homme touche-à-tout qui, quand il termina sa carrière d'ingénieur EDF, chargé de la prospection et de la construction de barrages hydro-électriques en Afrique Centrale, monta une ferme pour reptiles, au Vietnàm, dans laquelle il prélevait le venin de ses pensionnaires, très prisé dans l'industrie pharmaceutique (par exemple intervenant dans la conception d'anti-coagulants). L'exportation se fait alors sous forme lyophilisée, d'où l'intitulé de son adresse e-mail

 

Frank Polidano, tenant dans sa main un cobra royal de bonne taille, mortel.

 

Frank n'a pas d'enfants. Il a écrit ce livre pour laisser un souvenir à ses amis et neveux. Beaucoup de noms sont cités, de personnes qui prendront donc plaisir à se reconnaître cet ouvrage-journal-de-bord. Ce n'est évidemment pas ce qui intéressera le lecteur moyen qui tomberait sur ce livre.

Au delà de cette surcharge littéraire, que peut-on retirer de cette lecture ? Le témoignage d'un Français qui a passé une grande partie de sa vie en Afrique et beaucoup bourlingué, de ville en ville, de chantier en chantier, de femme en femme. Comme il me disait au téléphone, tout à l'heure :

- L'Afrique, on ne s'en remet pas.

Qu'est-ce que nous en connaissons, nous, Européens ? Rien. L'Afrique est une jungle humaine, une fourmilière. Elle a ses hauts lieux, ses pistes, ses zones de clarté et de soleil et ses zones d'ombre. Nous, pays "de Haute Culture", avons les nôtres. Simplement, chez nous, c'est mieux caché, plus insidieux. Au lieu de délivrer des drogues et des poisons, individu par individu, nous le faisons en intoxiquant des masses humaines, avec nos "merdias". Et quand quelque chose de dérangeant émerge, ceux-ci font en sorte que tout cela s'étouffe au plus vite. Je me rappelle le "suicide" d'un fonctionnaire Français, qui s'était tiré ... deux balles dans la tête. Et un journaliste de nous expliquer que, parfois, une balle peut se coincer dans le canon, qui se trouve expulsée par la seconde !!

Pensez au 11 septembre, une affaire si bien étouffée qu'on a l'impression que cela ne vaut même plus la peine d'en parler, tant le public a admis qu'on lui visse sur la tête un casque à écouteurs, muni de solides oeillères.

Pensez aux récents discours d'Osamu Motojima et de Geneviève Fioraso, notre nouveau ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

- Nous serions fous de manquer ITER. Nous allons partir à la conquête du soleil !

( Trop fort ! Là, je baisse les bras ....)

De toute façon, ce qui se passe en Afrique, nous l'avons vécu dans notre passé. Combien de rois, de notables, d'héritiers sont morts après avoir enfilé une simple paire de gants, victimes de poisons à action transcutanée ?

Il y a quelques années un ancien de la DGSE, rencontré à Dubaï, et qui ne valait pas la corde pour le pendre, me parlait de l'évocation de l'assassinat d'un chef d'état africain, trop peu coopératif au goût d'Occidentaux et de Grandes Compagnies. On avait badigeonné une drogue agissant par voie transcutanée, sur les manches des pilotes de son avion. Peu après le décollage, ceux-ci, pris de malaises, avaient perdu le contrôle de l'appareil, qui s'était écrasé. Il avait suffi qu'un agent, se présentant comme journaliste, visite ensuite l'épave pour faire disparaître toute trace du poison avec un simple chiffon.

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Folie que tout cela ? Elle est partout, dans tous les pays. Chez nous, on empoisonne à grande échelle, avec des OGM, avec des déchets radioactifs qu'on entend stocker sous terre, après avoir mis des résidus d'extraction sous le bitume d'aire où viennent jouer des enfants. Voyez la France Contaminée.

Simplement, en Afrique, tout cela se fait au grand jour, de la manière la plus naturelle du monde. On peut dire " que cela fait partie de la culture ". En Afrique, l'usage des poisons fait aussi office de moyens de pression, comme en Italie, la Maffia. Dans le livre de Polidano, vous lirez l'histoire d'un blanc, marié, qui avait une gentille amante, en Afrique. Soudain celle-ci tombe enceinte. Nous seulement l'homme refuse de l'épouser, ne serait-ce que parce qu'il est déjà marié, ce qu'il avait caché à sa compagne, mais refuse de verser un peu d'argent à la famille, en compensation du "cadeau" qu'il laissera en rentrant en France.

Alors, que font les parents de la jeune fille, en désespoir de cause ? Ils vont voir le sorcier du coin, qui fournit une drogue qu'on administre au bonhomme, le transformant en légume, au point qu'il doit être rappatrié. Frank, apprenant la nouvelle, s'en mêle. La jeune fille avoue. On rappatrie le coupable et, contre paiement de la compensation demandée, à laquelle s'ajoutent les "honoraires du sorcier", ce dernier fournit le contre-poison qui remet rapidement notre bonhomme sur pied, et qui regagne la France, plus mort que vif.

Lire à ce sujet les épisodes 3 et 4 de l'excellente série de BD de Bourgeon "Les Passagers du Vent"

En l'occurrence "Le Comptoir de Juda" et "l'Heure du Serpent".

En vérité, en matière de pharmacopée, les Occidentaux sont des gamins, avec leurs grands laboratoires pharmaceutiques, au regard des Africains. Nous, nous avons des anti-dépresseurs, dont on peut devenir dépendant.

- Attention, vous diront les médecins, si vous arrêtez brusquement, boum !

Il est logique qu'il existe des dépresseurs, des drogues psychotropes qui rendent abouliques (sans volonté), qui permettent à l'entourage de faire signer n'importe quoi, une reconnaissance d'une dette fictive, un acte de cession de biens. Ce drogues, anxiogènes, peuvent même aller jusqu'à pousser des êtres fragiles à mettre fin à leurs jours. Le crime parfait, perpétré par des êtres dont personne ne soupçonnerait la monstruosité, et qui finiront leur jours dans la plus parfaite impunité, jouissant de l'estime de leur entourage. Pour donner le change, ces coupables auront vite fait de se présenter aux yeux de tous comme des victimes.

En Occident, quand on veut obtenir la signature d'un contrat, on invite la partie concernée dans un bon restaurant, et on force un peu sur la bouteille. En Afrique, un homme de l'art, invité au repas, versera une poudre dans le verre de celui dont on veut abaisser la garde, quand il va aux toilettes, ou se trouve opportunément appelé au téléphone par un complice. Polidano raconte ce dont il a été victime, dans une affaire de ce style, pris dans une machination dont l'étendue et l'organisation défient l'imagination. Un véritable scénario de film (comme les différentes "chapitres" de sa vie, du reste) .

Au téléphone, il me disait tout à l'heure :

- J'ai toujours fait très attention à ce que je mangeais, et buvais.

Il suffit d'une fois.

J'ai assez traîné mes guêtres en Afrique et été témoin de chose pour dire que ce que vous conte Frank Polidano est plausible, même si cela vous laissera plus d'une fois pantois. Nombreux sont ceux qui vous confirmeront des faits semblables. Un ami réalisateur de télévision, qui passa de nombreuses années en Afrique, et qui m'avait recommandé la lecture du livre, me disait :

- Quand Léon M'ba est mort, il a fallu faire garder sa tombe, pour éviter que des gens ne viennent le déterrer, pour dévorer son coeur ou quelque organe prélevé sur son cadavre.

Des histoires comme celle-là, vous en trouverez à la pelle dans le livre de Polidano. Des histoires de consommation de chair humaine à vous faire dresser les cheveux sur la tête. D'après son beau-frère, cela n'a jamais cessé, et cela dure encore. Quand un nouveau chef d'état se débarasse de son prédécesseur, il est classique qu'il conserve sa dépouille au congélateur, ainsi que celles de ses ministres, pour ne pas manquer d'acquérir ainsi, ainsi ingérées, leurs compétences.

Polidano ne manque pas d'humour, au fil des pages. Ainsi un occidental, dénoncé par son cuisinier africain, se voit incarcéré et accusé de se nourrir " de poudre de noir ", un produit obtenu à partir de corps humains de gens de couleur. On a ainsi chez lui trouvé une boite emplie d'une telle poudre, dont l'étiquette ne laisse nul doute quant à la provenance du produit.

C'était une boite de ... Banania !

 

Le blanc restera incarcéré une semaine, jusqu'à ce que Polidano, effaré, découvre son jeune collaborateur, emprisonné, attendant son jugement !

Tout peut arriver, dans ce pays, toutes les croyances subsistent, dès qu'on gagne quelque endroit reculé. Quand je menais des safaris, en Afrique de l'Est, je couchais dans une petite tente " Igoo ", à base carrée, non fixée au sol. Tous ceux qui ont utilisé ce genre d'habitat connaissent sa légèreté. Un jour, entouré de guerriers Massaï, j'ai voulu vider ma tente de fragments de pain ou de poussière qui étaient à l'intérieur. J'ai alors ce que font tous les campeurs : j'ai pris ma tente à deux mains, je l'ai soulevée et je l'ai secouée en dirigeant l'ouverture vers le sol, pour la vider de son contenu. Les Massaï se sont aussitôt enfuis, terrifiés "par la force herculéenne d'un homme qui était capable de soulever la case où il avait dormi .."

Polidano, au téléphone :

- Je n'ai pas pu tout raconter.

Je le crois sans peine. Disons qu'il s'est contenté d'évoluer dans la fourchette du crédible, pour l'Occidental moyen.

De temps en temps cette Afrique-là s'exporte en France. Là, c'est le fils d'amis belges qui se trouve complètement sous la coupe d'une épouse africaine, qui le dépouille méthodiquement. Comment ? Avec une première drogue, elle rend l'homme impuissant. Le "contre-poison" étant une crème vaginale, grâce à laquelle l'érection revient.

Astucieux, comme dirait Desproges.

Ailleurs c'est un ami qui échappe de justesse à la mort, empoisonné par sa propre fille avec "des herbes", amenée du Gabon par sa tante, qui y vit, et qui lui otent totalement le sommeil, pendant des mois. Des insomnies totalement insensibles aux somnifères les plus puissants. Averti, il en réchappe de justesse.

Nous avons des somnifères. Mais "des drogues qui empêchent de dormir", pourquoi pas ?

Un autre manquera de passer de vie à trépas, sa progéniture ayant disposé dans son jardin des ... ammanites phalloïdes décongelées, en plein hiver (quel médecin, en une pareille saison, aurait songé à une intoxication par ces champignon vénéneux, potentiellement mortelle, qu'on peut contracter simplement en touchant les spores de la plante ? ). Du Hitchcock.

Un autre, dans le Sud-Ouest, revient de son service militaire, effectué en Afrique dans la "coopération", lui aussi, flanqué d'une épouse, Hortense, dont on ne pouvait dire que la qualité première ait été son sex appeal. Même scénario. Ce jeune ingénieur, rendu aboulique, comme tant d'autres, par des drogues, est méthodiquement plumé par son épouse, et sa belle-famille. Je me rappelle être intervenu, énergiquement, après que ce garçon ait tenté de se pendre. Sa mère et moi l'avons sorti in extremis de ce piège mortel.

Après que cette femme ait quitté la maison, le frère de celle-ci, qui y résidait également, a dit à la mère du garçon, laquelle découvrait une boite emplie d'herbes séchées dans sa cuisine :

- Vous pouvez les jeter, maintenant. Ma soeur n'en aura plus besoin.

On trouve cela partout dans le monde. Le journaliste Jacques Pradel mena jadis une enquête, fort risquée, en Haïti, pour tenter de percer le secret du phénomène des zombies. Il raconta cela dans un livre, dont j'ai oublié le nom. Jacques rencontre un homme qui a pu par miracle échapper à cette forme originale d'esclavage, avec "camisole chimique". Voici le schéma :

On empoisonne la future victimes avec l'extrait d'une glande que possède un poisson, qui est l'équivalent, aux Caraïbes, du terrible "Fugu" japonais. Convenablement dosée, la drogue ne tue pas, mais place l'individu en état de mort apparente. Les battements du coeur deviennent imperceptibles, de même que la respiration. La température chute. Sous ces latitudes on vous enterre vite, à cause de la chaleur. L'empoisonneur, le médecin, le croque-mort, tous sont complices. On déterre le bonhomme dans les vingt quatre heures. Pendant ce temps, avec un rythme de vie ainsi ralenti, l'air contenu dans son cercueil lui aura permis à la victime de survivre.

Alors on le "traite" et on le revend, comme on vendrait une tondeuse ou une charrue, ou ... un âne. L'acheteur a une ferme et peut ainsi acheter plusieurs zombies, selon ses besoins, qui travailleront docilement pour lui, leur volonté étant annihilée par une drogue aboulisante, délivrée régulièrement.

Mais attention ! Comme le rapporte Pradel, le sel supprime immédiatement l'effet de celle-ci.

Un jour le fermier meurt, sans avoir confié à son épouse la marche à suivre pour entretenir la docilité de son personnel. Celle-ci, ne sachant que faire, va en ville avec un des zombies et lui achète achète... des cacahuètes très salées. L'homme sort alors brusquement de sa torpeur, réalise aussitôt son état, et s'enfuit. Il montrera à Jacques, sur son front, la trace d'un clou un peu long, enfoncé dans le couvercle du cercueil par le croque-mort.

Ne serait-ce qu'à cause des anecdotes rapportés par Frank Polidano, vous ne regretterez pas vos 25 euros. Mais l'homme a d'autres facettes. Vous saurez tous sur les reptiles, qu'il manie en caressant leurs... zones érogènes. Une terrible vipère du Gabon l'accompagne dans ses déplacements, comme le ferait un animal de compagnie. Les serpents sont peu actifs. Convenablement nourris, bien gras, ils ne cherchent de noises à personne, nous dit-il. Sauf si on les dérange. En Safari, dans des régions à risque, il suffisait de frapper le sol avec un bâton pour les faire fuir, de porter des bottes et de bien regarder où on mettait les pieds, de s'abstenir de grimper dans le premier arbre venu.

Quand il est importuné pour la nième fois par quelque fonctionnaire de police, qui lui réclame son salaire, il arrive à l'auteur, agacé, de brandir sa vipère du Gabon, jouant le rôle de sésame. Vis à vis des sorciers, un homme qui vit ainsi en bonne intelligence avec tant d'engeances venimeuses et mortelles est peut être un "collègue" dont il convient de se méfier.

Le livre de Polidano est avant tout un témoignage, sans fards, parfois cru, sur la vie d'Occidentaux en Afrique. Tout y passe. La sexualité débridée, la description d'une misère atroce, de maladies redoutables, de la corruption instaurée dans tout le continent, à tous les étages par l'oeuvre colonisatrice. On y décrit la morale clanique africaine, dont l'horizon ne s'étend pas au delà de la frontière du village, de la tribu. Pour moi, une phrase émerge :

- L'Afrique ? Un continent où il ne fait pas bon naître.

Pour finir, une explication sur ce titre étrange. Mamy Wata est le nom générique des divinités des rivières, fleuves ou simples marigots. Or Polidano travaille à l'exploitation de ressources hydrologiques des pays africains. Donc, automatiquement, il sera confronté à cette déesse, et son rôle est de ... l'apprivoiser, d'en devenir l'amant, pensent les autochtones. Quelque fois facilement, d'autres fois en manquant d'y laisser sa peau, comme dans les terrible chutes d'Inga, où périt l'animateur de Dieuleveut. .

Quand j'étais guide de Safaris, au Kenya-Tanzanie, avant mon accident de travail de 1976, je faisais les portraits des Massaï, avec une simple feuille de papier et un crayon. Dans ces contrée, où il n'existait au départ, et en tout cas à cette époque, aucune représentation anthropomorphe, ou zoomorphe (si on excepte les statuettes de rhinocéros, d'éléphants ou de girafes, vendue aujourd'hui aux touristes, importée d'extrême Orient), un homme qui utilise un bâton magique, qui lui permet de créer quelque chose qui ressemble à une personne est donc automatiquement un grand sorcier.

Quand j'avais terminé un portait, c'était la stupéfaction dans l'assistance. Les regards se portaient alternativement vers le dessin et vers la personne. Puis tous examinaient le crayon, s'efforçant d'en découvrir le secret de cette baguette magique.

Un jour j'écrirai un livre, en contant maintes aventures. Comment les girafes sont attirées et charmées par la guitare, alors que le moindre accord terrifie les buffles. Mais tout ceci, comme dirait Kipling, est une autre histoire.

 


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