Du Fanatisme

...On s'interrogera plus loin sur les causes d'une telle situation, qui présente un caractère planétaire. Comme le rappelait un responsable français, ce sont des dignitaires religieux qui décident des "fatwah", des actes de guerre sainte. Ils se croient directement inspirés par Dieu. On se retrouve donc face à des gens qui fonctionnent comme dans les temps bibliques, ou dans l'ancienne Babylone, ou en Assyrie. Dans ces pays, à des époques où ont eu lieu des actes de cruauté qui ont toujours stupéfié les historiens, il faut se rappeler que les décisions de guerre n'étaient nullement prises par des "politiques" mais "directement inspirées par des dieux", ou un dieu. Le roi ou le chef de guerre qui engageait les opérations ne se sentait nullement responsable, dans la mesure où, par exemple "cette décision lui avait été suggérée lors d'un songe". Il existe aussi des prises de décision qui, historiquement, étaient fondées sur des tirages au sort :

- Que dois-je faire ? Négocier ou partir en guerre contre mon voisin ?

...La vulnérabilité de l'adversaire est perçue comme un effet de la volonté divine : "Si notre adversaire est vulnérable, voire totalement désarmé, c'est que notre dieu l'a placé entre nos mains". Si on ne rentre pas dans cette "logique religieuse" qui nous propulse des milliers d'années en arrière, rien n'est compréhensible avec nos critères d'occidentaux.
...Il y a alors une chaîne décisionnelle et d'action. Des responsables religieux sont profondément convaincus d'accomplir les volontés de leur dieu. Ceux qui leur sont soumis sont aussi persuadés d'être les relais d'une volonté divine, que leurs leaders leur transmettent. Il y a des "sacrificateurs" et les "sacrifiés". Dans un dossier TV récent on interrogeait, dans sa cellule, un fabriquant de gilets explosifs destinés à équiper des kamikazes palestiniens. On lui demandait pourquoi il n'irait pas lui-même se sacrifier. Sa réponse :

- Chacun son travail. Le mien est de concevoir et de fabriquer des gilets explosifs, celui des kamikazes de les mettre en oeuvre.

Il aurait pu ajouter :

- Nos Ayatollah n'ont pas à se sacrifier. Chacun est à la place qui lui a été assignée par Dieu. Les kamikazes sont en fait ceux qui, dans notre paradis, seront les plus récompensés. Moi-même, si un jour je recevais l'ordre de me transformer en kamikaze, cela ne me poserait aucun problème. Fabriquant de gilets explosifs, kamikaze : tout cela c'est la même chose. Quant à nos Ayatollah, ils sont aussi à leur place. Il faut bien un téléphone portable pour recevoir la voix de Dieu. Eux, c'est leur job.

...Le profil psychologique du "bras armé" de cette action est particulièrement important à comprendre. On peut s'étonner du "niveau de culture et d'études" de nombreux commandos-suicide. Ce serait une très grave erreur de croire que ces commandos ne se recrutent que dans des milieux défavorisés, chez des desperados, des gens sans avenir. Parmi les membres des commandos récents (et à venir) se trouvent des gens qui, de par les études qu'ils ont faites, ou leur situation familiale, auraient pu occuper des places confortables dans leur société, ou un pays étranger au leur. On achope alors avec le problème général du fanatisme, qui échappe à toute logique. Sa clef est le conditionnement, qui agit, on l'a vu, dès l'enfance. C'est le même conditionnement qui a pu produire les nazis, les gardes rouges, et maintenant les intégristes. A la base il faut évidemment un mal-être, une interrogation générale de l'individu sur le sens de sa vie, de la vie. Ce mal-être peut être objectif (misère, absence totale de perspective d'avenir) ou subjectif. Il peut être aussi induit, suscité. La réaction est alors d'abandonner toute autonomie psychologique et décisionnelle à un leader, quel qu'il soit. Ce peut être un Ayatollah, ou un Gourou, ou un homme politique, un "Fuhrer", un prêtre fanatique (comme ce fut le cas pendant les guerres de religion du passé, ou .. les croisades). Un contrat psychologique est alors passé entre le leader et ses disciples. Les disciples fabriquent et renforcent leur leader, qui à la limite, s'il n'agit pas intérêt et cynisme, et se sent "responsable de ses ouailles". Le leader modèle les pensées de ses disciples. A la base il faut une idéologie religieuse ou (et) politique, souvent condensée dans un texte, un livre constituant "la pensée fondamentale". .Comment des millions d'hommes, qui avaient parfois reçu des éducations sophistiquées, ont-ils pu donner leur vie sur la base de textes, bruts ou réinterprétés, aussi simplistes ? La réponse est que le texte n'a pas d'importance. L'important, c'est l'efficacité du lavage de cerveau, quel qu'il soit. Aucune personne au monde, y compris vous, moi, n'est à l'abri d'un tel phénomène. Le "mental" humain peut en effet être comparé à la passerelle d'un navire. Une "personnalité" (notre moi conscient) reçoit des informations par ses organes sensoriels. Il assiste à des scènes, lit des textes, entend des paroles prononcées, directement ou par l'intermédiaire de medias quelconque. Il dispose d'une certaine autonomie psycholologique, décisionnelle, qui dépend de son niveau d'éducation, du conditionnement dont il a été l'objet depuis son enfance. Cette autonomie est toute relative car les décisions sont prises par rapport à des référentiels moraux qui dépendent des cultures : respect ou non-respect de l'autre, de soi-même, sens du sacrifice, du "don de soi", "courage", "lacheté", soumission, dominance, individualisme ou impossibilité d'exister en dehors d'un groupe social, perception subjective de son intérêt, ou des intérêts claniques ou ethniques, "niveau d'humanisme ou d'universalisme", opposé au racisme ou au sectarisme, "horizon ethnique", où commence "l'autre", "l'ennemi", vision du devenir post-mortem, motivante (réincarnation, "réponse du sacrifié dans un paradis"", espoir d'une vie meilleure dans un au-delà, voire simple nihilisme masochiste, souhait de s'annihiler pour échapper définitivement à ses problèmes personnels). La palette des référents psycho-sociologiques est très vaste. Toujours est-il que n'émerge de cet ensemble qu'un pourcentage relativement faible de "libre-choix", le reste étant affaire de conditionnements. Jadis, les messages religieux étaient le véhicule majeur de ceux-ci, complétés par des discours spécifiques tribaux ou ethniques. Aujourd'hui les medias, véhicules de violence et de sadisme, portent une responsabilité énorme. Rambo, entre autre, s'est retourné contre ses auteurs. beaucoup de télespectateur ont trouvé que l'explosion du trade center ressemblait à "Independence Day". Effectivement, on aurait dit des effets speciaux.
... Personne ne s'étonne qu'un individu, où qu'il soit sur cette planète, puisse assiter, de manière ritualisée, à dix meurtres par jour, simplement en allumant sa télévision. Personne ne s'étonne que des jouets d'enfants puissent être à l'image d'armes de desctruction très diverses. Personne ne s'étonne qu'on ait donné le nom d'un costume de bain (Bikini) à un lieu où ait été expérimentée une arme nucléaire. Comment un ingénieur Français a-t-il pu intituler un livre où il contait l'histoire de l'armement nucléaire dans notre pays "Auprès de ma bombe". Comment Edward Teller pouvait-il familièrement surnommer la bombe H : "My baby". Comment des scientifiques, dans le cadre du projet Manhatan, ont-il pu donner à des expériences nucléaires préliminaires à des actions de guerre des noms empruntés à des discours religieux. Le premier montage " H " avait été intitulé " la Kaaba ", bien avant que les musulmans n'aient été perçus par les Américains comme un ennemi potentiel. Alors que les USA sont une nation en principe chrétienne, le nom de code de la première explosion nucléaire avait été "Trinity" ( la Trinité ). Pourquoi ce goût systématique du blasphème ? Pour mieux comprendre la psychologie du scientifique collaborant avec les militaires : lien.
...Il y a donc un "corps doctrinal". Je vous étonnerais peut être en vous disant que celui-ci pourrait être remplacé par n'importe quel texte a priori. En revenant à l'image de la personnalité humaine, on retourne à celle de la passerelle de commandement, de la timonerie d'un navire, ce navire étant un .. homme. La personnalité humaine nous semble (à nous, occidentaux) être faite d'une seule pièce. Mais tout se passe comme si, "à l'intérieur d'une tête humaine", discutaient plusieurs plans du moi. Il y a le moi conscient, qui "raisonne" avec ce qu'il pense être "sa logique". Il y a le moi inconscient, qui fonctionne avec une autre, laquelle intègre l'expérience vécue par l'individu depuis sa naissance, engrangée inconsciemment. Il y a le moi ethnique, spécifique. Il y a le moi éducationnel (enseignement reçu, lectures, conditionnement médiatique). Toute décision prise au cours d'une vie est le résultat d'un "débat" entre les différentes composantes de la personnalité humaine. Encore ne sagit-il là que d'une vision d'occidental. Les mystiques de tous bords ajouteront une inspiration, fondée ou non : il ne nous appartient pas de trancher sur une telle question, "d'essence métaphysique".

...Le fanatique opte pour un renoncement à sa propre autonomie et par le delà de sa responsabilité d'être humain . Un ou des leaders décident alors à sa place. Cet abandon peut être assimilé à un abandon de poste, "le commandant abandonnant sa timonerie". Par abandon il faut aussi inclure son corollaire : une attitude d'étanchéité psychologique, gage d'invulnérabilité. L'étanchéité apporte alors le confort d'une structure, avec le réconfort du soutien d'un groupe. En ayant le sentiment d'appartenir à une multitude, l'être humain fait, pour en retirer ce bénéfice, le sacrifice de sa personnalité, et éventuellement de sa vie. ...Subjectivement, ce prix lui paraît léger. Le leader, d'une certaine manière, en fait autant, dans la mesure où il se fond lui-même en se percevant comme l'émanation d'un groupe et le propagateur d'une pensée. On peut alors parler d'auto-hypnose. Ayant approché jadis une secte d'inspiration indouïste (la secte de Ram Shandrah), non pas en tant que membre mais dans l'intention d'aller y récupérer un de mes amis, j'ai pu voir à l'oeuvre les mécanismes essentiels du fonctionnement d'une secte. La clef est la "non-pensée". Chez certains cette non-pensée porte le masque de la "méditation". Méditer, c'est "faire le vide en soi", étouffer le flux de pensées perturbatrices, véritable bruit de fond empêchant "l'esprit" de se manifester à l'intérieur des individus. On pourrait dire, de toute façon, que faire le vide dans ses pensées peut avoir des bons côtés. Quand des gens sont torturés par des angoisses, objectives ou subjectives, le fait de "faire le vide en eux", ne serait-ce que pendant quelques temps, quelques heures, quelques minutes, ne peut leur faire que du bien. N'importe quel psychologue serait d'accord avec cette idée.
...Que cet Esprit existe ou non est un autre problème. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur la réalité ou l'irréalité de tout phénomène d'ordre métaphysique. Nous analysons simplement le résultat. Chez certains mystiques, une telle pratique amènera à un simple détachement du monde, au renoncement à une vie sexuelle, aux "plaisirs de ce monde". C'est l'ascétisme, qui peut aller jusqu'à la mortification médiévale. On pourrait appeler ceux-là des mystiques passifs. "Ils se fondent dans leur communication avec l'invisible", en n'y voyant qu'une expérience strictement personnelle. Certains pensent que la douleur physique rapproche de "l'Esprit" (les "flagellants" médiévaux). Le danger est beaucoup plus grand là où commence le prosélytisme (abandon des la progéniture, des parents, de toute cellule familiale ou sociale, don de ses biens à la secte, mise à disposition de sa personne, de ses compétences, de ses talents, au service des intérêts de la secte).
...Le leader du secte peut rapidement acquérir une structure schizophrénique ou paranoïaque, s'il ne la possède pas déjà. Il y a des "mystique" ou "laïcs". Il est des messages idéologiques qui ressemblent étonnemment à des corpus religieux.
...Passons au mécanisme essentiel, de type hypnotique. Il n'y a pas d'hypnose sans abandon de vigilance, sans renoncement à toute objectivité au profit d'une subjectivité. Je vais citer une expérience personnelle, que n'importe qui peut rééditer. C'est une expérience d'abandon volontaire de liberté décisionnelle, qui se traduit par une prise en charge par une tierce personne. Quand j'étais étudiant à l'Ecole Supérieure de l'Aéronautique de Paris, dans les années soixante, un de nos camarades était tombé sur "un manuel d'hypnose" avec lequel il s'amusait beaucoup, disait-il, en menant des expériences avec sa soeur. Nous décidâmes de nous prêter à des expériences (bien innocentes dans leur contenu). La première démarche consistait à créer un isolement sensoriel relatif (debout, immobile, les yeux fermés, dans un lieu peu soumis aux influences sonores). Dans une telle situation, au bout de dix à vingt minutes, on "perd pied". La sensation de verticalité, la topologie des lieux s'estompe : on vascille. Auprès se soi, dès qu'on se retrouve dans cette ambiance (silence, yeux fermés) un manipulateur assène alors une injonction, en prenant la voix la plus convainquante possible. Le "jeu" consiste à vider sa tête, à chasser toute pensée, qui pourrait faire barrage à son message. C'est indispensable "pour la bonne réussite de l'opération". Les gens qui pratiquent l'apnée savent ainsi se vider la tête, simplement parce que l'activité mentale, quelle qu'elle soit, consomme de l'oxygène. Pendant qu'on abaisse ainsi délibérément des défenses du moi, du mental, "l'assistant-hypnotiseur" (qui peut être le premier venu) martèle son message de manière lancinante. Cela marchera mieux si, subjectivement, son ton, ses argments sont convainquants et sa voix "chaleureuse". Cet homme place alors celui qui, délibérément, a décidé d'être le cobaye, dans une situation de suggestion. Un ordre dénué de connotation morale, comme de lever les bras, "pénétera" d'autant plus facilement dans le "mental inoccupé" du sujet, si cet ordre ne suscite aucun mécanisme de défense "morale-socio-immunologique". Quand on se prête à cette étrange expérience, le résultat de l'expérience peut survenir au bout d'un temps variable : de quelques minutes à trente minutes ou une heure. Tout dépend de la capacité du sujet à "abaisser ses défenses mentales" et à "l'hypnotiseur" de se montrer convainquant. Tout bruit extérieur, tout fou-rire, toute pensée incongrue ramène le sujet en "case-départ". Ce qui compte c'est de réaliser que n'importe quel individu qui se préterait à ce "jeu" verrait au bout d'un temps ses bras échapper pendant un temps plus ou moins long à sa propre volonté. Chez moi cela avait duré une ou deux secondes, au bout de trente minutes de marterage dans le genre :

- Tes bras son légers. Vois, tu ne peux les retenir. Ils s'élèvent. Tu ne peux retenir tes bras. Laisse-les monter !

...Tout se passe comme si le corps, interrogeant en vain la "passerelle de prise de décision" avait dit, pendant tout le temps de l'expérience :

- Bon sang, qu'est-ce que je fais ? Il y a un type qui m'ordonne de lever les bras. Cela me martèle la cervelle depuis vingt minutes. Il n'y a personne là-haut pour me dire ce que je dois faire ?

...Le phénomène-clef c'est le changement de branchement sur les structures donneuses d'ordres. Chez l'adepte c'est l'assujetissement aux quatre volontés d'un gourou. Dans les sectes il est recommandé de méditer devant une photo du Gourou, si possible à l'échelle 1/1,pour que s'opère alors une imprégnation inconsciente extrêmement perverse.
...L'absurdité des ordres, leur immoralité, en particulier au plan sexuel, n'entre plus en ligne de compte. La personnalité a été en quelque sorte débranchée, mise hors circuit. L'efficacité d'un tel procédé dépend évidemment de tas de facteurs, du caractère suggestionnable du sujet, de "l'aura" du grourou, de l'ascendant du leader charismatique, du dictateur, et ... de la pression du groupe. Car la pression liée au groupe démultiplie la puissance du leader. . Le niveau intellectuel et culturel de l'individu n'entre pas en ligne de compte. Des gens très frustes peuvent se révéler difficiles à suggestionner. D'autres, apparemment plus équipés intellectuellement peuvent basculer très rapidement. J'ai été étonné de trouver dans cette secte où j'avais pénétré, des intellectuels fanatisés et ... des membres du CNRS, des collègues que je connaissais !

...Nous avons parlé d'une simple expérience de psychologie. Qu'on imagine le résultat quand ceci se teinte d'idéologie politique, de religiosité. Il y a alors adhésion totale. Avec le recul, on peut se demander comment des gens intelligents ont pu se laisser séduire par des textes aussi débiles que Mein Kampft ou ... le Petit Livre Rouge (que, personnellement, je n'ai jamais pu terminer, tant je m'y ennuyais. Pourtant, en France aussi, nous avons eu nos "maoïstes"). Mais le contenu est sans importance. Les slogans, les sourates, les mantras, les mots d'ordre peuvent fonctionner comme des intruments d'hypnose. J'ai eu une femme de ménage qui avait adhéré à la secte d'origine Japonaise Nishiren, Shosu, implantée dans de nombreux pays, dont la seule pratique consiste en la répétition d'un seul "mot" : Nàm Yoho, Renge Kyo. On inculque seulement aux adeptes que la répétition de ce mot magique leur modèlera utilement l'âme, assurera leur salut, etc. La plupart n'en connaissent même pas la signification exacte (...).

...Tout dépend des effets d'une pratique de ce genre. Un "stylite", réfugié en haut d'une colonne, muré dans son silence, ne dérange personne. A moins que, devenu une "vedette", quelqu'un d'exceptionnel de par ce comportement, il ne suscite des adeptes. Paradoxalement, l'adhérent d'une secte, en se dépersonnalisant, cherche désespérément à exister, fusse-même dans un sacrifice collectif !

...Ces jours derniers, nous avons entendu à la télévision d'anciens kamikazes palestiniens, dont l'action avait échoué du fait d'une défaillance technique de leur matériel, témoigner. Leurs visages reflétait une sorte de paix intérieure, de calme, de sérénité.
- Referiez-vous un tel geste ?
- Dieu seul a la réponse.

...Réponse significative. C'est comme si l'individu répondait "pourquoi me demandez vous d'exprimer un sentiment, une opinion, alors que j'ai, au plan de mon individualité, cessé d'existers ?"

...Le public comprend mal cette étanchéité de la pensée. Ne dit-on pas que quelqu'un s'est "blindé" ? Pour le fanatique, tout ce qui n'émane pas de sa "cellule", de son groupe, de son ou de ses leaders religieux ne peut être que mensonger, manipulateur. Mentalement il récite des phrases de son livre saint, intréprétées par ses maîtres à penser, des mots-d'ordre, des mantras, des phrases du Petit Livre Rouge, pour faire barrage à cette pensée "perverse". Edgar Morin parlait de cette étanchéité des communistes Français, après la guerre de 39-45 quand parvenaient des nouvelles concernant des pogroms, des camps d'internements, des goulags, des purges, des déportations massives. Rien de tout cela ne pouvait être vrai. Cela ne pouvait être que "pures inventions de la presse bourgeoise".

...Une autre idée à garder en tête est un "effet boule de neige". Le nombre démultiplie le phénomène, quasi exponentiellement. On l'a vu avec le Nazisme. Beaucoup d'intellectuels Européens s'amusaient des pantalonnades du jeune parti Nazi et des grandes démonstrations de ce ridicule "Monsieur Hitler". Tout d'un coup, la mayonnaise a pris et tout s'est mis à basculer, en moins de dix ans. L'inverse est également vrai. Après cette guerre-là, le Nazisme ne s'éteignit pas totalement, mais entra dans une phase de récession, très rapide. Plus personne, Allemagne, n'avait été Nazi, apparemment. C'est ce que René Girard appelle le mimétisme. L'effet est redoutable. Un autre élément du fanatisme, noté par Girard, est l'importance du bouc-émissaire, d'un individu ou d'une ethnie littéralement diabolisée. C'est lui ou c'est elle qui permet au groupe de se "laver" de ses culpabilités, de sa peur, de ses angoisses. Le martyre sacrifié ressoude les communautés. L'individu ou l'ethnie bouc-émissaire focalise l'énergie des individus. Hitler avait très bien su utiliser cela contre les Juifs. Dans les tendances Françaises d'extrême-droite, le "bougnoule" constitue un "pôle idéologique".Quand on ne sait pas trop pour quoi lutter, il est plus facile de lutter contre quelque chose. Du temps du Mac-Cartisme, le communisme avait le visage de Satan. Antérieusement, dans le sud profond, c'étaient les noirs qui fournissaient cette image au Kux Klux Klan. Aujourd'hui, pour les musulmans intégristes, l'Amérique est "le Grand Satan".


Ajout du 11 oct 2001 : Le journal l'Express dans son numéro 1722 du 27 sept - 3 oct 2001 a publié le témoignage d'un fils de SS, qui a préféré rester anonyme. Ce texte, page 100, était intitulé "Mon père, ce SS". Il s'agit d'un Français dont le père, actuellement décédé, s'était engagé à la fin de l'automne 1943 quand le régime commençait déjà à s'écrouler, afin d'aller combattre sur le front Russe, dans la division "Das Reich". Il y eut des milliers de Français, acquis à la cause nazie, qui firent de même en constiituant une "légion" où beaucoup se firent tuer au combat. Dans son témoignage, cet homme parle d'un père "amoureux de Saint-Simon, de Proust et de Theilard des Chardin" et de la réponse que celui-ci lui fit quand il lui demandait pourquoi il s'était engagé dans ce conflit et s'il avait eu peur de mourir : "J'étais un fanatique. cela m'était absolument égal". Après que son unité ait été décimée, il avait pu échapper à la mort et avait été incarcéré à la prison de Fresnes, après avoir été arrêté par les Français. On avait fusillé nombre de ses camarades de combat, fait qui l'avait laissé de son propre aveu, totalement indifférent : "J'avais choisi mon camp, j'étais prêt à mourir". "Tout en lui était lisse. Il n'avait aucun doute sur sa mission. Rien n'aurait pu le faire dévier de sa route. C'était son travail, comme d'autres se rendent au bureau", dit le témoin, son fils.

...Les gens, souvent, fournissent dans leur discours les clefs de leur attitude. Ce SS Français a un jour confié à son fils :

- J'aimais être une brique dans un mur.

...Le symbole est très explicite. Une brique est un élément d'une entité appellée "mur". Considérée isolément, elle n'est pas fonctionnelle, elle est dénuée de signification. Par contre, intégrée dans un mur, elle prend toute sa force. Ainsi la démarche du fanatique procède au départ de son impossibilité à exister en tant qu'individu.Cette situation lui est trop inconfortable. Il ne trouve aucun moyen de s'inserrer dans le monde dans lequel il vit, ni en épanouissant ses propres talents, ni en fondant un foyer, ni en construisant quelque chose par lui-même. Cette vie individuelle lui paraît simplement intolérable. L'existence à travers une entité collective lui paraît être la seule solution et cette démarche d'intégration, qui s'impose à lui comme absolument impérative, passe avant le contenu idéologique ou moral du groupe auquel il adhère. Il est d'ailleurs parfaitement capable d'en changer. Wlilhem Reich, psychologue Allemand, attiré par le mouvement psychanalytique (au passage, mort fou aux Etats-Unis) avait milité dans des groupes communistes dans les années trente. Il avait été surpris de voir avec quelle facilité des cadres du PC Allemand avaient pu subitement devenir des cadres du parti SS, en troquant un "idéalisme" ou un autre, apparemment diamétralement opposé. En fait le contenu idéologique n'était que de peu d'importance. Ce que ces gens avaient recherché avant tout dans ces deux types de structures "c'est à devenir des briques dans un mur". Une telle attitude implique la dissolution de la personnalité. L'homme devient matricule, s'identifie totalement à sa fonction dans l'édifice. Il n'a plus la moindre idée personnelle, n'a plus à faire l'effort d'en acquérir. Jadis, un film fort divertissant : "Fanfan la Tulipe", avait été produit, Gérard Philippe en partageant la vedette avec la plantureuse et espiègle Gina Lollobrigida. Dans le scénario, Fanfan s'engageait dans l'armée pour être plus près que la belle de ses pensées, fille d'un sergent recruteur. Lors de cettee scène de l'engagement, Fanfan entendait le boniment du sergent, qui disait essentiellement :

- Si vous voulez ne penser à rien et que le roi s'en charge pour vous ....

...Cette phrase m'avait frappé. Elle peut être déclinée dans n'importe quelle idéologie ou mouvement de fanatiques. On pourrait tout aussi bien dire :

- Si vous voulez ne penser à rien et que (Hitler), (Staline), (Mao), ( L'ayatollah de service), (Le Gourou) s'en chargent pour vous...

...Tout cela est interchangeable. Le contenu idéologique ou religieux, les buts poursuivis sont sans importance, seule l'adhésion, la fusion dans le groupe compte. La brique perdue dans le mur n'a plus à s'exprimer en tant qu'individu, démarche qui lui avait jusqu'ici semblé si pénible, insoutenable. Le SS obéit aux ordres, c'est l'essentiel. Le fanatique de Chine Populaire, au temps où Perrefite l'avait si bien décrit dans son livre "le jour où la Chine s'éveillera", répond comme un automate en dévidant un "citation du président Mao". L'intégriste citera tel verset du Coran, modulo l'interprétation qui lui a été fournie. Mais, le plus souvent, il ne se sent nullement tenu de répondre, car là n'est pas sa fonction. Une inscription peut figurer sur un mur, dont une brique ne portera qu'un fragment, ou même rien du tout. Ainsi, questionnée, la "brique" ne pourra quie répondre "lisez ce qui est écrit sur le mur auquel j'appartiens". Pour cette "brique" l'essentiel n'est pas l'inscription, c'est le fait d'apartenir à un mur, d'être "conforme à quelque chose, à un modèle, de se fondre dans un groupe, de se dissoudre dans une idéologie, dans une croyance aveugle. On comprend parfaitement l'expression "on a l'impression de s'adresser à un mur". Stricto sensu, c'est exactement ce qui se passe quand on tente de discuter avec un fanatique.

...Tout ce qui tend à dissoudre la personnalité des individus, leur sens critique, leur recul face aux situations est potentiellement dangereux pour eux et pour les autres. Ainsi, il n'y a aucune différence entre une secte, un mouvement politique totalitaire, un courant religieux où se sont développés le fanatisme et l'intolérance.

...Cette intégration d'une "brique dans un mur" peut déboucher sur plusieurs effets. Dans des sectes, le but peut-être prosaïquement l'escroquerie, l'exploitation d'une masse d'adhérents par une oligarchie, exploitation financière ou sexuelle, voire les deux à la fois. Nous avons parlé de mur. On pourrait préciser en évoquant un édifice constitué d'une voûte. Le gourou, le leader, le chef spirituel devient la clef de voûte. Elle non plus n'existe pas isolément, ne tient qu'en vertu des forces concourantes, qu'elle oriente elle-même, dont elle est le point focal et qui lui sont communiquées par les pierres de l'édifice. A sa manière, la "clef de voûte" perd aussi sa personnalité, son individualité. Elle n'est plus qu'un élément de la structure qu'elle a à la fois crée et qui l'a "portée au sommet". Le leader crée le groupe et le groupe crée le leader. Chacun valide l'autre. Si le groupe se disloque, le leader perd toute légitimité, cesse de jouer un rôle de résonateur. Si la clef de voûte disparaît, l'édifice se disloque. Le tout est plus que la somme des parties. Une protéine est beaucoup plus que la somme des atomes qui la constituent. Disloqué, désorganisé, l'ex-édifice devient méconnaissable. Si le "message" véhiculé par tel édifice, tel groupe pouvait être assimilé à une inscription apposée sur un mur ou par la forme même de l'édifice, lorsque celui-ci se disloque, le message cesse de devenir lisible. Il alors alors inutile de questionner individuellement, briques, pierres ou gravats, puisque l'ensemble de l'édifice faisait sens. C'est la raison pour laquelle on a toujours été si surpris de la disparition si subite du discours de groupes qui auront pu exercer une pression très importante sur l'histoire, après leur désintégration (le mot devant ici être pris à la lettre). Il ne s'agit pas simplement d'un reniement, mais de la perte de la faculté de s'exprimer. Seul l'ensemble faisait sens.

...Les comportements des "briques" peuvent être variés. Leur fonction peut être de servir de harem à un Gouru, de collecter des fonds pour la secte, mais aussi de participer à un puissant mouvement expansionniste (nazisme, intégrisme islamique), s'exerçant de la manière la plus violente possible. Le thème du commando suicidaire peut alors faire partie de la "mission", puisque l'intérêt individuel, l'instinct de conservation ont été totalement annhilés. Il n'y a aucune différence entre le comportement de ce nazi Français, cité plus haut, désigné pour partir sur le front Russe à une époque où tout était déjà joué, ce qui équivaut à une mission-suicide, et celui d'un des membres du groupes ci-après :

Un commando suicide du Hezbollah défilant au Sud Liban en février 1997.

Du 20 sept au 12 déc. 2001 : 3024 consultations. Nouvelles consultations :

Retour Sommaire "Géopolitique"         Dossier suivant ("Echec de la fututologie")

Page d'Accueil