Lettre Ouverte au Responsable
du Projet Mégajoule
Monsieur Francis Kovacs

10 septembre 2002

De retour d'un voyage à l'étranger je positionne sur mon site un début de dossier sur une question qui n'est pas prête d'être close et qui concerne la politique française en matière d'armement nucléaire. On sait en effet que la France a effectué ses derniers essais nucléaires souterrains (officiellement) à Mururoa en 1996. Il nous fut dit à l'époque que les recherches en matière d'armement nucléaire se poursuivraient désormais en France à travers "des calculs effectués par ordinateur" et des "simulations" qui devraient être effectuées à l'aide d'un banc d'essai "Mégajoule", lequel devrait être implanté à Bordeaux. Quand j'ai appris cela j'ai été d'emblée extrêmement sceptique. En effet la fusion par laser est un sujet qui ne m'est pas étranger, depuis 1976, année où il m'a été donné d'être le premier non-américain à approcher les lasers d'un térawatt au néodyme, équipant le banc "Janus" à Livermore, Californie.

La fusion par laser s'est avérée être une tentative décevante. Il est relativement facile de comprendre pourquoi. Dans les manips de Livermore par exemple la cible, une sphère de dimension millimétrique, emplie d'un mélange d'hydrogène lourd deutérium-tritium est elle-même recouverte par une pellicule d'un produit appelé "pusher". La sphère est insolée en dirigeant sur celle-ci les faisceaux de plusieurs lasers. La pusher se volatilise et se dilate. Sa dilatation entraîne la compression du mélange de fusion situé à l'intérieur de la sphère. L'expérience Janus (1976) comportait deux lasers. Elle devait être complétée par une manip "Shiva" comportant 24 lasers. Il est possible de "paver" une sphère à l'aide de 12 pentagones, l'ensemble ayant la géométrie du dodécaèdre (dodeca veut dire douze en Grec). Vingt quatre est un multiple de douze. Ce chiffre 24 n'est donc pas choisi au hasard et représente une effort pour déposer cette énergie laser à la surface de la sphère, via le "pusher" de la manière la plus régulière possible. Hélas l'expérience ne donna pas les résultats escomptés. En recourant à l'analogie imaginez que vous vouliez comprimer de la pâte à crèpes dans une de vos mains, en la serrant entre vos doigts. De toute évidence celle-ci s'échappera en passant entre ceux-cu. Dans la fusion par laser, même problème, lié à l'impossibilité de réaliser un dépôt d'énergie à symétrie sphérique sur une sphère (dans l'espace et dans le temps). Or pour obtenir cette fusion il est indispensable d'opérer une compression d'un facteur dix en rayon, donc mille en volume, en comprimant un milieu à l'état liquide ou solide (ceci dépendant de la température de réfrigération de l'hydrogène lourd, unférieure à moins deux cent degrés Celsius). Alors les élévations de température et de densité sont telles que les "conditions de Lawson" (conditions dans lesquelles la fusion peut se prooduire) peuvent être réalisées dans un tel système dit "de confinement inertiel". Il ne fut jamais possible de contrôler cette compression à symétrie sphérique.

Or, fait étonnant, les Français entrent en lice, des décennies après que les Américains aient passé l'éponge. Disposent-ils de super-lasers ? Non. Au CESTA (Centre Scientifique et Technique d'Aquitaine) on a installé dans le " LIL " ( Ligne d'intégration laser ) deux (vieux) lasers au néodymes d'une puissance unitaire d'un térawatt ... cédés par les Etats-Unis, vestige d'une manip qui en comportait huit ( "Nova") et qui ne donna pas non plus de résultats. Le banc Mégajoule n'existe pour le moment que sous forme de superbes images de synthèse. Il est censé comporter 240 faisceaux d'un térawatt chacun. Mais, comme on le verra dans une illustration figurant dans la lettre ci-jointe, la cible a une symétrie sphérique. Le système de chauffage, très "artisanal", consiste à bourrer de l'énergie laser en faisant entrer dans un cylindre d'un centimètre de diamètre, 120 faisceaux par chacun des deux orifices situés sur les deux faces en forme de disque. L'intérieur du cylindre étant recouvert d'une fine pellicule d'or on espère alors que ce dispositif se comportement comme un four axisymétrique. Voeu pieux.

Le lecteur pourra trouver ces renseignements en demandant au CESTA de Bordeaux, Département Lasers de Puissance, 15 avenue des Salières, BP2, 33114 Le Barp (tél : 05 57 04 41 45 ) une plaquette en couleur intitulée "Le Laser Mégajoule", éditée par ses soins et décrivant les éléments essentiels du projet.

Par ailleurs on vise la fusion d'un mélange de deux isotopes de l'hydrogène, le deutérium et le tritrium, mélange qui doit nécessairement être refroidi à très basse température (-200°). Or aucune bombe H ne fonctionne avec un tel mélange de fusion. Toutes sont des "bombes sèches", construites autour d'un mélange Li7 H1 (lithium-hydrogène), solide à la température ordinaire. Donc, si tant est que ces expériences de fusion d'un mélange d'isotopes de l'hydrogène fonctionnaient, ce qui est loin d'être évident, on ne voit absolument pas en quoi les scientifiques pourraient extraire des informations d'une quelconque utilité vis à vis des mécanismes qui sont à l'oeuvre dans une "vraie" bombe à hydrogène.

Je développerai dans les jours à venir des éléments permettant de se faire une opinion sur ce "projet Mégajoule" qui, selon moi, serait un "projet écran" destiné à cacher une réalité extrêmement inquiétante : que les Français continuent leurs expérimentations souterraines sur ... leur propre territoire. Nous expliquerons comment de telles expériences pourraient être menée avec une atténuation suffisante du signal sismique des explosions.

Officiellement depuis dix ans les Etats-Unis, la Russie, l'Angleterre ont cessé de procéder à des explosions nucléaires souterraines (au Nevada pour les USA, dans cet été et en Australie pour les Anglais, dans des sites analogues pour les Russes). Qui serait assez naïf pour croire une chose pareille ? Tous ces pays pratiquent simplement aujourd'hui "l'explosion nucléaire furtive" dont la technique sera décrite. Les Américains et les Russes ont la chance de posséder des régions désertiques sur leur territoire. Les Anglais peuvent également profiter de sites situés en Australie. Mais où les Français, éjecté de leurs sites du Pacifique peuvent-ils poursuivre leurs essais ?

Bonne question....

D'aucuns pourraient dire "est-il nécessaire de poursuivre des essais nucléaires ? Ne disposons-nous pas déjà de toutes les information nécessaires pour décliner ces armes selon toutes les puissances possibles, en utilisant simplement un ordinateur ?". La réponse est négative. En effet les bombes de faible puissance sont des éléments-clés dans le développement des armes à micro-ondes, par exemple. Ne pas développer ce type d'arme reviendrait à perdre toute crédibilité en matière stratégique. La France ne peut pas abandonner ces essais souterrains. En juillet 2002 j'ai envoyé la lettre ci-après à Francis KOVACS, responsable du projet Mégajoule. Cette lettre recommandée avec accusé de réception a fait suite à une "lettre simple" adressée à la même personne un mois plus tôt. Elle est comme la précédente restée sans réponse et je doute fort que le destinataire puisse de fait répondre à des questions aussi gênantes. Il est regrettable qu'aucun journaliste français ne les aie posées. Est-ce par manque de compétence à cause de pressions discrètement exercées sur les rédactions des journaux et des chaines de télévision?

Jean-Pierre Petit
Directeur de Recherche au CNRS
Villa Cardinale 1
6 allée du Parc 13770 Venelles

                                                                                                                Le 10 juillet 2002

                                                                                             M. Francis KOVAC
                                                                                             Chef du Département Laser de Puissance
                                                                                             Centre d'Etudes Scientifiques et Techniques d'Aquitaine
                                                                                             Département Lasers de Puissance
                                                                                             15 Avenue des Salières BP 2 33114 le Barp
Recommandé avec AR.


Monsieur,

   Sans réponse à mon courrier simple du 6 juin 2002 je vous adresse cette fois ce courrier en recommandé avec accusé de réception.

   Je vous remercie de m'avoir aimablement adressé votre plaquette de présentation, éditée par le Département des applications militaires du projet " Laser Mégajoule " relevant du CESTA, le Centre d'Etudes Scientifiques et Techniques d'Aquitaine.

   Je dois vous dire d'abord que la question des lasers de puissance ne m'est pas étrangère puisque j'avais été un des premiers européens à avoir vu de près, au printemps 1976, l'installation " Janus " du Lawrence Livermore Laboratory, équipée à l'époque de deux lasers l'une puissance unitaire d'un térawatt, alimentés chacun par un banc de condensateurs de dix mille joules. Ceci avait été possible grâce au fait que le responsable de l'époque, Alström, co-responsable avec Nucholls du projet était un de mes collègues et amis. A cette époque l'installation américaine " Shiva ", également implantée à Livermore, qui devait être dotée d'un ensemble de vingt quatre lasers d'un térawatt chacun était en construction (du moins les bâtiments), ce qui devait porter la puissance à vingt quatre térawatts . Avecle même type de lasers, des unités en verre dopé au néodyme, l'énergie devait alors atteindre 0,24 mégajoules. Le but poursuivi à l'époque par les Américains, et cela remonte à vingt-six années, était de provoquer la fusion d'un mélange Deutérium-Tritium, infiltré dans des petites sphères de verre recouvertes d'un " pusher " destiné à absorber l'énergie et à provoquer la compression du mélange. Comme vous le rappelez page 7 il s'agissait d'un procédé de fusion par confinement inertiel.

   Comme le projet français s'inscrit vingt six années après, et est censé parvenir à maturité en 2008 c'est à dire trente deux ans après les efforts menés outre-Atlantique, serait-il possible de savoir si l'effort Américain qui, ses responsables (comme Nucholls) ne s'en cachaient pas à l'époque, était la simulation de phénomènes survenant dans les explosions thermonucléaires, a fourni des résultats concrets ? Des réactions de fusion ont-elles été obtenues et si oui, quand ? Ces expériences se sont-elles montrées fructueuses dans cette optique d'une simulation des explosions thermonucléaires ?

   J'ai bien noté, dans votre plaquette, page 3 qu'après l'arrêt en 1996 des expérimentations permettant de valider en grandeur réelle le fonctionnement des armes nucléaires, et après la signature du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (Tice) que le gouvernement avait désormais confié au CEA la mise en œuvre d'un programme Simulation sur lequel va désormais reposer, en l'absence d'essais nucléaires, la garantie et la fiabilité des armes de dissuasion.

   A ce sujet j'aurais plusieurs questions à vous poser. Dans votre plaquette se trouve le schéma de l'apport d'énergie sur une cible désignée par une capsule sphérique, quelques millimètres de diamètre. Je cite votre plaquette :

" La cavité comporte deux orifices des 1,5 mm de diamètre pour le passage des 240 faisceaux. Le mélange deutérium-tritium est sous forme d'une mince couche solidifiée à moins 250°, sur la face interne de la capsule. Le centre de la capsule contiendra le mélange sous forme gazeuse ".

 

  Dans l'expérience Shiva (24 laser d'un térawatt chaque) menée à Livermore, dont je ne sais ou non si elle conduisit à des résultats positifs l'énergies des lasers devait être répartie le plus régulièrement possible à la surface de la sphère-cible en étant absorbée par un " pusher ". Le but étant de provoquer la compression et l'échauffement du mélange et un confinement inertiel. La symétrie sphérique semblait à cette époque recherchée. Dans le schéma ci-dessus il ne s'agirait que d'une symétrie axiale.

   Pensez vous que la compression pourrait alors s'effectuer de manière satisfaisante ? A combien estimez vous la probabilité de réussite de cette expérience ? Comporte-elle une part d'aléatoire ?

   Dans le Quid de 1999, page 1798 on lit :

Nota : Programme Américain équivalent : NIF (National Ignition Facility), Lawrence Livermore Laboratory, Californie. Beaucoup estiment à 10 % ses chances de réussir la fusion thermonucléaire de pastilles d'hydrogène lourd.

Votre commentaire sur cette estimation ?

   La plaquette a été éditée en 2001. Les photographies qui l'illustrent sont dont censées montrer l'état d'avancement des travaux.


   On peut donc en juger qu'à l'aube de ce deuxième millénaire ceux-ci en sont stade du terrassement. Pensez vous que nous pourrons compter à coup sûr des expériences de fusion thermonucléaire de mélange deutérium tritium en 2008 ?

Dans votre plaquette on lit que

" Un équipement semblable au laser Mégajoule est en cours de construction aux Etats-Unis, le " NIF " ou National Ignition Facility dont l'échéance est voisine de celle du LMJ (laser Megajoule). La collaboration entre la France et les Etats-Unis dans le domaine des lasers de puissance a débuté il y a trente ans. Aujourd'hui elle concerne la technologie laser et la mise au point des composants. Cet accord s'accompagne d'une réduction des coûts, des risques et des délais par la poursuite des actions de recherche et de développements communes. Cette collaboration conduit à des échanges de composants spécifiques réalisés chez l'un ou l'autre des partenaires de cet accord. C'est dans le cadre de ces échanges équilibrés que le Lawrence Livermore National Lanoratory (LLNL) a mis à la disposition de la DAM la chambre d'expérience de son installation laser Nova après son démantèlement. Cette chambre, conçue pour des expérimentations au niveau de plusieurs dizaines de kilojoules sera installée dans le hall d'expérience de la LIL. Elle est arrivée au CESTA en décembre 1999 ".

   On évoque donc ici des expériences américaine (installation Nova). Celles-ci ont-elles conduit, avant démantèlement, à des expériences réellement concluantes en matière de fusion par laser, et si oui, quand ?
Les premières expériences américaines datent du milieu des années soixante dix, c'est à dire de plus d'un quart de siècle. Je cite également ce passage extrait du Quid 1999, page 1798. Evoquant le développement de la " TNN " (tête nucléaire nouvelle) l'article précise que

   Les essais, des études et le développement des armes portent sur le " durcissement " et la " furtivité ".

   Le " durcissement " consiste à rendre les têtes nucléaires insensibles à l'action des ondes électromagnétiques (electromagnetic pulse). Mais que signifie " furtivité " ? Comment une arme nucléaire en plein développement saurait-elle être " furtive ". Eclairez ma lanterne, s'ils vous plaît.
Supposons que tout se passe bien, que l'expérience Mégajoule soit un succès (bien que les chances de réussite selon le Quid soient de une sur dix). Pour autant que je sache les bombes à hydrogène ne sont pas fondées sur un mélange Deutérium-Tritium, qui nécessite un refroidissement à très basse température (moins deux cent cinquante degrés) mais sur la fusion d'un mélange Li-H (hydrure de Lithium, solide à la température ordinaire : la " bombe sèche "). Dans ces conditions, même en cas de succès, comment pourrait-on exploiter des résultats fondés sur la fusion du mélange D-T en les appliquant à un mélange Li-H ? J'avoue ne pas comprendre. Si vous me permettez ce genre de parallèle il me paraît y avoir autant de ressemblance entre la fusion D-T et la fusion Li-H qu'entre les fonctionnement d'un diesel et d'un moteur à essence, le second pouvant difficilement servir de " simulateur " au premier. Ou alors il y a quelque chose que je n'ai pas saisi, que vous pourrez alors m'expliquer.

   A moins que l'on n'envisage après ce premier succès de 2008-2010 sur le mélange D-T de réaliser des expériences de fusion par laser basé sur un mélange Li-H (au passage, pourquoi ne pas viser carrément la fusion sur ce type de mélange. L'expérience serait-elle plus aléatoire ? Où serait le problème si on focalise suffisamment d'énergie sur la cible ? ).

   Question subsidiaire, au cas où les Américains auraient déjà réussi des manips de fusions D-T par laser : seraient-ils alors passés avec succès à des expériences de fusion par laser de mélange Lithium-Hydrogène ? Selon le Quid la réponse à la première question serait négative et a fortiori à la seconde.
En cas de succès de la manip française de fusion par laser du mélange D-T en 2008, combien d'années, à votre avis, s'écouleraient-elles avant que des expériences plus proches des véritables explosions thermonucléaires, basées sur due l'hydrure de lithium, puisse être menées à bien ?

   Où en sont les Américains et les Russes dans ce domaine ? J'ai du mal à penser qu'ils en soient au même stade que nous. Sauf erreur ces deux pays ont officiellement cessé de mener des expérimentations souterraines en matière nucléaire et thermonucléaire il y a déjà un certain nombre d'années (1996 dans le cas de notre pays). De quand datent les arrêts officiels de tels essais dans ces deux pays ? Croyez-vous que ces arrêts correspondent à une réalité ?

   Personnellement, j'en doute fort. Comme beaucoup d'autres, je pense que Russes et Américains ont simplement trouvé un système qui permettent de continuer ces expérimentations en masquant le signal sismographique des explosions (SNE ou stealth nuclear experiments : experimentation nucléaire furtive). Ceci pourrait être obtenu en faisant par exemple détoner les engins dans d'anciennes mines de lignite désaffectées, à une profondeur de mille mètres, ce matériau inhomogène se prêtant très bien à l'absorption des ondes sonores, dans une large gamme de fréquence.

   Est-ce qu'en optant pour ces simulations Mégajoule la France ne risque pas d'accumuler par rapport à ces puissances un retard considérable ? D'autant plus que le résultat de ces expérience semble non seulement problématique mais semble-t-il assez éloigné des véritables explosions. Ne vaudrait-il pas adopter une attitude plus réaliste en cherchant le moyen (et un lieu situé hors du territoire français, si possible) où procéder à ce type d'expérimentations " furtives " comme le font déjà très certainement depuis de longues années Russes et Américains ?

   L'idée que les Américains, qui ont toujours eu une avance importante sur les Européens en matière d'armement puissent simplement s'associer à cette " aventure Mégajoule " semble peu crédible. Croyez-vous réellement que cela le soit ?

                                                          En vous remerciant par avance pour votre réponse et vos éclaircissements.

                                                                                                                              Jean-Pierre Petit
                                                                                                                              Directeur de Recherche au CNRS

 

Nous projettons des actions menées conjointement avec différents organismes comme Greenpeace ou le CRIIRAD. La lumière doit être faite sur ce dossier dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est explosif. Quel journaliste prendra l'initiative d'aller questionner M. KOVACS dans son bureau ? S'il s'en trouvait un je serais prêt à l'accompagner dans sa démarche.

24 septembre 2003. Une année s'est écoulée depuis que j'ai mis ce dossier sur mon site. Aucun journaliste ne s'est manifesté. Greenpeace et la CRIIRAD n'ont pas bougé. Aucune action n'a été entreprise.

Par contre Jean-François Augereau s'est fait le chantre de ce projet dans un article paru ce même jour dans le journal de Monde, reproduit avec mon commentaire.


12 Décembre 2003 :

Le temps des "danseuses" technico-scientifiques

Rien n'arrêtera, donc, ce dispendieux projet Mégajoule. Il "créera des emplois" (mille emplois de techniciens et de chercheurs à l'horizon 2010) et sera l'occasion de la création de quelques postes au Cnrs en astrophysique, des chercheurs trouvant là l'occasion d'étudier "un Soleil en laboratoire", qui ne ... fonctionnera jamais.

Mais on ne saurait en rester là. A l'heure où la physique est terriblement à court d'idées neuves, dans tous les domaines la décision a été prise, au niveau Européen, d'implanter sur le site de Cadarache, entre Aix en Provence et Sisteron le succession de "Tore-Supra", c'est à dire un Tokamak encore plus grand que celui-ci. Mais qu'est-ce qu'un Tokamak ? C'est une "bouteille magnétique" de forme torique, constituée par un solénoïde refermé sur lui-même. Ce montage, imaginé dans l'après-guerre par le Russe Arsimovitch est censé confiner un plasma de fusion. C'est un réacteur différent des réacteurs nucléaires classiques, fondés sur la fission. Un réacteur à fusion est essentiellement un mélange de deux isotopes de l'hydrogène, portés à une température de cent millions de degrés, où des réaction de fusion, exo-énergétiques, sont censées se produire.


14 juin 2004 : Les mois ont passé. De temps en temps des lecteurs m'écrivent en évoquant quelque grande question. Savez-vous que .... Que pensez-vous de ....

Ouais. je vois une chose : j'étais seul à mon procès en appel, à Nîmes, et comme il n'y avait pas de gens pour manifester, ni de journalistes pour s'émouvoir j'ai été tout tranquillement condamné. Heureusement, après, il y a des gens qui m'ont aidé financièrement. Merci à eux. Je n'ai fait qu'informer, amener des gens à réflechir. C'est ce que fait un lecteur-thésard dont je reproduis le mail ci-après.

Le fait que l'Armée gâche des montagne d'argent n'est pas nouveau. Et personne n'y peut rien, ni vous, ni moi. Je crois qu'à la limite il ne savent même plus ce qu'ils font. Il y a des projets qui grossissent, grossissent, comme ça. Regardez la station spatiale internationale. Ca ne sert à ... rien. C'est extraordinaire.

Je suis à la retraite et je répète que pendant les 25 dernières années de ma carrière je n'ai pas eu un centime de crédits, pas un liard. Rappelez vous cette lettre à Malina, mon directeur, où je lui demandais si je ne pourrais pas avoir une imprimante laser "à titre de cadeau de départ en retrait anticipé". La mienne venait de rendre l'âme.

N'est-ce pas comique, finalement ? Le seul type en France qui aurait pu monter une activité de MHD a été privé de tout pendant un quart de siècle. Et maintenant que les "officiels" commencent vaguement à entrevoir le retard sur les Américains on ne trouve pas un seul clampin qui touche sa bille en "plasmas froids".

Des gens doivent se demander combien de temps j'ai pu consacrer à mes travaux d'égyptologie. Je vais vous donner la réponse : Deux voyages (touristiques) là-bas, en 2000 et en 2004. Quelques lectures, dont l'ouvrage de Goyon. Ajoutez deux mois pour faire des maquettes en bristol, des dessins et tout mettre en forme. Disons trois mois en tout. Je crois que j'aurais fait un assez bon chercheur, finalement. Mais, comem dans Candide, je crois qu'il est temps ... de cultiver son jardin. Le mien est superbe, depuis qu'on ne tond plus le gazon. j'aime ce côté sauvage, exubérant. ce que j'ai pu me faire chier avec ces pelouses bien taillées....

Bonjour,

En fait il y a 2 voies pour realiser la fusion par confinement inertiel :
- l'attaque directe : tous les faisceaux lasers doivent frapper uniformement la cible, avec les gros problemes de symetrie qu'on connait
- l'attaque indirecte : correspond au schema de la cavite a deux orifices sur votre page. Les faisceaux lasers vont induire un rayonnement X a l'interieur de la cavite en or, emission isotrope qui fera de la cavite une sorte de four. Les simulations (et quelques experiences reussies, je crois) montrent qu'on peut obtenir un eclairement X suffisamment uniforme d'une cible spherique en son centre. Le "seul" probleme, c'est le faible rendement energetique de cette methode. Car c'est quand meme ca la devanture civile du LMJ : etre une etape majeure pour progresser vers la fusion par laser (pour remplacer les centrales nucleaires). Mais du dire meme de laseristes realistes, les lasers n'ont aucune chance de concurrencer les faisceaux d'ions lourds pour la fusion (rien que le rendement total des lasers fait
reflechir...). Le Tokamak est tres elegant, mais il semble lui aussi souffrir de nombreux problemes...

Donc le LMJ excite au plus au point les communautes des physiciens des lasers et des plasmas, mais a part ca a quoi sert-il au juste, on peut se le demander quand on realise la demesure du projet...

En fait c'est completement dement. Il s'agit de construire 30 fois la LIL, dans un temple titanesque qui doit eliminer toute vibration du sol et du vent sur les murs... Et le cout annonce semble irrealiste, largement sous-estime : 1,2 milliard d'euros. C'est le cout d'un gros projet spatial international. Or le LMJ sera paye integralement par le ministere de la defense Francais ! C'est la que je vois un gros hic. Qu'est-ce que les militaires vont bien faire la dedans, apres y avoir englouti de sommes pareilles ! Comme vous l'avez bien indique, ces fusions par laser ( meme si elles sont assurement possible par attaque indirecte ), n'ont rien a voir avec les bombes H, et n'ont aucun interet militaire... on voit mal comment faire de mini bombes H avec des lasers ;-) et meme si on remplace la cible par le veritable compose des bombes H (hydrure de lithium ?), je doute qu'on obtienne un bon simulateur... Ca me semble un peu cher paye le simulateur tres speculatif, alors qu'on peut faire
des essais souterrains avec de vraies bombes.

Bref, l'hypothese que le Megajoule soit une couverture pour la continuation d'essais nucleaires souterrains me semble tres possible, mais insuffisant : ce serait une couverture bien chere payee. Ce laser devra vraiment servir aux militaires. Je ne sais plus par quels procedes vous pensiez que les Americains pouvaient obtenir de
l'antimatiere (de facon "industrielle") pour leurs hypothetiques armes (autrement que dans un accelerateur de particules ;-), mais si on admet qu'on peut en obtenir par des pressions phenomenales, le laser semble ideal. Parce qu'en fait, c'est ce que les lasers savent faire de mieux : sur des cibles solides, obtenir les plus hautes pressions qu'on sache faire, de la maniere la plus "propre" et la plus controlable puisque l'impulsion laser dure au pire quelques nanosecondes.

Je n'ai pas beaucoup reflechi a d'autres methodes pour obtenir de l'antimatiere en "quantite macroscopique", mais ca m'a interpele quand on nous a explique que le laser produit essentiellement une pression (par "vaporisation" quasi instantanee en plasma d'une epaisseur de la cible puis par "effet fusee") et que les plus grandes pressions jamais obtenues en laboratoire l'ont ete avec des lasers.

La France se lancerait-elle a la suite des USA dans la disuasion antimatiere ? Ce n'est que pure speculation, mais au moins cela "justifierai" les sommes engagees dans ce projet totalement incongru militairement...


Cordialement,
                                                                    Pierre Eric de Corbeville
                                                                    Iingénieur spécialisé dans les lasers de puissance.

 

 

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